Berlinale 2018 : Don’t worry he won’t get far on foot

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Don’t worry he won’t get far on foot

Etats-Unis, 2018
Titre original : Don’t worry he won’t get far on foot
Réalisateur : Gus Van Sant
Scénario : Gus Van Sant, d’après une histoire de John Callahan, Gus Van Sant, Jack Gibson & William Andrew Eatman
Acteurs : Joaquin Phoenix, Jonah Hill, Rooney Mara, Jack Black
Distribution : Metropolitan Filmexport
Durée : 1h54
Genre : Biographie filmique
Date de sortie : 4 avril 2018

Note : 3/5

Il est loin, le temps où Gus Van Sant était l’une des figures de proue du cinéma indépendant américain, irrespectueux, inventif et fièrement gay. Aussi nostalgique cette phrase sonne-t-elle, l’évolution de Van Sant en tant que cinéaste doit au moins autant aux influences extérieures, telles que ses rendez-vous souvent manqués avec Hollywood, qu’au processus de mûrissement que chaque artiste, voire chaque personne, est censé accomplir au cours d’une vie. Tout cela pour dire que nous ne sommes plus aussi follement adeptes du cinéma de Gus Van Sant qu’à l’époque de Mala noche ou de My Own Private Idaho, mais que nous comprenons a priori où il veut en venir avec ses films de « vieillesse », le mal aimé Nos souvenirs inclus. Dans son nouveau film, présenté en compétition au Festival de Berlin et dont la seule chose indiscutablement perfectible est le titre, il poursuit en quelque sorte sa manœuvre rétrospective en guise de bilan. Car Don’t worry he won’t get far on foot appartient avant tout au genre très cadenassé de la biographie filmique, dans lequel l’arrière-plan d’une vie sert principalement à transmettre un message foncièrement édifiant, là aussi sous la forme d’un résumé romancé. De cette tâche guère évidente, le réalisateur s’acquitte plus qu’honorablement, grâce à un film qui affectionne au moins autant la plume irrévérencieuse du dessinateur John Callahan que son combat en tous points exemplaire contre l’alcoolisme. Une charge considérable de clichés larmoyants, apparemment tous réunis dans sa pauvre personne pour rendre infernale l’existence du protagoniste, orphelin, paraplégique et constamment bourré, y est en effet traitée avec une fermeté ironique, qui exclut d’emblée tout débordement sentimental.

Synopsis : Abandonné à un jeune âge par sa mère dont il ne sait que deux ou trois choses, comme le fait qu’elle ne voulait pas de lui, John Callahan a été un alcoolique depuis l’adolescence. A 21 ans, il est impliqué dans un accident de voiture, qui lui coûtera définitivement la faculté de marcher. Plus aigri et apitoyé sur son sort que jamais, John continue de boire, jusqu’au jour où il commence à fréquenter les réunions animées par le responsable extraverti des Alcooliques Anonymes Donnie. En parallèle, il retrouve le goût de dessiner et remporte un succès grandissant, grâce à ses cartoons qui moquent ouvertement la communauté des personnes handicapées.

Chucky, Raquel Welch et leurs porcelets

Il y a mille et une raisons pour fuir la réalité, ainsi que les dures responsabilités qui vont avec, en se soûlant au whisky ou à toute autre drogue rendant la routine du quotidien plus supportable. Le plus dur, c’est de remonter la pente après, de retrouver le courage de se relever après chaque rechute. Il existe de même d’innombrables façons de traiter ce fléau social au cinéma, comme on a pu le voir à peine quelques jours plus tôt en mode ascétique dans La Prière de Cédric Kahn, également en compétition à Berlin, ou bien sur un ton plus détaché, en mesure de faire la part des choses sans minimiser pour autant le malaise au niveau personnel, comme dans ce film-ci. Avant même de devenir un estropié physique de la vie, John Callahan traînait déjà un fardeau lourd sur ses épaules. Tandis que l’on pourrait croire que la lutte pour regagner sa dignité soit l’enjeu unique du récit, Gus Van Sant procède plutôt à une vue d’ensemble de cette situation éprouvante à travers les yeux du principal intéressé. Ainsi, la forme de narration est assez libre, alternant généralement avec succès entre différents niveaux temporels et mentaux, dont seule la rencontre par hologramme interposé avec la mère ne fonctionne pas vraiment, ne laissant jamais la pesanteur de la misère s’abattre durablement sur une intrigue somme-toute amusante ou en tout cas optimiste.

La tragédie de l’ennui

L’état d’indécision entre la résistance contre une vie précaire tracée d’avance d’un côté et l’abandon au laisser-aller dès que l’auxiliaire de vie peu accommodant a quitté la maison de l’autre est au cœur du parcours du protagoniste, un rôle haut en couleur pour lequel on aurait difficilement pu trouver un acteur moins vaniteux que Joaquin Phoenix. Celui-ci habite pleinement l’âme tortueuse de cet artiste iconoclaste, tour à tour pleurnichard quand il se sent abandonné de tous et surtout quand il perd la volonté de continuer à vivre ou au contraire euphorique, mais sans triomphalisme, chaque fois qu’il peut réclamer quelques modestes bribes d’autonomie. La qualité de l’interprétation perdure également chez les personnages secondaires, dont on peut citer Jonah Hill en conseiller extravagant mais nullement complaisant, Rooney Mara en créature de fantasme nordique qui tombe sous le charme du dessinateur provocateur ou bien Jack Black dans un contre-emploi saisissant, qui englobe en deux courtes apparitions de ce compagnon de beuverie aléatoire toute l’étendue des ravages de l’alcoolisme. Ce qui nous amène à l’accomplissement principal de Don’t worry he won’t get far on foot : d’être une publicité fervente en faveur du modèle de réhabilitation prôné par les Alcooliques Anonymes sans en avoir réellement l’air, ainsi que de célébrer la beauté de la vie sans insister outre mesure sur ses côtés sombres.

Conclusion

On aperçoit enfin la lumière à la fin du tunnel pessimiste, dans lequel Gus Van Sant avait dernièrement tendance à s’enfoncer. Ce retournement de moral se fait certes au prix d’un conte passablement volontariste, mais en échange Don’t worry he won’t get far on foot immortalise sur un ton joliment irrévérencieux l’héritage artistique et philosophique de John Callahan, un homme qui était prédestiné à être un paria acariâtre, avant de se ressaisir avec persévérance et de devenir une source d’inspiration pour tous ceux et toutes celles à qui la vie n’a pas fait de cadeau.

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