Critique : Quai d’Orsay

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affiche quai d'orsayQuai d’Orsay

France : 2012
Titre original : Quai d’Orsay
Réalisateur : Bertrand Tavernier
Scénario : Bertrand Tavernier, Christophe Blain, Antonin Baudry
Acteurs : Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz, Niels Arestrup, Anaïs Demoustier, Julie Gayet
Distribution : Pathé Distribution
Durée : 1 h 53
Genre : Comédie
Date de sortie : 6 novembre 2013

Globale : [rating:4][five-star-rating]

À 72 ans, Bertrand Tavernier est sans conteste un des plus grands réalisateurs français vivants. C’est aussi un des plus jeunes d’esprit et un des plus éclectiques quant aux thèmes abordés. C’est dans une BD très populaire qu’il est allé puisé la matière pour son dernier film, une œuvre passionnante et très tonique, une œuvre de laquelle il est quasiment impossible de décrocher une seconde sur les 113 minutes de projection.

Synopsis : Alexandre Taillard de Worms est grand, magnifique, un homme plein de panache qui plait aux femmes et est accessoirement ministre des Affaires Étrangères du pays des Lumières : la France. Sa crinière argentée posée sur son corps d’athlète légèrement halé est partout, de la tribune des Nations Unies à New-York jusque dans la poudrière de l’Oubanga. Là, il y apostrophe les puissants et invoque les plus grands esprits afin de ramener la paix, calmer les nerveux de la gâchette et justifier son aura de futur prix Nobel de la paix cosmique. Alexandre Taillard de Vorms est un esprit puissant, guerroyant avec l’appui de la Sainte Trinité des concepts diplomatiques : légitimité, lucidité et efficacité. Il y pourfend les néoconservateurs américains, les russes corrompus et les chinois cupides. Le monde a beau ne pas mériter la grandeur d’âme de la France, son art se sent à l’étroit enfermé dans l’hexagone. Le jeune Arthur Vlaminck, jeune diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre ! Mais encore faut-il apprendre à composer avec la susceptibilité et l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares… Alors qu’il entrevoit le destin du monde, il est menacé par l’inertie des technocrates.

Quai d'Orsay 4

Au départ, une BD

Il était une fois un diplomé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Normale Supérieure lettres, une très, très grosse tête donc, qui s’était retrouvé plume de Dominique de Villepin lorsque celui-ci était Ministre des Affaires Etrangères entre 2002 et 2004. Son nom : Antonin Baudry. Il était une fois un scénariste de bande dessinée qui, en collaboration avec le dessinateur et scénariste Christophe Blain, avait écrit les deux volumes de la BD « Quai d’Orsay », dont le 2ème volume obtint le Fauve d’or au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2013. La meilleure BD de l’année, si vous préférez ! Son nom : Abel Lanzac. C’est là, à Angoulême, il y a quelques mois, que le masque est tombé : Abel Lanzac, c’est Antonin Baudry ! Après cela, difficile de prétendre que Quai d’Orsay nous raconte n’importe quoi en nous présentant Arthur Vlaminck, un jeune diplômé de l’ENA, plutôt de gauche, qui est embauché par Alexandre Taillard de Worms, Ministre des Affaires Etrangères, pour prendre en charge le « langage » dans son ministère. Il était une fois un très, très grand réalisateur français dont le dernier film, La princesse de Montpensier, était sorti à la même époque que le premier volume de la BD « Quai d’Orsay ». Un réalisateur qui aime plus que tout changer complètement d’univers d’un film à l’autre et dans les mains duquel un ami avait mis ce premier volume : l’histoire politique contemporaine prenant la suite des guerres de religion du 16ème siècle, difficile de faire mieux comme changement d’univers  ! Le nom de ce réalisateur : Bertrand Tavernier. Alors que Christophe Blain et Antonin Baudry avaient 3 propositions d’adaptation de leur BD à l’écran, celle de Tavernier leur apparut aussitôt comme la plus évidente. Ne restait plus qu’à écrire le scénario à partir de la BD, travail qui fut effectué par les 3 hommes, à New York, où Antonin Baudry est actuellement conseiller culturel à l’Ambassade de France.

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De la BD au cinéma

Est-il plus difficile d’adapter une BD au cinéma qu’un roman, la question mérite d’être posée ? En effet, un roman, c’est un texte sans image, à l’exception de celles que le lecteur se fabrique dans sa tête, avec la quantité de dialogues que l’auteur juge bon d’offrir aux lecteurs. La BD, ce sont des images fixes et des textes, en grande majorité des dialogues. Le cinéma ce sont des images animées, des dialogues et, éventuellement, une voix off permettant de faire avancer la narration. Est-il plus facile ou moins facile de fabriquer de l’image animée quand l’image fixe existe déjà ? Cette question, Antonin Baudry, Christophe Blain et Bertrand Tavernier ont dû se la poser, ne serait-ce qu’inconsciemment. Toujours est-il qu’ils se sont efforcés d’être le plus fidèle possible à la BD, tout en s’en écartant chaque fois qu’il était difficile, voire impossible, de traduire en cinéma un élément venant de la BD ou, au contraire, lorsque le cinéma permettait facilement d’exploiter une situation qui avait été imaginée par les scénaristes de la BD mais qu’ils avaient abandonnée face aux difficultés de la représentation dans les planches d’un album. C’est ainsi que les rêves de science-fiction de l’Arthur de la BD n’apparaissent pas dans le film, cette vie intérieure d’Arthur étant perçue au travers du regard que porte sur lui sa compagne Marina. Quant à la vie du Ministère, elle est sans doute, comme dans la BD, un joyeux mélange d’exagération et de moments vécus. C’est une véritable jouissance pour le spectateur de voir la façon dont se comporte Alexandre Taillard de Worms et d’entendre ses sentences. Chacun des passages de cette véritable tornade dans les bureaux se traduit par un envol de papiers dans la pièce, façon courant d’air, peut-être une manière de montrer que, malgré ses qualités, il n’est pas sans brasser du vent. Les discours qu’il commande, c’est à peine s’il les parcourt, ils sont de toute façon mauvais, il faut les faire, les refaire, les re-refaire. Ses collègues ministres du gouvernement : tous des cons ! On notera que dans Quai d’Orsay, le Ministre de la Défense est une femme : à l’époque où Dominique de Villepin était Ministre des Affaires Etrangères, le Ministre de la Défense était une femme, Michèle Alliot-Marie. Vu comme Alexandre Taillard de Worms parle d’elle, pas sûr qu’elle soit enchantée par la vision du film ! Autour du Ministre, gravitent un nombre important de conseillers, avec leurs toquades, avec les coups fourrés qu’ils peuvent se faire les uns les autres. On devine vite que celui qui, dans ce tourbillon permanent, réussit à faire tourner correctement le Ministère, c’est le Directeur de Cabinet, Claude Maupas, un faux calme et un vrai médiateur. La grande force de Bertrand Tavernier est d’avoir donné une vérité cinématographique à tous les personnages, exempts de toute caricature, tout en conservant l’humour et le burlesque de la BD. Il a su utiliser à bon escient le « split-screen » qui lui permet de rappeler l’origine du film, sans jamais en abuser. Quant aux passages d’un épisode à l’autre, ils se font à grand renfort de fragments d’Héraclite, l’auteur auquel Taillard de Worms ne cesse de faire référence et qu’il souhaite voir utiliser le plus souvent possible dans ses discours. Tout cela pour aboutir au fameux discours du 14 février 2003 contre la guerre en Irak, prononcé dans la salle du Conseil de Sécurité de l’ONU, salle dans laquelle a été tourné le discours qu’on voit et qu’on entend dans le film.

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Quelle distribution !

Pour jouer ce mélange de comédie burlesque et de réalisme, il fallait une distribution exceptionnelle : Bertrand Tavernier l’a trouvée, il l’a réunie et, en bon chef d’orchestre, il en a tiré le maximum. Il y a des années que Thierry Lhermitte n’avait été aussi bon et son personnage de pseudo de Villepin restera longtemps dans les têtes des spectateurs. Raphaël Personnaz est un Arthur très convaincant. Totalement opposé au personnage du Ministre, son Directeur de Cabinet Claude Maupas a trouvé en Niels Arestrup un interprète qui réussit l’exploit d’être totalement crédible alors qu’il est aux antipodes de ses rôles habituels. Anaïs Demoustier est excellente dans le rôle de Marina. Il faut citer aussi Julie Gayet, Bruno Raffaelli, Thomas Chabrol, Thierry Frémont qui ont dû s’éclater en interprétant des rôles de conseillers du Ministre et ne pas oublier les 2 secrétaires jouées par Marie Bunel et Alix Poisson. Quant à Didier Bezace, Jane Birkin et François Perrot, on les voit peu de temps mais ils apportent beaucoup à l’ambiance du film.

Résumé

Bertrand Tavernier n’avait jamais tourné de véritable comédie. Face au talent qu’il démontre dans le genre et étant donnée la faiblesse de la plupart des comédies du cinéma hexagonal, on se dit qu’il était temps qu’il s’y mette.

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