Décès de l’actrice Stéphane Audran

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Née Colette Dacheville le 8 novembre 1932, l’actrice Stéphane Audran, longtemps actrice fétiche et épouse de Claude Chabrol, est décédée ce jeudi 27 mars à l’âge de 85 ans. Des Cousins en 1959 dans lequel elle tient un petit rôle jusqu’à Betty en 1992 aux côtés de Marie Trintignant, elle sera dirigée à plus de 20 reprises par celui dont elle divorça en 1980. Leur collaboration la plus forte restera Le Boucher, chef d’oeuvre tragique porté par Jean Yanne en psychopathe amoureux. L’autre grand moment de sa carrière d’actrice restera Le Festin de Babette de Gabriel Axel, oscar du film étranger en 1988 et pour lequel elle fut nommée au Bafta de la meilleure actrice l’année suivante. Elle tient un rôle majeur dans Le Charme discret de la bourgeoisie, autre lauréat de l’Oscar du film étranger. Pour ce même film et pour Juste avant la nuit de Chabrol, elle remporte le Bafta de la meilleure actrice (seule Marion Cotillard et Emmanuelle Riva répéteront cette même récompense) et fut également nommée à ce même prix pour Le Boucher. Elle reçoit par ailleurs un prix d’interprétation à Berlin pour Les Biches en 1968.

Le Boucher avec Jean Yanne

Elle prend des cours de comédie avec de grands formateurs tels que Charles Dullin et Tania Balachova et rencontre à cette période d’autres grands comédiens de sa génération dont Jean-Louis Trintignant qu’elle épouse en 1954. Elle débute au théâtre au milieu des années 1950 mais n’y jouera que très peu, ce que regrette Claude Chabrol qui l’a d’ailleurs dirigée dans une production de Macbeth en 1964. Elle n’est plus jamais montée sur scène par la suite malgré son talent et une voix parfaite pour se distinguer de bien d’autres grandes tragédiennes.

Elle effectue son passage sur le grand écran dès 1957 avec le court-métrage Le Jeu de la nuit de Daniel Costelle dans lequel apparaît également Maurice Pialat, suivi d’une autre apparition dans Le Signe du lion d’Éric Rohmer en 1959. Mais c’est un autre film la même année qui lance sa carrière : Les Cousins de Claude Chabrol. Leur imposante collaboration fut qualifiée dans Les Cahiers du cinéma dans son numéro hors-série dédié au cinéaste en octobre 1997 de record dans l’histoire du cinéma. Ce à quoi Chabrol répond avec malice : «Sans blague ! C’est parce que je tournais beaucoup et qu’on est resté mariés longtemps… […] Elle a eu de la veine, à l’époque pompidolienne, de correspondre assez bien à ce que je voulais montrer de la classe dominante. Non pas qu’elle-même en fasse partie, elle n’en faisait partie qu’à 35 %, mais elle était capable d’imaginer les 65 % qui restaient».

S’il répondait la trouver «assez bandante» à une question sur sa présence érotique, il évoque aussi comment le fait de très bien la connaître l’inspirait et/ou l’étonnait : «Souvent elle me surprenait d’une façon étonnante. La fois où elle m’a le plus impressionné, c’est dans la scène de l’autobus où elle était vraiment fantastique. Par contre, je la trouvais moins bien quand elle déambulait seule dans une pièce, parce que j’avais l’impression qu’elle sentait trop bien où était la caméra. […] Une partie du travail était faite au niveau de l’écriture, je savais ce qui lui allait… […]».

Dans le même numéro, l’actrice évoque leur rencontre, qu’elle doit à Gérard Blain qui déjà était à l’origine de la rencontre entre François Truffaut et Bernadette Lafont. «Il m’a dit que Chabrol préparait un film et que je n’avais qu’à aller le voir dans un café de la rue Washington où il jouait au flipper. […] Sans cesser de jouer, il m’a dit qu’il avait quelque chose pour moi dans son film. Je n’y croyais pas tellement, je suis partie en vacances et c’est tout juste si je ne suis pas rentrée trop tard car il me cherchait partout». La seule phrase qu’elle prononce dans Les Cousins (Paul c’est ton cousin) sera donc la première de leur longue complicité et marquera le début de leur histoire d’amour, qu’il évoque dans le livre La Traversée des apparences de Wilfrid Alexandre. «Comme je l’avais trouvée très bien dans Les Cousins, elle était épatante et marrante, nous nous sommes revus après le tournage, et de fil en aiguille je me suis lancé dans une petite aventure qui s’est peu à peu transformée. Il faut dire que je commençais à faire du cinéma et que la pesanteur bourgeoise commençait à se faire ressentir, alors je me suis dit que cette aventure n’allait pas être désagréable».

Les Bonnes femmes

Elle enchaîne avec des rôles plus conséquents, à commencer dans la foulée par Les Bonnes femmes («Si je ne devais retenir que trois films de Chabrol, il ferait forcément partie du lot» disait-elle). «J’ai rarement autant ri sur un tournage. Avec Bernadette, nous étions hystériques, nous étions très méchantes avec la pauvre Clotilde Joano, et Claude observait cette cruauté des femmes entre elles avec un certain intérêt. […] Il y avait beaucoup d’électricité […] C’était dans l’air, nous n’arrêtions pas, nous étions diaboliques ! Je me souviens qu’on a tourné une scène dans une piscine, et notre obsession était de mettre tout le monde à l’eau. Les producteurs nous considéraient comme des pestes, ils se cachaient pour éviter d’y passer».

Le Scandale et La Femme Infidèle

Ensemble, ils feront ensuite L’Œil du Malin (la première de ses Hélène qu’elle jouera sous sa direction), Landru, Le Tigre aime la chair fraîche, un sketch de Paris vu par… où ils jouent ensemble un couple de parents qui se disputent, l’iconoclaste Marie-Chantal contre le docteur Kha, La Ligne de démarcation, Le Scandale, Les Biches (prix d’interprétation à Berlin pour cette tragédie sur une passion lesbienne), La Femme infidèle (magnifique rencontre, riche en non dits et jeux de regards, avec Michel Bouquet où elle est son épouse tentée par un autre homme, au grand désarroi de son mari) puis dans les années 70 Le Boucher, La Rupture (un personnage double, abîmé par les conventions bourgeoises), Juste avant la nuit, Les Noces rouges, Folies bourgeoises (avec Bruce Dern dont elle dit «c’était un connard fini, il buvait du coca, il mangeait des hamburgers, il faisait du jogging toute la journée et en plus il nous trouvait cons»), Violette Nozière puis dans les années 80-90 Le Sang des autres, Poulet au vinaigre, Jours tranquilles à Clichy, deux téléfilms dont une nouvelle enquête de Lavardin et enfin Betty en guise de très belle conclusion, même si elle affirmait y avoir été très mal éclairée par le directeur photo.

L’oeil du malin et Les Noces rouges avec Michel Piccoli

Leurs films en commun sont plus inoubliables que d’autres, certains rôles plus marquants que d’autres, mais souvent incarnés avec de réelles variations même lorsqu’ils se répondent de très près, tels La Femme infidèle et Juste avant la nuit. Le Scandale repose sur une atmosphère irréelle alors que leurs autres films noirs sont plus directement lisibles. Elle est délicieusement perverse dans Les Biches dans un duo mémorable avec Jacqueline Sassard, une vénéneuse femme fatale dans plusieurs films dont Les Noces rouges qui évoque Thérèse Raquin ou Le Facteur sonne toujours deux fois dans la culmination sanglante du fameux triangle mari/femme/amant et elle est une maîtresse d’école de Paris réfugiée en province dans Le Boucher joué par Jean Yanne.

Délicate, presque fragile mais pas complètement, elle semble le comprendre et lui tombe sous le charme, mais ce qui les lie n’est pas assez fort pour combler la distance entre eux. Ensemble, ils pourraient s’intégrer au monde, mais le bonheur semble impossible pour l’un comme pour l’autre. Deux interprétations délicates, subtiles, bouleversantes pour des écorchés vifs, incapable de panser leurs blessures intérieures, et là c’est le drame. C’est le seul film pour lequel Chabrol accepte l’idée qu’elle fut son inspiratrice : «Contrairement à ce qu’on pense ou ce qu’on écrit souvent, Stéphane n’a pas été une muse au sens où on l’entend mais elle a contribué directement à la naissance du film. Elle voulait absolument jouer avec Jean Yanne qu’elle avait trouvé formidable dans Que la bête meure. Et du coup j’ai fondu deux projets de scripts en un seul, l’histoire d’un boucher qui a fait l’Indochine, et l’histoire d’une institutrice réfugiée dans l’abstinence vertueuse. Voilà l’influence la plus directe que je peux revendiquer».

Violette Nozière, avec Isabelle Huppert et Jean Carmet

Son jeu souvent d’apparence froide, sur la réserve, lui permet de donner vie à des femmes indépendantes et fortes, animées par un sentiment diffus de supériorité (plus ou moins légitime) sur le reste du monde et qui peuvent devenir dangereuses lorsque l’ennui pointe. Son registre annonce celui, assez cousin, d’Isabelle Huppert dans les films plus tardifs de Chabrol. Comme dans un passage de relais mystique, elles partagent l’affiche de Violette Nozière. Stéphane Audran remporte son seul César (celui du second rôle) alors qu’Huppert est honorée du prix d’interprétation au Festival de Cannes. Avec ses deux comédiennes emblématiques, il dessine une série de portraits marquants de femmes à part dans le cinéma français, énigmatiques jusqu’au bout alors qu’on croit les avoir percées à jour. Leur force repose sur la qualité de l’écriture quand elle est à son niveau le plus élevé ainsi que sur le pouvoir d’évocation conjoint de sa mise en scène et de leur interprétation. Les conventions sociales et l’arrogance des dominants (la bourgeoisie tant croquée dans le cinéma de Chabrol), la jalousie, les préjugés et/ou l’argent mènent ses personnages vers la tragédie, ce qu’elles sublimaient au-delà de l’aspect évident de ces thématiques. Le cinéma de Claude Chabrol leur doit beaucoup.

Les Biches

La symbiose avec les acteurs sur ses plateaux était totale selon Stéphane Audran. «Quel privilège de tourner avec Bouquet, Ronet, Piccoli ou Trintignant, nous n’avions pas l’impression de travailler, personne ne se préoccupait de savoir qui serait le plus avantagé. Ces grands acteurs ont gardé un côté enfantin, farceur, une faculté de rire des choses comme si on les découvrait à chaque fois. Il existait une envie de s’amuser qui m’allait bien car j’ai fait ce métier parce que je voulais être en récréation tout le temps. L’idéal, c’est quand on s’amuse du matin au soir, et c’est ce que Chabrol est l’un des seuls à avoir compris et mis en pratique».

Sans mobile apparent avec Jean-Louis Trintignant

Contrairement à d’autres actrices si liées à un metteur en scène (elle ne tourne tout de même quasiment qu’avec son mari dans les années 60), elle n’est pas connue que pour sa période chabrolienne, souvent dans des seconds rôles. Elle a ainsi travaillé avec Anatole Litvak (La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil), Philippe Labro (l’excellent film noir Sans mobile apparent où elle recroise Trintignant qu’elle avait déjà recroisé après leur séparation dans Les Biches et qu’elle retrouvera encore en 1982 dans Boulevard des assassins), Étienne Périer (Un meurtre est un meurtre), Samuel Fuller (Un pigeon mort dans Beethoven Street, tourné en Allemagne pour la télévision dans le cadre de la série Tatort, Les Voleurs de la nuit et surtout son film somme Au-delà de la gloire pour une belle apparition), Michel Audiard (Comment réussir quand on est con et pleurnichard), Peter Collinson (Dix petits nègres), Claude Sautet (Vincent, François, Paul… et les autres), Georges Lautner (Mort d’un pourri), Christian Gion (Le Gagnant), Pierre Kast (Le Soleil en face), Gilles Carle (Les Plouffe), Gabriel Aghion (La Scarlatine et Belle Maman), Philippe de Broca (La Gitane), Jean-Pierre Mocky (Les Saisons du plaisir), Jess Franco (Les Prédateurs de la nuit où une seringue la touche à un endroit que nulle seringue ne devrait approcher) ou Claude Zidi (Arlette). On la voit aussi dans les épisodes 2 et 3 de La Cage aux folles signés respectivement Édouard Molinaro et Georges Lautner, ainsi que dans The Black Bird de David Giler, improbable suite du Faucon maltais, en 1975, soit presque 35 ans trop tard. Certains exploitent sa dimension étrange et d’autres, plus rares, son côté ludique. Anne Fontaine sera la dernière à la diriger dans un film de cinéma, La Fille de Monaco, en 2008. Malgré sa place unique dans le cinéma des années 60-70, cette liste souligne qu’elle n’a pas eu la carrière qu’elle méritait et n’a pas suffisamment attiré les plus grands auteurs pour leurs plus grands films.

Mortelle randonnée avec Michel Serrault et Coup de torchon avec Philippe Noiret

Bertrand Tavernier puis Claude Miller l’invitent à créer deux de ses personnages les plus inoubliables, très noirs, l’un presque comique dans la médiocrité de la femme vaine qu’elle incarne (Coup de torchon où elle est la maîtresse d’Eddy Mitchell), l’autre la figure quasi irréelle de Mortelle randonnée avec deux citations aux César à la clef. Entre les deux, une quatrième citation pour Paradis pour tous d’Alain Jessua. En 1987, elle se rend au Danemark pour son dernier rôle majeur et l’un des plus beaux de toute sa carrière, celui de la française qui a quitté son pays à cause de la Commune dans Le Festin de Babette. Elle y est lumineuse, inattendue et bouleversante et on découvre une part inédite de sa personnalité.

Le Festin de Babette

Joli clin d’oeil du destin, il est fort probable qu’on la retrouve post mortem sur la Croisette avec la présentation à Cannes Classics (rien de certain mais une très forte probabilité) avec The Other Side of the Wind, film inachevé d’Orson Welles avec John Huston et Peter Bogdanovich, tourné en 1972, récemment restauré et enfin monté dans une version a priori définitive. Michel Legrand, déjà auteur de la musique de Vérités et Mensonges de Welles en 1974, en sera le compositeur.

«Ma mère était souffrante depuis quelque temps. Elle a été hospitalisée une dizaine de jours et était revenue chez elle. Elle est partie paisiblement cette nuit vers 2 heures du matin» a précisé son fils, l’acteur Thomas Chabrol né en 1963.

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