Entretien avec Małgorzata Szumowska, réalisatrice de Elles 1/2

1
1426
Małgorzata Szumowska (Festival de Cinéma européen des Arcs 2015 © Pidz)

À l’occasion de la remise du prix Femme de Cinéma à la réalisatrice Małgorzata Szumowska lors de la dernière édition du Festival Européen des Arcs le 13 décembre 2015, reprise d’un entretien accordé en 2011 lors de la troisième édition de ce même festival où elle était invitée pour l’avant-première du film Elles (critique).

Małgorzata Szumowska (Festival de Cinéma européen des Arcs 2015 © Pidz)
Małgorzata Szumowska (Festival de Cinéma européen des Arcs 2015 © Pidz)

 

Critique-Film : Comment vous êtes-vous lancée dans ce projet ?

Małgorzata Szumowska : C’est assez drôle en fait. Avant ce film, j’avais déjà tourné trois longs-métrages présentés dans divers festivals, à Berlin ou à Sundance. 33 scènes de la vie a été récompensé à Locarno où j’ai croisé Marianne Slot. Elle voulait tourner un film autour de la prostitution des étudiantes. Notre rencontre s’est faite par le plus grand des hasards. Elle m’a expliqué qu’elle était productrice et cherchait un réalisateur reconnu, originaire d’un pays de l’est et je lui ai alors dit que je correspondais à ce profil. Je lui ai montré mon film – qui lui a plu – et m’a dit qu’elle aimerait faire ce film avec moi. Elle m’a alors donné quelques pages extraites d’un magazine sur ce sujet et pendant un an et demi, j’ai travaillé avec Tine Byrckel pour écrire le scénario. C’était une opportunité extraordinaire pour moi en tant que polonaise de tourner un film, c’est presque une tradition avec des personnalités qui m’ont précédées, comme Krzysztof Kieslowski, qui a d’ailleurs été mon professeur à l’université, ou de Roman Polanski qui sont si liés à la France.

 

Critique-Film : Comment vous-êtes vous adaptée au style français ?

Małgorzata Szumowska : J’étais complètement libre. Marianne ne cherchait pas un réalisateur français mais quelqu’un avec un regard extérieur. Pour plusieurs raisons, historiques notamment, notre façon d’être est très différente et nous avons une sensibilité généralement plus forte. Je ne connais pas bien le cinéma français, je n’ai vu que quelques films sur Canal Plus Pologne et je préfère nettement le cinéma commercial français au cinéma commercial américain. C’est mon seul lien avec votre cinéma. Je ne parle pas votre langue, ce qui m’a permis de conserver une distance.

 

Critique-Film : Vous avez choisi une mise en scène et une écriture qui ne sont pas complètement réalistes ?

Małgorzata Szumowska : Au contraire, je pense que c’est très réaliste, hyper réaliste même, mais il est vrai que la scène où les clients sont réunis autour d’une table casse ce réalisme. Cette scène n’était pas dans le scénario. J’en ai eu l’idée avec le directeur de la photographie, Michal Englert, polonais lui aussi. Nous n’avons pas eu de difficultés à convaincre la productrice et nous avons rappelé les comédiens dont nous avions besoin. C’était très spontané, avec une part d’improvisation. Le cinéma polonais n’est pas réputé pour son aspect réaliste mais cela commence à changer dans le cinéma contemporain.

 

Critique-Film : La représentation de ce que les deux jeunes femmes ont vécu est filmé dans un style documentaire, au moins dans les premières scènes, mais petit à petit l’imagination d’Anna (Juliette Binoche) prend le dessus sur ce réalisme, c’était l’approche que vous souhaitiez mettre en avant ?

Małgorzata Szumowska : J’ai surtout réalisé des documentaires et je suis restée fidèle à ce type de narration. Mais dans mon développement artistique, j’ai voulu arriver à quelque chose de plus intérieur, pas simplement une représentation de la réalité. Mais vous n’avez pas tort, je commence en effet par quelque chose d’hyper réaliste, pour aller ensuite vers la mise en image de son imagination. Car il est vrai qu’il est difficile d’établir si les scènes de sexe ont réellement eu lieu de cette façon ou si ce n’est qu’une extrapolation de la façon dont la journaliste visualise les propos qu’elle a enregistré. À mes yeux, en tant qu’auteur, c’est cette deuxième explication qui est la bonne, il s’agit de montrer comment Juliette Binoche les imagine. Et en même temps, elles sont très réalistes. D’une certaine façon, les deux visions sont justes. C’est dans sa tête, mais ce n’est pas filmé comme un rêve.

 

Critique-Film : Les scènes de sexe sont particulièrement crues, sans être vulgaires. Ces scènes ont-elles été particulièrement compliquées à tourner et étaient-elles décrites précisément dans le scénario ?

Małgorzata Szumowska : Non, ces scènes ne sont jamais écrites. Dans le scénario, il est simplement précisé qu’il y aura une scène à connotation érotique. J’ai fait l’école de cinéma de Lodz, d’où sont sortis Kieslowski, Polanski, Jerzy Skolimowski, et ils ont un grand nombre de chefs-opérateurs talentueux. Je travaille toujours avec le même et nous avons mis en scène ensemble ces scènes. Je voulais éviter toute vulgarité, qu’elles restent dans une certaine froideur mais sans gommer leur dimension sexuelle, et qu’elles fonctionnent sur les gens sur ce registre, afin d’ouvrir notre imaginaire sensuel. Ces scènes étaient difficiles à tourner car nous voulions savoir en détail ce que le couple devait faire à chaque fois, étape après étape. La scène se créait avec les acteurs, en répétant et discutant avec eux. Au moment du tournage, l’équipe était réduite au strict minimum et les gestes devaient être très précis et je disais «fais comme ceci, non plutôt comme cela».

Elles Anaïs Demoustier Swann Arlaud

Par exemple pour la scène avec Anaïs Demoustier et le jeune client interprété par Swann Arlaud, je me souviens que le montage était difficile car il fallait supprimer toutes mes indications de jeu. Je leur parlais sans arrêt. L’ingénieur du son était en colère contre moi. Cela donnait quelque chose de ce style : «Pas comme ça… touche la… embrasse la, la main plus haut… doucement». C’était vraiment très précis. Mais ce n’était vraiment pas facile, surtout pas pour les acteurs. Anaïs a été très courageuse mais la scène avec le client sadique a été plus pénible pour elle. Plusieurs prises ont été nécessaires. Malgré cette difficulté, j’aime ces scènes, j’en suis fière même. Il s’agissait de révéler l’état d’esprit des personnages et leur rapport à l’acte sexuel, pas de faire quelque chose de complaisant qui n’aurait eu sa place que dans un film pornographique.

Entretien avec Małgorzata Szumowska partie 2/2

Entretien réalisé le 15 décembre 2011 par Pascal Le Duff à l’occasion de la présentation en avant-première du film Elles avec Juliette Binoche lors du Festival Européen des Arcs. Merci aux attachées de presse du Festival, Vanessa Jerrom et Claire Vorger pour leur accueil et à la réalisatrice Małgorzata Szumowska de cet échange.

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici