Albi 2018 : Deux fils

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Deux fils

France, Belgique, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Félix Moati
Scénario : Félix Moati & Florence Seyvos
Acteurs : Vincent Lacoste, Benoît Poelvoorde, Mathieu Capella, Anaïs Demoustier
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h30
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 13 février 2019

Note : 3/5

Est-ce que les films en général et les premières œuvres en particulier reflètent la personnalité de leur créateur ? C’est une question qu’on s’est toujours posée, tellement le cinéma, dans son versant pas exclusivement commercial, constitue une forme d’expression personnelle. Supposons donc que ce soit le cas et que Deux fils, présenté en avant-première au Festival d’Albi, soit en quelque sorte un prolongement de l’impression que son réalisateur débutant Félix Moati nous a laissée à travers ses interprétations dans un nombre conséquent de films français récents. D’accord, cette approche ne peut fonctionner qu’à cause de l’activité précédente du néophyte derrière la caméra et encore faudrait-il faire preuve d’une liberté d’interprétation et d’abstraction sans doute un peu tirée par les cheveux. Il n’empêche que, si ce premier film ne correspondait en rien au portrait réel de son réalisateur, il est en tout cas à peu près conforme à l’image que nous nous faisons de lui à travers le prisme du condensé de ses personnages passés, finalement pas si hétéroclites que cela. Bref, cette histoire d’une fratrie en pleine décomposition, qui s’accroche et s’accroche encore malgré le temps qui passe en agrandissant l’écart entre les générations, nous a séduits par son charme de sale gosse, un peu rustre sur les bords, certes, mais avec un fond des plus sincères et dépourvu de mièvrerie dans sa description de ce que l’amour entre frères peut signifier.

Synopsis : La mort de son frère aîné Jean a complètement déboussolé Joseph. Il trouve enfin le courage d’admettre à ses deux fils Joachim et Ivan qu’il n’exerce plus son métier de médecin, puisqu’il se consacre pleinement à l’écriture de son premier roman. Pour son aîné, ce comportement n’a rien d’étonnant, vu qu’il peine lui-même depuis longtemps à finir sa thèse en psychanalyse, interrompue suite à sa première grande déception sentimentale. Quant au cadet, au début de sa crise d’adolescence, il a d’autres chats à fouetter ou plutôt de cœurs à conquérir, en la personne de sa camarade de classe Mélissa, qui ignore pourtant royalement ce garçon atypique, fan de l’Ancien Testament et du latin.

Tel père, tel fils

Les mécanismes habituels de succession sont quelque peu enrayés au début de Deux fils. Dès la première séquence, le choix du cercueil de l’oncle récemment disparu, il devient évident que ce ne sera pas au père de guider ce qui reste de sa famille à travers les étapes traditionnelles du deuil, mais que c’est d’ores et déjà la génération de ses fils qui a dû prendre tant bien que mal la relève. Cette précocité plus subie qu’assumée traversera comme un fil rouge le récit, à son tour capable de tirer adroitement sa force de l’opposition entre la décrépitude prématurée du père et l’élan globalement mal canalisé de la part de sa progéniture pour accéder à l’âge adulte. En effet, personne au sein de cette famille ne se préoccupe assez de l’autre sur une base journalière pour en faire une forteresse, serait-elle caricaturale, contre les assauts du monde extérieur. Tout un chacun y opère dans une autonomie plus ou moins pathologique, s’enfonçant par sa propre faute et en pleine poussée d’égoïsme dans ses dilemmes existentiels, rarement compatibles avec ceux des autres. Tandis que le père, un Benoît Poelvoorde toujours aussi magnifiquement pitoyable, cultive le rêve de la grandeur littéraire, une illusion vite démasquée au moment de la lecture publique filmée avec un sens aigu pour la provocation d’un malaise, son fils aîné demeure dans un état de flottement fainéant qui colle peut-être un peu trop à la peau de Vincent Lacoste, un jeune comédien certainement capable de varier davantage les rôles qu’il accepte, même s’il est une fois de plus fort crédible ici. Enfin, le petit dernier, le plus raisonnable et responsable dans ce lot de loques humaines curieusement attachantes, file comme un bolide vers l’accomplissement de ses idées fixes, quitte à laisser dans la poussière ceux qui devraient lui servir d’exemple dans le franchissement du premier cap difficile de sa vie.

Dans la fosse aux tigres de papier

Cependant, l’individualisme forcené n’est guère la valeur humaine mise en avant par le premier film de Félix Moati. Au contraire, les moments les plus réussis de Deux fils sont ceux où la relation entre frères regagne comme par miracle sa vitalité. L’amorce de ces retrouvailles inopinées peut parfois nous laisser redouter le pire, par exemple quand Joachim et Ivan écoutent les confessions intimes de leur père à travers la porte de sa chambre. Le mouvement de fuite est de surcroît suffisamment récurrent au fil de l’intrigue pour ne pas permettre à chacune de ces confrontations plus ou moins directes de se solder par un renforcement du lien fraternel, comme après la belle course-poursuite dans le quartier de République, où chacun va justement tout seul à vive allure, suivie d’une altercation physique qui ne résout strictement rien. Mais dans l’ensemble, la narration affiche sans la moindre prétention le talent rare de savoir débusquer l’espoir sous les décombres affectifs d’une famille hautement dysfonctionnelle. C’est quand les chemins des trois membres de cette dernière se croisent de près ou de loin, dans le cabinet d’une assistante scolaire largement dépassée par les troubles psychologiques de ses patients ou bien lors d’un repas de restauration rapide arrosé à la bière, que le ton bascule vers une pureté des sentiments à fleur de peau. Or, l’aspect le plus prometteur dans le travail du jeune réalisateur est qu’il se garde précieusement de ne pas surcharger la barque, de ne pas se laisser envahir par trop d’optimisme tendancieux. Ainsi, il maîtrise déjà le dosage pointu nécessaire pour parfaire l’alternance entre le rire et les larmes, entre la destruction irréfléchie et le maintien nostalgique d’un tissu familial irremplaçable. Ce qui nous rappelle, pour boucler la boucle, l’image que nous avons retenue jusque là de Moati, l’acteur : celle d’un joyeux irresponsable au cœur en or.

Conclusion

On a beau apprécier énormément notre court séjour en province, Paris nous manque tout de même ! Heureusement, Deux fils est un film à la mentalité parisienne, à savoir un petit peu imbu de lui-même tout en sachant viser juste lorsqu’il s’agit de dévoiler les états d’âme de ses personnages. Un premier film réussi en somme, qui a comme seul et unique inconvénient majeur qu’il risque d’éloigner Félix Moati des plateaux de cinéma en tant qu’acteur, alors qu’il compte parmi les représentants les plus doués de sa génération.

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