Critique : L’Armée des ombres

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L’Armée des ombres

France, Italie, 1969
Titre original : –
Réalisateur : Jean-Pierre Melville
Scénario : Jean-Pierre Melville, d’après le roman de Joseph Kessel
Acteurs : Lino Ventura, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, Simone Signoret
Distribution : Sophie Dulac Distribution
Durée : 2h24
Genre : Drame historique
Date de sortie : 6 mai 2015 (Reprise)

Note : 4/5

Contrairement aux vins, les films qui se bonifient avec le temps sont plutôt rares. Nous en connaissons très peu, aussi parce que nos habitudes de visionnage prévoient seulement dans des cas extrêmement rares de donner une seconde chance aux films que nous n’avons que moyennement aimés lors de leur découverte. Il nous arrive bien sûr de revoir encore et encore nos films de chevet, mais généralement sans que ces retrouvailles régulières n’occasionnent une réévaluation complète de notre degré d’appréciation initial. Dans ce contexte, L’Armée des ombres fait figure d’exception, puisque à chaque nouvelle vision sa facture magistrale et son calme stoïque nous émerveillent un peu plus. Alors que nous le considérions au début comme une simple leçon d’Histoire efficace à la gloire de la Résistance, dont le respect relevait du devoir national au lieu d’être motivé par ses qualités cinématographiques, nous reconnaissons désormais sans réserve sa maîtrise formelle et la profondeur de son propos. Il s’agit sans doute de l’un des films les plus aboutis de Jean-Pierre Melville.

Synopsis : En octobre 1942, l’ingénieur Philippe Gerbier est interné dans un camp de prisonniers. Il y fait la connaissance du jeune communiste Legrain avec l’aide duquel il planifie leur évasion. Mais avant que leur projet n’aboutisse, Gerbier est conduit par des agents allemands au commissariat local. Il réussit à s’en échapper et reprend alors son poste de responsabilité au sein de la Résistance.

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Il suffit d’un seul plan puissant pour camper le décor de cette épopée intimiste sur les heures sombres de la Résistance française à ses débuts. Des soldats allemands descendent les Champs-Elysées dans un incroyable choc des symboles nationaux, qui aurait difficilement pu être plus percutant. Or, la fonction de l’occupant nazi se résume par la suite à une chape de plomb, qui repose de façon permanente sur les activités du réseau clandestin, à chaque instant susceptible d’être trahi, voire démantelé. En l’absence d’un visage donné à l’ennemi pour mieux se rallier contre lui selon les mécanismes éculés d’un manichéisme primaire, c’est contre un statu quo oppressant que se dirigent les opérations plutôt passives de Gerbier et ses alliés. Car l’autre particularité du scénario, comparé aux récits ouvertement héroïques comme La Bataille du rail de René Clément, consiste à enchaîner, tel des chapitres monolithiques, des actions à vocation clairement défensive. Le point récurrent dans ces épisodes d’une lutte encore peu glorieuse n’est point de s’adonner au sabotage tonitruant de l’infrastructure allemande, mais au contraire de contourner avec précaution cette dernière pour extraire des prisonniers vers l’Angleterre, une fois qu’ils ont pu être libérés avec un peu de chance. La balance du risque et de l’enjeu penche dangereusement en faveur de l’occupant, pendant que les Résistants découvrent avec horreur la précarité de leur situation et la cruauté de la cause qu’ils ont choisie, comme lors de la séquence presque hitchcockienne où un traître devra être éliminé en toute discrétion, sans alarmer les voisins.

Un sans-faute formel et intemporel, les effets spéciaux mis à part

Dans l’agencement de ces blocs narratifs déjà évoqués réside toute la maestria de la mise en scène de Jean-Pierre Melville. Outre l’adresse du montage de Françoise Bonnot, qui s’appuie autant sur le son que sur l’image pour aménager des transitions d’une grande élégance, et l’emploi à la fois judicieux et parcimonieux de la voix off, le refus catégorique de la part de la narration de se laisser entraîner dans la précipitation propre à la tension croissante rend le style et le ton du film hautement fascinants. L’étau a ainsi beau se resserrer autour de cette armée de guerriers de l’ombre, ce n’est pas la panique qui s’installe parmi eux, mais une variation sublime de résignation, en accord parfait avec le manque de pathos volontaire par lequel se distingue avant tout ce chef-d’œuvre. Avec de surcroît la photo sublimement dépouillée de Pierre Lhomme, mise en valeur dans une très belle restauration numérique, et un ensemble d’acteurs tous excellents, dont nous citerons tout de même Lino Ventura dans toute sa sobriété virile et Simone Signoret tiraillée entre la détermination et la douceur de son personnage prédestiné au sacrifice suprême, il n’y a définitivement plus rien à redire contre ce film que nous chérirons dorénavant sans retenue. Ah si, son statut et sa notoriété nous paraissent quand même suffisants pour nous épargner l’introduction creuse et verbeuse de Jean-Jacques Bernard de Ciné+, pas plus instructive que les préambules comparables de Jean-Pierre Lavoignat avant les séances UGC Culte.

Conclusion

La France ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans le valeureux combat des Résistants. A travers L’Armée des ombres, Jean-Pierre Melville leur dédie un hommage plus touchant et honorable que tous les contes héroïques réunis. Le cinéma français serait infiniment plus pauvre sans ce monument de rigueur et de lucidité à l’égard d’une époque historique, qui est évoquée ici sans fausse pudeur.

https://youtu.be/rcATDB5YV48

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