Critique : les huit montagnes

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Les huit montagnes

Italie, Belgique, France : 2022
Titre original : Le Otto Montagne
Réalisation : Charlotte Vandermeersch, Felix Van Groeningen
Scénario : Charlotte Vandermeersch, Felix Van Groeningen d’après le roman de Paolo Cognetti
Interprètes : Luca Marinelli, Alessandro Borghi, Filippo Timi
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 2h27
Genre : Drame
Date de sortie : 21 décembre 2022

4.5/5

Vraiment particulier ce réalisateur belge flamand Felix Van Groeningen, tout à la fois capable de proposer un film d’une grande lourdeur comme La merditude des choses et de le faire suivre par Alabama Monroe, un bijou de finesse et de chaleur humaine. Après avoir réalisé  My beautiful boy aux Etats-Unis, le voici qui se tourne vers l’Italie avec l’adaptation de « Les huit montagnes », un roman de Paolo Cognetti qui obtint le Prix Médicis étranger en 2017. C’est avec sa compagne, l’actrice Charlotte Vandermeersch, qu’il a écrit le scénario puis réalisé le film. Un travail en commun qui a été pour eux l’équivalent d’une thérapie de couple puisque, lorsqu’ils l’ont commencé, leur couple traversait, parait-il, une période difficile. Présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, Les huit montagnes s’est vu décerner le Prix du jury, ex-æquo avec Eo, de Jerzy Skolimowski.
 

Synopsis : Pietro est un garçon de la ville, Bruno est le dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste. Ils se lient d’amitié dans ce coin caché des Alpes qui leur tient lieu de royaume. La vie les éloigne sans pouvoir les séparer complètement. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro parcourt le monde. Cette traversée leur fera connaître l’amour et la perte, leurs origines et leurs destinées, mais surtout une amitié à la vie à la mort.

Une amitié

Il arrive parfois que des décisions prises dans un but bien précis se traduisent par l’obtention d’un résultat à l’opposé de ce but. C’est ce qui s’est passé dans un petit village de 180 habitants du Val d’Aoste : pour faire venir un plus grand nombre d’habitants, on a construit une belle route et, au final, ce sont, au contraire, la plupart des habitants qui sont partis. C’est pourquoi, lorsque ses parents ont loué pour l’été une maison dans ce village, Pietro, pas tout à fait 12 ans, n’a trouvé qu’un seul enfant de son âge, Bruno, pour partager ses jeux dans la montagne et les baignades dans le lac le plus proche. C’est dans ces conditions qu’est née une grande amitié entre Pietro, un enfant de la ville dont la mère est institutrice et dont le père est ingénieur dans une usine dans laquelle travaillent 10 000 personnes et n’est là que durant les week-ends, et Bruno, un enfant de la montagne dont le père, maçon, travaille le plus souvent à l’étranger et qui est élevé par son oncle et sa tante, lesquels, à la tête d’un troupeau de quelques vaches, sont de petits producteurs de fromage.

Cette amitié montagnarde va se trouver renforcée lorsque, l’année suivante, Giovanni, le père de Pietro, féru de randonnées, emmène les deux adolescents vers les sommets des environs. Quel grain de sable pourrait venir perturber une amitié de jeunesse aussi forte ? Une erreur psychologique de la part des parents de Pietro qui proposent d’emmener Bruno à la ville afin qu’il puisse recevoir une éducation plus solide en ayant la possibilité d’aller au lycée ? Pas vraiment, même si, à cause de cette proposition, acceptée par l’oncle et la tante mais très mal reçue par le père de Bruno, ce dernier va être contraint de suivre son père sur ses chantiers, entamant une période de 15 ans au cours de laquelle Bruno et Pietro ne se verront pas. Une embrouille liée à Alba, une jeune fille très proche de Pietro et qui va décider de venir vivre et fabriquer du fromage de montagne avec Bruno ? Non, pas du tout, elle et lui n’étaient que bons amis, dira Pietro. Le comportement très « bobo » des amis citadins de Pietro dont Bruno se moque lorsqu’ils parlent de « la nature », une abstraction à qui il reproche d’être très très vague, alors que lui parle des arbres, des lacs, des alpages ? Leurs objectifs dans l’existence, Bruno de plus en plus ours des montagnes, enraciné au fond de sa vallée, loin des tumultes du monde, et Pietro qui veut trouver sa voix dans l’écriture et qui n’hésite pas à aller jusqu’au Népal pour la trouver ? Non, leur amitié est indéfectible et se trouvera une fois de plus renforcée lorsque, un été, ils remettent en état un chalet en ruine, un chalet en plein alpage dont Pietro a hérité à la mort de son père et qui va devenir leur repère estival préféré.

Une amitié indéfectible

Les huit montagnes raconte donc l’histoire d’une amitié née entre deux garçons alors qu’ils arrivaient à peine dans l’adolescence et qui va perdurer lorsqu’ils sont devenus des hommes. Bruno et Pietro sont différents, ils font des choix différents dans la vie, mais ils s’acceptent tel qu’ils sont, ils se respectent et, souvent éloignés l’un de l’autre, leurs retrouvailles sont chaque fois sources de bonheur simple et sincère. Il est probable que le travail que Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen ont fait ensemble pour porter à l’écran cette relation entre Pietro et Bruno a eu un impact positif sur la renaissance de leur couple, même si, bien sûr, une relation d’amitié entre deux hommes est forcément différente de celle qui lie un homme et une femme qui, comme le dit Charlotte Vandermeersch, sont à la fois « amis, amants, partenaires et parents ». Par ailleurs, dans leurs vies familiales, un point important rapproche Pietro et Bruno : les rapports conflictuels qu’ils vont avoir à un moment de leur existence avec leurs pères respectifs, Pietro en arrivant même à quitter sa famille, Bruno ne supportant plus le poids que son père fait peser sur ses épaules et en arrivant même à porter la main sur lui. Lorsque, après la très longue période durant laquelle Bruno et Pietro ne se verront pas, ce dernier aura la surprise de constater que, durant son absence auprès de sa famille, son ami a, en quelque sorte, pris sa place auprès de ce père qu’il a quitté, mais  même cet élément qui aurait pu être perturbant n’aura d’incidence sur cette amitié si forte.

Des choix judicieux

Lorsqu’on réalise un film sur une série d’évènements qui court sur près de 30 ans, il y a des choix à faire, des choix qui peuvent s’avérer très heureux ou, au contraire, prêter le flanc à la critique. Les choix faits par Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen s’avèrent particulièrement judicieux : ils n’ont pas cédé à la « mode » de la construction alambiquée, avec de nombreux aller-retours dans le temps, mais, par contre, dans ce film qui suit donc un ordre chronologique, ils ont fait un usage particulièrement intelligent des ellipses. C’est ainsi que, lorsque le film passe d’une période à une autre, il n’y a jamais d’indication de type « 10 ans après », et ce n’est que petit à petit, par les discussions lors de la séquence suivante, qu’on apprendra ce qui s’est passé d’important pendant le laps de temps non couvert par le film. Pour tourner ce film dans le format dit carré qui était très tendance au dernier Festival de Cannes, Felix Van Groeningen a de nouveau fait appel à son compatriote Ruben Impens, le Directeur de la photographie avec lequel il a toujours travaillé et qui a su mettre en valeur le décor somptueux de cette vallée des Alpes italiennes dans laquelle se déroule la plus grande partie de l’action. A noter l’éclectisme de ce Directeur de la photographie, capable de passer avec succès de l’univers glauque de Grave et de Titane, les deux films de Julia Ducournau, à l’univers lumineux et généreux de Huit montagnes.

Mais, au fait, pourquoi ce titre, Huit montagnes ? Est-ce le nombre de montagnes importantes entourant le petit village de Grana où est censée se dérouler l’action du film ? Pas du tout ! C’est dans le Népal où s’est rendu Pietro et, plus généralement, dans l’Asie du Sud-est, que se trouve la réponse : « Au centre de la terre se trouve le plus haut sommet du monde, le mont Meru, entouré de huit mers et de huit montagnes. La question est : quel est celui qui a le plus appris, celui qui s’est rendu sur les huit montagnes, ou celui qui a grimpé au sommet du mont Meru ? », une interrogation qu’on trouve aussi bien dans la cosmologie hindoue, dans la cosmologie jaïn et dans la cosmologie bouddhiste. Qui a le plus appris, Bruno, qui n’a jamais quitté sa vallée, ou Pietro, qui a parcouru le monde ? Pour l’interprétation de Pietro et Bruno, le choix s’est porté sur deux valeurs montantes du cinéma italien, avec Luca Marinelli, qui joue Pietro, plus connu en France (Martin Eden, Ricordi ?) que Alessandro Borghi, qui joue Bruno. Quant à la musique, c’est des montagnes suédoises qu’elle provient, avec les très belles chansons écrites et interprétées par Daniel Norgen, un homme très proche de Bruno dans sa manière de vivre au plus près des arbres, des lacs, des montagnes.

Conclusion

Comme c’était déjà le cas avec Alabama Monroe, Felix Van Groeningen, cette fois ci en collaboration avec sa compagne Charlotte Vandermeersch, nous fait le cadeau de nous offrir un film réunissant tous les ingrédients indispensables pour la réussite d’un grand film romanesque : une histoire magnifique dans laquelle l’émotion est toujours présente mais jamais forcée, un montage d’une grande intelligence qui fait régner une tension qui, jamais, ne lâche le spectateur, une interprétation brillante, une photographie somptueuse et le choix d’un accompagnement musical de haute tenue. Aucun doute, Les huit montagnes est vraiment un des grands films de l’année !

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