Critique : Coincée

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Etats-Unis, 1955
Titre original : Tight Spot
Réalisateur : Phil Karlson
Scénario : William Bowers, d’après la pièce Dead pigeon de Lenard Kantor
Acteurs : Ginger Rogers, Edward G. Robinson, Brian Keith
Distribution : Columbia
Durée : 1h37
Genre : Policier
Date de sortie : 1955

Note : 3,5/5

Synopsis : Un procureur tente de convaincre une prisonnière de témoigner contre un gangster notoire. Elle est bientôt libérée de prison et placée sous la protection d’un policier.

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Belle ouverture pour le cycle consacré au cinéaste américain Phil Karlson à la Cinémathèque Française (qui a lieu du 3 octobre au 22 novembre) avec Coincée (Tight Spot), un film noir, genre dans lequel il excellait, adapté d’une pièce de théâtre à suspense de Lenard Kantor (Dead pigeon).

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Un témoin récalcitrant

Un témoin important est assassiné dans le procès qui oppose l’état à Ben Costain, un parrain du crime organisé. Afin de pouvoir expulser le mafieux du territoire américain et ainsi mettre un frein à ses activités, le procureur Lloyd Hallett décide de convaincre Sherry Conley, ex du défunt, de confirmer les informations de la dernière victime de ce criminel endurci. Elle est soustraite discrètement de la prison où elle était détenue pour association de malfaiteurs pour éviter les mêmes fuites qui ont coûté la vie à ceux qui ont tenté de témoigner avant elle. Le combat pour la faire venir au tribunal ne sera pas aisé, la demoiselle n’étant pas ignorante des risques et peu décidée à participer de son plein gré. L’inspecteur Vince Stiker est chargé de sa protection mais il ne se montre guère patient avec elle.

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Dialogues délicieux

Les dialogues signés William Bowers sont un délice. Ce dialoguiste hors pair a beaucoup oeuvré dans le cinéma noir, ne citons que les très réussis (souvent largement grâce à lui) Larceny de George Sherman (1948), Abandoned de Joseph M. Newman (1949) et L’Implacable et Dans la gueule du loup de Robert Parrish, tous deux tournés en 1951. Les réparties cinglantes et inspirées de Ginger Rogers lui permettent de donner une performance dramatique inattendue. Certes, elle s’était déjà illustrée dans des drames, dont quinze ans plus tôt Kitty Foyle de Sam Wood qui lui avait permis de remporter l’oscar de la meilleure actrice mais son interprétation ici est l’une de ses plus convaincantes. Elle fait preuve d’une gouaille généreuse et si elle a évidemment brillé dans une belle série de comédies musicales avec Fred Astaire (peu de couples ont réussi une aussi belle association artistique et dans de telles proportions dans le genre), elle trouvait là l’un des rôles les plus marquants et les plus complexes de sa carrière, ce sera le dernier dans sa carrière alors sur la pente descendante. Elle a déjà 44 ans et ne trouvera plus d’emplois aussi forts. On peine à la reconnaître à sa première apparition, avec sa coupe raccourcie (à la Judy Holliday), un peu boulotte et usée en prisonnière blanchisseuse, sans un glamour qui eut été mal placé dans une telle atmosphère poisseuse.

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Romance de chambre

Si Edward G.Robinson s’illustre en procureur qui se bat pour faire tomber le ponte du crime organisé, c’est Brian Keith en ange gardien malgré lui, chargé de protéger ce témoin récalcitrant qui est son principal partenaire. Son côté bourru se confronte à un mur blond qui relance très bien ses piques et leurs échanges font des étincelles lorsqu’elle passe commandes sur commandes auprès du restaurant de l’hôtel, faisant preuve d’un très bon coup de fourchette qui impressionne le policier cynique. Ils apprennent à se connaître dans la pire des circonstances possibles et ces écorchés vifs qui partagent un même tempérament tempétueux vont se séduire sans vraiment le vouloir. Une robe à pois (signée Jean Louis, l’un des plus grands créateurs de costumes de la période) sera la marque de cette attirance chaste. L’on croit sans souci à l’idylle grandissante entre ce râleur, parfois faible parfois d’un courage exemplaire, et à cette victime d’une vie trop dure. La scène de confrontation avec sa sœur égoïste jouée par Eve McVeagh est très révélatrice et cruelle, surtout lorsque Sherry se méprend un instant sur les motivations de son aînée qui rate alors toute chance de réconciliation. C’est écrit avec précision et justesse, un exercice de style sur le ratage d’une vie, celle de Clara, piégée par la peur avec un mari peu recommandable et qui abandonne sa cadette.

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L’émotion passe par ce couple inattendu et leur comparse, Mme Willoughby (Katherine Anderson), gardienne de prison qui accompagne l’ex-prisonnière en duègne/garde du corps bis dans sa prison dorée de la chambre 2409 d’un hôtel de luxe sous contrôle d’un nombre impressionnant de policiers, ce qui n’empêche pas les mauvaises visites. Peu présent, Lorne Greene (héros noble de la télévision plus tardivement dans le rôle du patriarche de Bonanza puis du commandant de Galactica) impose une présence inquiétante en mafieux qui veut à tout prix éviter de se faire expulser du pays, seule manière pour la Loi de ce débarrasser de cet encombrant patron du crime (à la manière du procès fiscal contre Al Capone).

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Une mise en scène non théâtrale

La mise en scène n’accuse pas trop le poids de l’adaptation théâtrale malgré le quasi huis-clos d’une action resserrée dans une chambre d’hôtel, grâce aux scènes d’extérieur savamment intégrées et à quelques beaux angles de vue tournés dans un anamorphique élégant qui permet d’intégrer savamment de multiples détails à l’écran, presque sans en avoir l’air. Les dialogues sont quasiment ininterrompus mais leur singularité évite toute impression de bavardages inutiles. Pour alléger l’atmosphère, une charge hilarante se joue dans la pièce centrale contre la télévision avec une sorte de téléthon local avec un certain Mississippi Mac, hillbilly fier de l’être qui se lance dans un marathon vocal pour obtenir de l’argent pour une noble cause. Doye O’Dell et son groupe sont inénarrables (‘Give My Shoes to Cousin Helen’ est un grand moment musical), et voir le visage consterné de Katherine Anderson à chaque apparition du groupe encombrant est un délice !

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Résumé

La corruption politique et morale est à l’ordre du jour dans ce polar généreux et très plaisant, romantique et drôle, à redécouvrir à la cinémathèque française le dimanche 19 Octobre à 21h30. Une vraie perle noire à ne pas manquer…

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