Cannes 70 : la ronde des prix d’interprétation

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70 ans, 70 textes, 70 instantanés comme autant de fragments épars, sans chronologie mais pas au hasard, pour fêter les noces de platine des cinéphiles du monde entier avec le Festival de Cannes. En partenariat avec le site Écran Noir, nous lançons le compte à rebours : pendant les 70 jours précédant la 70e édition, nous nous replongeons quotidiennement dans ses 69 premières années.

Aujourd’hui, J-43. Retrouvez nos précédents textes du dossier Cannes 70 en cliquant sur ce lien.

Lorsque l’on reçoit un Prix à Cannes, on déclare souvent que c’est une surprise, sans avouer que c’est un rêve depuis longtemps. Bien plus qu’une récompense, c’est une consécration. Par exemple, il y a un acteur français qui avait déjà tourné des dizaines de films sous la direction de Claude Pinoteau, Claude Lelouch, Pierre Jolivet, Benoit Jacquot, Claire Denis, Fred Cavayé ou encore Philippe Lioret, qui avait déjà été nommé 5 fois pour un César du meilleur acteur mais sans jamais l’avoir, et qui à 55 ans est appelé sur scène par les frères Joel et Ethan Coen pour recevoir la Palme du prix d’interprétation : c’était en 2015, pour le film La Loi du marché de Stéphane Brizé, et l’acteur Vincent Lindon, très ému, était au bord des larmes. Il a eu ce mot en hommages à ses parents disparus : « Quand je pense que j’ai fait tout ça pour qu’ils me voient, et qu’ils ne sont plus là... », tout en citant une maxime de William Faulkner « Faites des rêves immenses pour ne pas les perdre de vue en les poursuivant. ».

Un Prix d’interprétation au Festival de Cannes c’est la récompense qui fait qu’on est acteur, mais aussi pour d’autres qu’on naît acteur.

Au cours de ces presque 70 éditions, on imagine que les différents jurys ont toujours fait les bons choix lors de leurs délibérations. Pourtant, chaque année, il y a souvent un trio de noms pouvant prétendre à ce Prix, et forcément il y a eu parfois des oublis et des choix controversés. Le saviez-vous ? La chanteuse Cher a eu un Prix d’interprétation pour Mask de Peter Bogdanovich en 1985, Michel Blanc lui aussi pour Tenue de soirée de Bertrand Blier en 1986.

Bien d’autres acteurs et actrices au profil atypique ont reçu cette distinction : la chanteuse Björk rôle principal de Dancer in the Dark en 2000 (dont elle est aussi compositrice des musiques), en 2004 le jeune Yûya Yagira pour Nobody Knows de Hirokazu Kore-Eda (il a alors seulement 14 ans), en 1996 Pascal Duquenne, comédien belge atteint de trisomie, pour Le Huitième Jour (prix partagé avec Daniel Auteuil)…

Parfois, il est difficile de dissocier les deux personnages principaux d’un film : en 1998, ce sont ainsi Élodie Bouchez et Natacha Régnier qui sont distinguées pour La Vie rêvée des anges, en 1999 les amateurs Emmanuel Schotté et Séverine Caneele pour L’Humanité de Bruno Dumont (ce qui n’a pas manqué de créer la controverse). Mais il y a aussi des exceptions : en 2015, c’est Rooney Mara qui est primée dans Carol de Todd Haynes, mais sans sa partenaire Cate Blanchett. Même chose pour Tony Leung qui remporte le Prix en 2000 pour In the mood for love, sans Maggie Cheung.

En 2009, parmi le gros casting de stars de Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, c’est un acteur allemand plutôt méconnu à l’international qui est sacré : Christoph Waltz, qui depuis a été propulsé star hollywoodienne en enchaînant les tournages.

Même chose pour cette jeune fille qui se souvient en ces termes de sa première expérience cannoise  : « J’avais 17 ans, je venais d’avoir le bac, c’était mon premier film et, comme il était présenté en fin de festival, tout s’est déroulé en moins de trois jours, j’ai vécu un conte de fées à 200 à l’heure ». La jeune débutante, c’est Emilie Dequenne qui remporte le Prix  en 1999 pour Rosetta de Jean-Pierre et Luc Dardenne, et qui depuis a tourné plus de 25 films.

Rejoindre la légende…

Quel que puisse être l’éventuel succès des films dans lequel il joue, ce qui fait briller les yeux d’un acteur, c’est la couleur dorée d’une statuette, en particulier un Oscar (mais il faut remplir plusieurs critères de présélection) ou bien  sûr une Palme à Cannes (avec son prestige de plus grand festival du monde). Car recevoir un prix d’interprétation sur la Croisette, c’est aussi inscrire son nom au panthéon du cinéma, aux côtés des plus grandes légendes. Imaginez un peu !

Pour les hommes, ont été récompensés Marlon Brando, Paul Newman, Spencer Tracy, Anthony Perkins, Terence Stamp, Jean-Louis Trintignant, Jack Nicholson, Vittorio Gassman, Michel Piccoli, Ugo Tognazzi, William Hurt, Forest Whitaker, Gérard Depardieu, Sean Penn, Peter Mulan, Olivier Gourmet, Benicio Del Toro, Javier Bardem, Jean Dujardin, Mads Mikkelsen, et donc Vincent Lindon… De même, pour les femmes, on compte Michèle Morgan, Bette Davis, Simone Signoret, Jeanne Moreau, Sophia Loren, Katharine Hepburn, Anouk Aimée, Meryl Streep, Irène Jacob, Holly Hunter, Maggie Cheung, Jeon Do-yeon, Charlotte Gainsbourg, Juliette Binoche, Kirsten Dunst

Il y a eu plusieurs fois des prix partagés pour l’ensemble des rôles principaux d’un film et des prix ex-aequo pour deux talents de deux films différents. Mais l’honneur ultime, comme pour la Palme d’or du meilleur film, c’est d’entrer dans le cercle très fermé de ceux qui ont eu l’exceptionnel privilège d’être couronné plusieurs fois : Dean Stockwell (1959 et 1962), Marcello Mastroianni (1970 et 1987), Jack Lemmon (1979 et 1982), Vanessa Redgrave (1966 et 1969), Isabelle Huppert (1978 et 2001), Helen Mirren (1984 et 1995), Barbara Hershey (1987 et 1988), et Isabelle Adjani (double prix en 1981 pour deux films différents).

Prix symboliques

Logiquement, ce sont les membres du jury qui décident du palmarès. Mais il est aussi arrivé que la direction du Festival de Cannes organise la remise d’une Palme d’honneur d’interprétation en hommage à une prolifique carrière. Cette récompense spéciale et symbolique a déjà été attribuée à Jeanne Moreau, Catherine Deneuve, Jane Fonda, Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Léaud.

La Palme d’or étant la récompense suprême de meilleur film, c’est au réalisateur qu’elle est attribuée,  mais son prestige rayonne évidemment sur toute son équipe et ses acteurs. Toutefois, certains jurys ont parfois voulu doubler la Palme d’or avec un Prix d’interprétation, afin de saluer spécifiquement le travail du comédien ou de la comédienne : on se souvient notamment du doublé meilleur acteur et meilleur film pour Charles Vanel et Le Salaire de la peur, Jack Lemmon et Missing, James Spader et Sexe, Mensonges et Vidéo, John Turturro et Barton Fink, Pernilla August et Les Meilleures Intentions, Holly Hunter et La Leçon de piano, Brenda Blethyn et Secrets et mensonges, Émilie Dequenne et Rosetta, Björk et Dancer in the Dark.

En 2013, le jury de Steven Spielberg va plus loin : il attribue la Palme d’or au réalisateur Abdellatif Kechiche et conjointement à ses deux actrices, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos pour La Vie d’Adèle, ce qui lui permet de remettre le Prix d’interprétation à Bérénice Béjo pour Le Passé d’Asghar Farhadi. L’année précédente, le jury n’ayant pas jugé bon de souligner le travail de ses comédiens, Michael Haneke avait lui partagé symboliquement la Palme d’or pour son film Amour avec le duo Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva, bien qu’ils ne soient pas officiellement nommés au palmarès.

Qu’il s’agisse d’un objectif, d’un rêve inaccessible ou juste d’un fantasme,  recevoir le Prix d’interprétation à Cannes est un couronnement, mais surtout un coup de projecteur qui permet de mettre en lumière le travail d’un acteur ou d’une actrice, quelle que soit sa notoriété ou sa carrière. Au lauréat ensuite de faire fructifier cette récompense, de transformer l’essai ou de s’estimer simplement chanceux d’avoir été honoré ainsi une fois dans sa vie. Il n’y a pas d’obligation de résultat, pas de règle à suivre, juste un espoir. Et une certitude : celle d’avoir été, le temps d’un festival, le ou la meilleur(e) comédien(ne) du monde.

Kristofy pour Ecran Noir

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