Critique : Michel-Ange (Deuxième avis)

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Michel-Ange

Russie, Italie : 2019
Titre original : Il peccato
Réalisation : Andreï Kontchalovski
Scénario : Andreï Kontchalovski, Elena Kiseleva
Interprètes : Alberto Testone, Jakob Diehl, Francesco Gaudiello
Distribution : UFO Distribution
Durée : 2h14
Genre : Biopic, Drame, Historique
Date de sortie :  21 octobre 2020

3/5

Le grand art nous fait ressentir des émotions innommables. Lorsque, il y a des années, je me suis retrouvée devant La Piéta de Michel-Ange au Vatican, je suis restée sans voix. Cette émotion, qui remplit un spectateur sensible devant une œuvre d’art, est comparable à la lumière. Des années plus tard, à nouveau face à La Piéta, cette fois, cachée derrière une glace, elle m’a paru inatteignable. La distance, créée par l’obstacle transparent, fût insurmontable et l’émotion n’y était plus. C’est également une distance, qui sépare le génie de Michel-Ange du film d’Andreï Konchalovsky. Ce n’est pas une distance brechtienne, ni une distance temporelle qu’un biopic dans un décor d’époque soigneusement fabriqué nous procure parfois, mais un autre type de distance.   

Synopsis : Michel Ange à travers les moments d’angoisse et d’extase de son génie créatif, tandis que deux familles nobles rivales se disputent sa loyauté.

Hanté par Andrei Roublev

Soulignons d’abord les grandes qualités de ce projet de création, voire d’une vie. Les images d’une grande finesse nous plongent dans l’Italie de la Renaissance. La lumière et les ombres jouent comme dans la peinture de l’époque. Le travail du costumier est remarquable. Le scénario est élaboré soigneusement. Pourtant, quelque chose nous empêche de ressentir pleinement le génie et la grande souffrance du Maestro.

Nous nous souvenons de la belle collaboration qu’Andreï Kontchalovski a entrepris avec Andreï Tarkovski pour l’écriture d’Andreï Roublev. Lorsque à la fin de Michel-Ange, les œuvres du Maestro apparaissent à l’écran, le clin d’œil à la fin d’Andreï Roublev (les œuvres du peintre russe y sont montrées) est évident. Les souvenirs d’Andreï Roublev (le chapitre « Cloche ») hantent également les scènes de la préparation à la descente du « Monstre » (le plus grand bloc de marbre). On pense également à Fitzcarraldo de Werner Herzog, quand le héros (Klaus Kinski) prépare l’impossible : faire passer le bateau par-dessus la montagne. Au cœur de ces scènes citées, se trouve la même idée : le génie réalise l’impossible et c’est également l’impossible qui définit la nature même du génie. Les ambitions des grands maîtres relèvent souvent d’une forme de folie : réaliser ce que personne n’a pu ou pensé à réaliser avant. C’est cette idée de dépassement de soi et de l’autre, évidente dans Fitzcarraldo et Andreï Roublev, qui manque à l’œuvre de Kontchalovski

Imitation de la souffrance

Nous assistons à de longues scènes de préparation : il faut forger des crochets comme personne n’en a forgé avant ; tisser des cordes dont personne n’a même rêvé et réaliser d’innombrables calculs. Puis, le grand jour arrive et le bloc va être descendu. La blancheur de la surface du marbre crève l’écran et éblouit le spectateur. Ce bloc gigantesque se soulève comme une idole devant le peuple en bas de la montagne. Ces gens, tout petits, devant ce « Monstre » soulignent l’écart insurmontable entre le divin et l’humain. Ces longues scènes de préparations reflètent les scènes de la montée du vapeur « Molly-Aïda » dans Fitzcarraldo de Herzog. Le parallèle entre les deux film s’arrête là.

Dans Fitzcarraldo, le maître fou de la jungle d’Amazonie, interprété par le magnifiquement fou Klaus Kinski, tout en blanc et sous l’aura de Dieu, exploite les indigènes. Mais, là où Herzog a travaillé avec le vrai peuple d’Amazonie, Kontchalovski emploie des comédiens professionnels, dont le jeu académique se fait un peu trop ressentir. Le film ne surpasse pas la mise en scène léchée au profit des images qui respirent et vivent d’une force autonome.

Quand l’inévitable arrive et qu’un homme meurt, comme dans Fitzcarraldo, la souffrance, toujours parfaitement filmée et chorégraphiée, ne nous atteint pas dans sa profondeur tragique. La souffrance n’est qu’une imitation de la souffrance.

Dante Alighieri hante les coulisses de l’atelier de Michel-Ange. Là où Lars von Trier dans The House that Jack built quitte le registre du réel de la folie du tueur en série, au profit d’un voyage dantesque accompagné par Virgile, la rencontre de Michel-Ange avec son idole nous laisse sans émotion.

Ma dernière remarque concerne la relation de Michel-Ange avec son collaborateur et amant. La dimension homoérotique est complètement absente et la scène de leur séparation survient comme une surprise. La sensibilité d’un grand artiste n’est pas uniquement issu de ses peurs, mais également de ses désirs, Kontchalovski nous le donne à ressentir. Sans cette dimension, il est difficile d’appréhender véritablement le personnage de Maestro.

Conclusion

Malgré de très grandes ressources physiques et matérielles, le film ne nous laisse pas entrer dans l’intimité du grand maître de la Renaissance, de ses souffrances et de ses désirs.

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