Critique : La Vie très privée de Monsieur Sim

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La vie très privée de Monsieur Sim

la vie très privée de monsieur sim afficheFrance : 2015
Titre original : –
Réalisateur : Michel Leclerc
Scénario : Michel Leclerc, Baya Kasmi, d’après l’œuvre de Jonathan Coe
Acteurs : Jean-Pierre Bacri, Mathieu Amalric, Valeria Golino, Vimala Pons
Distribution : Mars Distribution
Durée : 1h42
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 16 décembre 2015


Note : 3.5/5

C’est avec Le Nom des gens et ses deux César qu’il y a cinq ans, le grand public a découvert le réalisateur Michel Leclerc. Un succès à plus de 500 000 entrées qui ne s’est pas confirmé, deux ans plus tard, avec Télé Gaucho. C’est cette fois ci l’adaptation d’un roman du britannique Jonathan Coe que Michel Leclerc nous propose, un film dans lequel il conserve la verve comique de ses films précédents tout en la mélangeant à une émotion qui frise souvent le tragique : un exercice difficile, un exercice à peu près réussi.

 

Synopsis : Monsieur Sim n’a aucun intérêt. C’est du moins ce qu’il pense de lui-même. Sa femme l’a quitté, son boulot l’a quitté et lorsqu’il part voir son père au fin fond de l’Italie, celui-ci ne prend même pas le temps de déjeuner avec lui. C’est alors qu’il reçoit une proposition inattendue : traverser la France pour vendre des brosses à dents qui vont « révolutionner l’hygiène bucco-dentaire ». Il en profite pour revoir les visages de son enfance, son premier amour, ainsi que sa fille et faire d’étonnantes découvertes qui vont le révéler à lui-même.

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Un dépressif à part

Lorsqu’on rencontre Monsieur Sim, il est dans un avion, tout heureux d’avoir été, pour la première fois de sa vie, surclassé en premium. Et que j’abreuve mon voisin de paroles sans intérêt, et que j’insiste, alors que, manifestement, le voisin a autre chose à faire ! C’est drôle, très drôle, d’autant plus drôle que cette scène est servie par un Jean-Pierre Bacri au sommet de son art. Et puis, tout d’un coup, on bascule dans l’émotion, disons même dans le tragique. Pourquoi ? Comment ? Nous ne le dirons pas. Par contre, on peut dire, on se doit de dire que le film, tout du long, va passer du comique au (presque) tragique et vice versa. En fait, Monsieur Sim est dépressif mais c’est un dépressif d’une espèce rare : c’est un dépressif (presque) heureux, un dépressif qui s’assume, un dépressif qui, un grand sourire aux lèvres, annonce sa dépression à qui veut l’entendre. Manifestement, les raisons d’être dépressif ne lui manquent pas : sa femme l’a quitté, il n’a plus de travail lorsqu’on le rencontre dans cet avion, il est d’une maladresse insigne avec les femmes et, est-ce une cause supplémentaire de sa dépression ou est-ce une conséquence de celle-ci, l’estime qu’il se porte à lui-même est très limitée.
Monsieur Sim, on ne va pas le quitter de tout le film : sa rencontre avec Poppy, une jeune femme qui va faire en sorte de le mettre en contact avec son oncle Samuel, pensant qu’il est apte à aider ce dépressif ; ses visites à son père, qui s’est retiré dans les Pouilles et dont il a encore beaucoup à apprendre sur son passé ; sa visite à Luigia, une ancienne jeune voisine dont il était amoureux, devenue moins jeune mais toujours attirante ; ses rapports avec Caroline, son ex, et avec leur fille ; sa rencontre avec Liam et sa fille, une rencontre qui va peut-être « relancer » son existence ; et, puis, pour lier toutes ces séquences éparpillées, ses premiers pas dans un nouveau travail qu’on lui a proposé, celui de représentant ce commerce d’une marque de brosses à dents qui va « révolutionner l’hygiène bucco-dentaire » avec un nouveau modèle écologique et Made in France. Des premiers pas qui vont faire du film un road movie se déroulant dans des paysages hivernaux, dans une voiture hybride et sous la conduite d’un GPS omniprésent.

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Un véritable puzzle

Il n’est pas impossible que Michel Leclerc soit lui-même un dépressif heureux. Toujours est-il que lorsque sa compagne et co-scénariste Baya Kasmi, celle-là même dont la vie avait inspiré Le Nom des gens, l’a incité à lire le roman Jonathan Coe, il a d’abord renâclé, puis a consenti à le lire, puis, a fini par s’identifier au personnage de Monsieur Sim. Avec l’accord de l’auteur du roman, un certain nombre de modifications et d’ajouts ont été apportés lors de l’écriture du scénario. Toutefois, la construction sous forme de puzzle a été conservée. On passe sans arrêt d’un endroit à l’autre, d’une époque à l’autre. C’est ainsi qu’on va dans les Pouilles à la rencontre de Jacques, le père de Monsieur Sim, âgé de 80 ans, mais qu’on passe aussi quelques minutes avec ce même Jacques et son ami Francis lorsqu’ils avaient 20 ans. De même, le film effectue un retour vers le passé de Monsieur Sim, lorsque, à 19 ans, il avait comme voisin et voisine Lino et sa ravissante sœur Luigia. Et puis il y a ce voyage dans la France profonde que permet ce travail de voyageur de commerce proposé à Monsieur Sim : la France des ronds-points omniprésents, la France des chaînes de restaurants et d’hôtels, la France des zones commerciales et de leurs enseignes, toujours les mêmes, où qu’elles soient, une France défigurée et qui n’est pas apte à redonner le moral à un dépressif. Ce voyage, Monsieur Sim le fait sous la conduite d’une voix féminine, la voix d’un GPS avec lequel il entretient des relations de plus en plus familières, quasiment des relations de couple, un GPS à qui il parle presque aussi souvent qu’il lui parle et à qui il n’obéit pas aveuglément, prenant très souvent des chemins de traverse. Un GPS qui vous dit où aller, à qui on n’obéit pas aveuglément, des rond-points dont il faut sortir au bon endroit, la pratique des chemins de traverse : c’est de notre façon de trouver notre voie que nous parle Michel Leclerc.
Ce voyage, Monsieur Sim le fait en cachant les détails de son parcours à ses employeurs qui aimeraient bien savoir où il est et ce qu’il fait. Ce qui nous amène à un élément très important du roman de Jonathan Coe et qui aurait pu s’avérer difficile à porter à l’écran : un livre que Samuel fait lire à Monsieur Sim, un livre sur l’histoire épique et dramatique de l’homme d’affaires Donald Crowhurst, reconverti en navigateur solitaire, fieffé menteur dépassé par les événements. Heureusement pour le réalisateur, il a pu disposer d’images tournées par Crowhurst durant ce faux tour du monde en solitaire et, de temps en temps, il enrichit son film en mettant en parallèle le destin de ce solitaire cachottier qu’est Monsieur Sim avec celui du navigateur.

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Une erreur à ne pas commettre

Il y a une erreur qu’il ne faut surtout pas commettre lorsqu’on dirige ses yeux et ses oreilles vers La Vie très privée de Monsieur Sim : penser a priori que le film va être désopilant du début à la fin. Un a priori qui risque en plus d’être renforcé par les premières minutes du film ! Oui, ce film est souvent drôle, mais à force d’attendre les moments où l’on va rire, le risque est grand de passer à côté du reste : ce film de Michel Leclerc est certes souvent drôle, mais il est aussi, disons même surtout, un film plein d’émotion, un film tendre, un film parfois tragique. C’est aussi un film sur la vraie solitude et la fausse communauté de vie offerte par les réseaux sociaux, un film sur le fait de tourner en rond, sur les rond-points ou lorsque l’on cherche sa voie. Pour incarner ce mélange des genres, Jean-Pierre Bacri est grand, très grand dans le rôle de Monsieur Sim : capable de nous faire rire en ne nous donnant pas la date de sa rencontre avec sa femme mais en précisant, à la place, que c’était le jour de la mort de Jean Poperen (Mais oui, vous savez bien de qui il s’agit, c’était quand même le n°3 du PS !), capable, pour une fois, d’afficher, de temps en temps, un large sourire, capable de nous émouvoir par ses maladresses et ses emportements. A ses côtés, une excellente distribution qui réunit Mathieu Amalric (Samuel), Vimala Pons (Poppy), Isabelle Gélinas (Caroline), Valeria Golino (Luigia, un peu moins jeune), Christian Bouillette (Jacques à 80 ans), Vincent Lacoste (Jacques à 20 ans), Félix Moati (Francis à 20 ans) et Linh-Dan Pham dans le rôle de Liam.
Michel Leclerc et son Directeur de la photographie Guillaume Deffontaines ont attaché beaucoup d’importance au choix des lumières, différentes selon les endroits et les époques, une sorte de grisaille traduisant par exemple la tristesse des zones industrielles alors que les couleurs et la lumière sont intenses dans une scène au bord d’une rivière avec une jolie jeune fille en maillot de bain. Derniers détails : la voix du GPS est celle de Jeanne Cherhal et la musique a été écrite par Vincent Delerm.


La vie très privée de Monsieur Sim

Conclusion

On peut penser que Michel Leclerc était conscient de la difficulté de la tâche qui l’attendait en adaptant La Vie très privée de Monsieur Sim au cinéma : arriver à faire rire de temps en temps tout en proposant un film plein d’émotion et flirtant souvent avec une forme particulière de tragique. Bien aidé par la prestation d’un Jean-Pierre Bacri quasiment « fait » pour le rôle, Michel Leclerc a réussi à surmonter la plupart des difficultés. Il est seulement un peu dommage qu’il ait commencé par insister sur le côté comique du film, la première scène étant peut-être la plus drôle du film, avec le risque inutile d’orienter le spectateur vers une fausse piste. On peut aussi regretter que les scènes de dialogue avec le GPS et de passages sur des rond-points soient un peu trop nombreuses, un peu trop répétitives. Toutefois, si l’on sait qu’il ne faut pas partir sur une fausse piste, on peut prendre beaucoup de plaisir à suivre Monsieur Sim.

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