Critique : Trois visages

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Trois visages

Iran : 2018
Titre original : Se rokh
Réalisation : Jafar Panahi
Scénario : Jafar Panahi, Nader Saeivar
Interprètes : Behnaz Jafari, Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei
Distribution : Memento Films Distribution
Durée : 1h40
Genre : drame
Date de sortie : 6 juin 2018

4/5

Toujours assigné à résidence dans son pays, toujours sous le coup d’une interdiction de réaliser des films, le réalisateur iranien Jafar Panahi arrive toutefois à nous proposer régulièrement des films et on ne peut qu’être bluffé par l’inventivité dont il fait preuve pour contrebalancer les conditions de tournage certainement très difficiles auxquelles il doit faire face. Présenté en compétition à Cannes 2018, son dernier film, Trois visages s’est vu décerner le Prix du scénario, écrit par Jafar avec Nader Saeivar, ex-aequo avec Heureux comme Lazzaro, écrit par sa réalisatrice, Alice Rohrwacher. C’est à sa fille Solmaz, exilée en France, qu’a été remis le prix lors de la cérémonie de clôture.

Synopsis : Une célèbre actrice iranienne reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice… Elle demande alors à son ami, le réalisateur Jafar Panahi, de l’aider à comprendre s’il s’agit d’une manipulation. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille, dans les montagnes reculées du Nord-Ouest où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale.…

Un road movie dans la campagne iranienne

Après la savoureuse immersion dans la capitale du pays à laquelle nous conviait Jafar Panahi dans Taxi Téhéran, nous voici entraîné.e.s dans une découverte de l‘Iran des campagnes dans Trois visages. Le prétexte : un petit film tourné avec un téléphone portable et envoyé à Behnaz Jafari, une célèbre actrice iranienne, film dans lequel une jeune fille qui rêve de devenir actrice et dont la famille refuse qu’elle aille au conservatoire dans lequel elle a été admise, demande de l’aide face à l’objectif tout en préparant son suicide par pendaison. Qui a tourné ce film ? Y a-t-il eu réellement suicide ? S’agit-il d’une manipulation ? Désirant recevoir une réponse aux questions qu’elle se pose, Behnaz décide ne pas se rendre à la journée de tournage à laquelle il était prévu qu’elle participe et, accompagnée de Jafar Panahi, à qui le petit film devait être transmis, la voici partie vers le nord-ouest de l’Iran, une région dans laquelle l’azéri, langue appartenant à la famille des langues turques, est davantage parlé que le farsi.

Ce prétexte permet de multiplier les rencontres, très souvent savoureuses, de se confronter à la langue des klaxons, de faire des clins d’œil à l’histoire du cinéma iranien et de délivrer un certain nombre de messages à caractère politique, par exemple sur la condition de la femme en Iran ou sur celle des acteurs et des réalisateurs qui ne peuvent plus revenir en Iran ou, au contraire, en partir.

Trois personnages d’actrices

C’est dans les villages dont sont originaires ses parents et ses grand-parents que Jafar Panahi est allé installer sa caméra. Une région qu’il connait bien et dont il parle la langue, l’azéri, ce qui lui évite de rencontrer les problèmes d’incommunicabilité dont on perçoit qu’ils peuvent exister lorsqu’un iranien de Téhéran vient la visiter. Dans cette région très attachée aux traditions et très conservatrice, les habitants d’un village sont tout à fait capables d’accueillir comme une reine une  actrice célèbre tout en refusant à l’une des leurs de devenir ce qu’ils appellent avec mépris une saltimbanque. Une région dans laquelle on est convaincu que l’endroit où le parrain d’un garçon va placer le prépuce de ce dernier aura une grande importance sur son avenir.

C’est au travers de trois visages d’actrices, des actrices de générations différentes, que Jafar Panahi évoque l’histoire du cinéma iranien, un cinéma qui n’a cessé d’être entravé dans sa recherche d’une totale liberté de penser et de tourner. Au point que, par exemple, Abbas Kiarostami a souvent été contraint de transposer dans le monde des enfants, de façon plus ou moins subliminale, les problèmes rencontrés par les adultes de son pays. Panahi, qui fut assistant de Kiarostami sur le tournage de Au travers des oliviers, ne manque pas de lui faire quelques clins d’œil, par exemple, référence à Le vent nous emportera, lorsqu’un vieil homme  précise qu’il n’y a plus de trésor dans le cimetière du village !

 

Et, en plus, une très belle photographie !

Dans Trois visages, tous les protagonistes portent leurs propres noms. Même, concernant la référence à la comédienne de la génération la plus ancienne, un personnage que l’on ne voit pas dans le film, il s’agit de Shahrzad, une véritable actrice, très populaire dans les années 70 mais que la révolution islamique a bannie des écrans.

Grâce à une caméra très sensible, envoyée de France par sa fille Solmaz, grâce aussi à Amin Ja’fari, le directeur de la photographie, Trois visages bénéficie d’une très belle image, avec une excellente utilisation de la lumière. 

Conclusion

A mi-chemin entre fiction et documentaire, Trois visages, dont tout laisse penser qu’il a été tourné dans des conditions difficiles, est un film d’une grande richesse, un film qui, au travers de trois personnages d’actrices appartenant à des générations différentes, évoque avec humour, tendresse et nostalgie les difficultés qu’a toujours rencontrées le cinéma iranien.

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