Test Blu-ray : La Tête contre les murs

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La Tête contre les murs

France : 1959
Titre original : –
Réalisation : Georges Franju
Scénario : Jean-Pierre Mocky, Jean-Charles Pichon
Acteurs : Jean-Pierre Mocky, Pierre Brasseur, Paul Meurisse
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h32
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 20 mars 1959
Date de sortie DVD/BR : 19 juillet 2023

François, jeune rebelle instable issu de la bourgeoisie, défie son père une fois de trop. Celui-ci le renie et le fait interner dans un asile psychiatrique…

Le Film

[4/5]

Les films abordant de front la problématique du sort réservé aux « fous » dans la société ne sont pas nombreux, mais une poignée de films traitant de la question des institutions psychiatriques est quand même parvenue à marquer la mémoire des cinéphiles. Le plus connu d’entre eux est sans aucun doute Vol au-dessus d’un nid de coucous, lauréat de plusieurs Oscars en 1975, qui permettait à Milos Forman de condamner avec virulence le traitement réservé par la société américaine aux malades mentaux. Pour autant, Forman n’était pas le premier à aborder le sujet : douze ans avant lui, il y avait déjà eu le Shock Corridor de Samuel Fuller (1963), et encore quelques années avant, en 1959 pour être précis, il y avait eu La Tête contre les murs, réalisé par Georges Franju sur un scénario de Jean-Pierre Mocky – un film qui tentait déjà, à l’époque, d’attirer l’attention du public sur le type de pratiques psychiatriques dans la France des années 50.

Adapté d’un roman partiellement autobiographique d’Hervé Bazin, La Tête contre les murs ne traite pas tant de la folie que de la détention : l’élément le plus choquant du film est en effet peut-être bien cette idée d’incarcération forcée, fomentée par des parents sans scrupules avec le soutien du corps médical, de personnes en bonne santé. Si tout cela pourra peut-être sembler un peu éculé et prévisible pour le spectateur contemporain (notamment dans la structure stéréotypée du film, qui oppose l’institution à l’individu), mais Georges Franju et Jean-Pierre Mocky – scénariste et acteur principal du film – n’en délivrent pas moins une œuvre plus nuancée qu’on aurait pu s’y attendre. Ainsi, la futilité de la rébellion du personnage principal nous est présentée d’entrée de jeu, à travers le portrait d’un jeune homme né avec une cuillère d’argent dans la bouche et cherchant à attirer l’attention de son père en fréquentant beatniks et autres gigolos.

Dès les premiers plans de La Tête contre les murs, la caméra de Georges Franju nous présente déjà le jeune homme comme prisonnier de sa condition : chacun de ses mouvements l’emprisonne effectivement dans le cadre, il est prisonnier du regard du spectateur qui ne le quitte jamais. De plus, dans ses relations aux autres, cela semble être sa naïveté et ses problèmes émotionnels qui priment sur toute autre considération, ce qui tend à faire du personnage incarné à l’écran par Jean-Pierre Mocky une victime du système, qui subit son existence plutôt qu’il ne la vit. Alors bien sûr, La Tête contre les murs n’y va pas de main morte dans sa description du type de soins psychiatriques qui prévalaient à l’époque, mais à travers le choc de la rencontre entre Georges Franju, le documentariste de 47 ans, et Jean-Pierre Mocky, le chien fou de 30 ans à peine, le film aborde également des questions sociétales plus larges, telles que la division croissante entre les générations, ce qui l’amènera à régulièrement être assimilé aux films de la Nouvelle Vague, et ce même si ni Franju ni Mocky n’en ont jamais réellement fait partie.

Mais le fait est que La Tête contre les murs est le fruit d’une des collaborations les plus improbables du cinéma français. Jean-Pierre Mocky, acteur confirmé, souhaitait à l’époque entamer une carrière de réalisateur, mais bien qu’il ait écrit le scénario du film, il ne parviendrait pas à trouver un producteur qui lui fasse confiance. La grande question qui réside aujourd’hui, et que l’on retrouve en grande partie dans les riches suppléments de l’édition Blu-ray éditée par ESC Éditions, est donc de déterminer lequel de ces deux hommes a eu le plus grand impact créatif sur le film. Voilà une question sur laquelle il semble bien difficile de trancher : l’empreinte de Georges Franju semble en effet évidente d’un point de vue visuel, et dans le mélange troublant de réalisme et de poésie onirique qui nous est donné à voir. C’est d’autant plus clair que deux des acteurs des Yeux sans visage, à savoir Pierre Brasseur et Edith Scob, figuraient déjà au casting de La Tête contre les murs.

Mais la mainmise de Jean-Pierre Mocky n’est pas non plus à négliger : il a non seulement coécrit le scénario, mais s’est également occupé du casting (qui mélangeait acteurs confirmés et étoiles montantes), des repérages des décors et apparait en tant que rôle principal. De plus, la légende autour de La Tête contre les murs raconte que Mocky a été amené à diriger plusieurs scènes après que Franju ait vu un vrai patient de l’institution psychiatrique où ils tournaient trancher la gorge d’un autre avec une lame de rasoir. Néanmoins, avec le recul, il semble évident que l’opposition entre les deux cinéastes, tant en termes de sensibilité que d’approche esthétique, a contribué à créer une œuvre assez unique ; le plus amusant étant probablement que cette opposition de point de vue se retrouve également dans l’intrigue du film, qui confronte les méthodes de deux psychiatres vis-à-vis de leurs patients.

Les deux médecins au cœur de La Tête contre les murs, incarnés par Pierre Brasseur et Paul Meurisse, représentent en effet deux approches radicalement opposées des soins psychiatriques, et disposent tous deux de jolis moments afin d’exprimer leur façon de voir. Désigné comme le médecin « réactionnaire », le personnage de Pierre Brasseur n’est pas pour autant dépeint comme un sadique ou un homme dangereux : son idée fixe est la protection de la société. Les arguments qu’il présente à Paul Meurisse lors de leurs échanges semblent d’ailleurs parfaitement raisonnables, même si l’attitude douce et bienveillante vis-à-vis des patients prônée par Paul Meurisse donne également des résultats. Ce clivage entre le psychiatre progressiste et le conservateur est une des clés de voûte du film, et soulève des questions morales et sociales qui s’avèrent encore d’actualité plus de soixante ans après la sortie du film.

Le Blu-ray

[5/5]

Disponible chez ESC Éditions dans une édition Blu-ray très attendue, La Tête contre les murs s’offre donc aujourd’hui un lifting Haute-Définition sur galette Blu-ray qui permettra aux cinéphiles de redécouvrir ce film encore trop méconnu. Le film de Georges Franju a fait l’objet d’une restauration 4K extrêmement soignée, et aussi bien côté image que côté son, le master proposé par l’éditeur s’avère de toute beauté. Le piqué est précis, le grain cinéma est parfaitement préservé, et le noir et blanc ainsi que les contrastes semblent avoir fait l’objet de toutes les attentions. L’ensemble est donc magnifique et s’impose comme une redécouverte indispensable, surtout étant donné la force du message du film, qui n’a rien perdu de son actualité. Rien à redire non plus sur le mixage audio, proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine, clair et sans souffle. Du très beau travail technique !

Côté suppléments, ESC Éditions nous propose plus d’une heure de bonus donnant notamment la parole à des spécialistes de l’œuvre de Georges Franju et de Jean-Pierre Mocky. On commencera par une présentation du film par Eric Le Roy (25 minutes), qui sera essentiellement consacrée au fait que le film peut tout à la fois être considéré soit comme le premier film de Franju, soit comme le premier film de Mocky. Les apports de l’un et de l’autre sont disséqués de façon claire et détaillée, et l’on sent confusément que le chef du service « accès, valorisation et enrichissement des collections » aux Archives françaises du film du CNC, accessoirement auteur d’un livre sur Jean-Pierre Mocky, pencherait plus du côté du trublion Mocky s’il fallait trancher pour une paternité à donner à La Tête contre les murs. Cet entretien sera complété par un album photo contenant des articles et coupures de presse consacrés au film, et commenté par Eric Le Roy (8 minutes). On continuera ensuite par un entretien avec Bernard Payen (26 minutes), qui quant à lui se concentrera sur la carrière et l’œuvre de Georges Franju, avec un petit détour un peu plus appuyé par le film qui nous intéresse aujourd’hui. Le sujet suivant consiste en un entretien avec Jacques Ayroles (20 minutes), responsable de la collection d’affiches à la Cinémathèque française entre 1993 et 2022, qui reviendra sur les particularités des affiches de La Tête contre les murs. Last but not least, et en complément de la traditionnelle bande-annonce, on terminera par un entretien avec Jean-Pierre Mocky (10 minutes), probablement enregistré aux alentours de 2009, puisqu’il y évoque les cinquante ans du film. En l’espace de dix minutes, il nous proposera un condensé passionnant de tout ce que l’on avait déjà entendu durant les autres entretiens, mais il le fera avec le franc-parler qu’on lui connaissait. Il reviendra rapidement sur la genèse du film, et ne niera pas l’apport de Georges Franju, ce dernier ayant apporté au film sa poésie et son savoir-faire dans le domaine du documentaire.

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