Critique : A Most Violent Year

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A MOST VIOLENT YEAR AFFICHEA Most Violent Year

France, 2014
Titre original : –
Réalisateur : J. C. Chandor
Scénario : J. C. Chandor
Acteurs : Oscar Isaac, Jessica Chastain, Albert Brooks
Distribution : StudioCanal
Durée : 2h05
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 31 décembre 2014

Note : 4/5

Après Margin Call, un drame bavard à Wall Street et son opposé absolu le silencieux All is lost avec Robert Redford perdu seul en mer, le cinéaste J.C.Chandor s’impose avec ce qui apparaît comme un croisement de ces deux approches cinématographiques comme l’un des auteurs les plus importants du cinéma américain contemporain avec ce film noir à la violence feutrée.

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Synopsis : New-York en 1981, considérée comme l’année la plus violente de son histoire. C’est dans ce contexte qu’Abel Morales tente de vivre son rêve américain en vendant du pétrole, un milieu gangrené par la criminalité et la corruption. Homme droit dans un univers qui ne l’est pas, il s’inquiète des braquages dont sont victimes ses chauffeurs à qui il refuse d’autoriser de porter des armes. En allant porter plainte contre ces agressions, il apprend qu’un procureur ambitieux enquête sur ses activités qu’il défend comme étant légales.

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Dans l’ombre de Sidney Lumet

L’autre défi qui va mettre en danger la santé financière de son activité professionnelle est l’achat d’un entrepôt à des juifs hassidiques. L’étau va lentement mais sûrement se resserrer autour de cet homme d’affaires pressé de toute part autant par ses adversaires qui veulent le couler (un procureur ambitieux, des rivaux en affaires avec moins d’éthique, des petits ou grands braqueurs) que par ses alliés (employés qui veulent porter des armes pour se défendre, avocat, épouse) qui vont tenter de le pousser à la faute malgré ses réticences à glisser du côté sombre des affaires pétrolifères. Cette étude de caractères sans concession sur l’esprit d’entreprise revendique, sans s’en détourner mais sans le plaquer artificiellement à l’imaginaire de son auteur, l’héritage d’un certain cinéma policier américain des années 70, en premier lieu les observations fines de Sidney Lumet sur la frontière entre les questions de morale familiale, personnelle, sociale et de justice, l’ombre de certains de ses chefs d’oeuvre, de Serpico à 7 h 58 ce samedi-là, en passant par Un après-midi de chien, Le Prince de New York, City Hall ou Dans l’ombre de Manhattan planant sur les mésaventures d’Abel Morales.

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Plutôt que la représentation effective d’une année violente promis par le titre (tout juste entend-on à la radio qu’un tueur au couteau sévit dans Manhattan), J.C.Chandor propose une œuvre plus complexe. Sa maîtrise dans l’écriture permet une tension permanente avec des dialogues riches en sous-entendus et dont le flot coule avec naturel tout en possédant une dimension littéraire brillante avec ses joutes verbales feutrées qui font avancer subtilement l’action. Entendre chacune des discussions, entre affaires légales, menaces plus ou moins directes des représentants de la loi ou de personnages plus directement malhonnêtes est un bonheur grâce à une merveille d’intelligence dans le choix de chaque mot, réfléchi sans être précieux. Les cheminements du scénario surprennent et pourtant tout reste cohérent, sans effet dramatique inutile ou de grandes révélations. Pas de grandes déclarations mais un art consommé d’un certain savoir, celui de maîtriser sa parole, de dire ce que l’autre veut entendre sans trahir sa position dans la société. Beaucoup d’éléments restent à la marge, conservant une part de mystère sur la nature de ces héros, de leurs relations, de ce qu’ils s’avouent ou se cachent.

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Entre tragédie et western

La mise en scène n’est pas en reste. Dans ce croisement très américain entre western et tragédie d’un homme qui porte son destin funèbre dans son refus de la compromission qui pourtant pèse sur chacune de ces décisions, le réalisateur emmène avec une virtuosité de montage, de cadre et de rythme son scénario vers les évolutions de son protagoniste. Si son script est plus bavard que riche en scènes violentes, J.C.Chandor ne résiste pas à l’envie de filmer une fusillade (qui s’achève bizarrement dans le rapport entre ceux qui échangent des coups de feu) et surtout l’une de ces grandes poursuites en voiture que nous offre le cinéma américain, comme celles de William Friedkin (French Connection, Police Fédérale Los Angeles et même Jade), tendue, riche en suspense et qui permet à Abel Morales de se laisser aller à cette violence rentrée qu’il contrôle et dans laquelle il se refuse à glisser.

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Chaque scène est comme un tableau grâce à la photo riche en contrastes et les clairs obscurs d’un nouveau grand nom de l’image, Bradford Young, déjà remarqué récemment pour Les Amants du Texas sur lequel planait l’ombre (jusqu’à la caricature) du travail de Nestor Almendros pour Terrence Malick (Les Moissons du ciel). Ici, il trouve le tonalité chromatique juste avec des couleurs sombres qui accompagnent le travail de reconstitution de la période. Malgré un rythme faussement lent surtout dans sa première heure qui établit les rapports de force et la pression grandissante sur les épaules de Morales, le suspense est total, l’on attend et l’on craint les montées de violence potentielles qui viendront ou pas, leur représentation n’est même pas nécessaire.

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Une ambition partagée

Oscar Isaac est exemplaire en faux candide prudent dans sa montée vers la gloire. La richesse de son interprétation est fascinante et confirme une nouvelle fois sa versatilité, sa capacité à endosser un nouveau costume de film en film (Drive, Inside Llewyn Davis et même sa brève apparition dans Jason Bourne : L’Héritage). Il fait sienne l’ambiguïté morale de Morales qui semble ne rien cacher de sa personnalité même si la vérité est plus trouble, ne serait-ce qu’à observer son soulagement dans une scène quasi finale avec la décision sans appel d’un de ses interlocuteurs. Son épouse est plus complexe, se refusant à n’être que la potiche d’un homme promis au succès. Elle veut participer à chaque prise de décision, même si elle agit plus à la marge et révèle une intelligence implacable, une connaissance parfaite du milieu où elle évolue.

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Jessica Chastain parfaite en calculatrice rouée, une Lady Macbeth en puissance qui défend son mari en sachant quelles lignes ne pas franchir pour ne pas le heurter (Nous n’avons rien à cacher, dit-elle, contredite immédiatement par ses actions). Elle va plus loin que lui, conseillée par leur avocat personnel interprété par Albert Isaac (Drive) à l’ironie experte avec qui elle protège Abel de ses légitimes limites en contournant son intégrité pour mener à bien leurs affaires. Elle est ambitieuse et cet homme, qu’elle aime manifestement, lui permet de vivre la vie de reine dont elle rêve et rien ne peut entraver leur destin glorieux, ou sa quête de respect, la question des origines se posant sans cesse. Abel Morales est un immigré qui veut vivre son rêve américain, son épouse la fille d’un homme aux activités douteuses et si on ne le voit jamais, son passé couvre le futur de son gendre et le procureur est un noir américain à une période, le début des années 80, où accéder à des postes de pouvoir était loin d’être aisé pour les minorités.

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Conclusion

Un très grand moment de cinéma avec un héros qui refuse d’être un gangster et qui illustre la difficulté de conserver son honnêteté avec plus ou moins d’hypocrisie dans un monde fourbe où se compromettre est presque inévitable.

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