Critique : Ténèbres

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tenebres afficheTénèbres

Etats-Unis / Italie, 2014
Titre original : Tenebre
Réalisateur : Dario Argento
Scénario : Dario Argento
Acteurs : Anthony Franciosa, Giuliano Gemma, Christian Borromeo
Distribution : –
Durée : 1h50
Genre : Thriller
Date de sortie : 27 avril 1983

Note : 4/5

Nous sommes au tout début des années 1980. Choc pétrolier oblige, la crise paralyse l’économie européenne. Une disette qui se ressent également dans l’industrie cinématographique du vieux continent, notamment auprès des studios de la botte italienne. Le manque de fonds latent oblige dès lors la plupart des créateurs de l’époque à faire allégeance à un nouveau modèle, où la télévision joue un rôle important. Le groupe Mediaset (détenteur de Canale 5, chaîne privée made in Silvio Berlusconi) prend une dimension importante dans le marché cinématographique, s’adjugeant a l’instar de la RAI, la télévision publique, une place au soleil dans le monde des sorties commerciales. En clair, la fête est finie. Les impératifs financiers mènent la vie dure à chaque réalisateur, aussi les artistes réagissent comme ils le peuvent. Mais pourquoi aborder ce sujet au moment d’entamer la critique d’un film d’horreur ? Dario Argento va vous apporter la réponse.

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Synopsis : L’écrivain Peter Neal (Anthony Franciosa), auteur de romans particulièrement violents, vient assurer à Rome la promotion de son nouveau best-seller, « Tenebrae ». Rapidement, une série de meurtre à l’arme blanche se produit, semblant en lien avec les textes retors de l’auteur. Coopérant avec la police locale, Neal mène l’enquête.

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Une surcharge de couleurs

Dans les films d’Argento, on retient la violence, impressionnante, mais également la surcharge de couleurs. Ce leitmotiv artistique est pleinement assumé par le réalisateur transalpin qui y a par ailleurs consacré Le Syndrome de Stendhal à la fin des années 1990. Suspiria, puis Inferno, en furent les illustrations les plus criantes à un moment où il décida d’apporter une variation fantastique au genre qui l’avait fait connaître, le giallo. C’est justement avec ce Ténèbres qu’il réalise un retour glaçant aux fondamentaux en reprenant tout les codes du slasher à la mode italienne, de la main gantée de l’assassin à l’évocation, largement apparente dans ce film, de l’érotisme.

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Mais le contre-pied par rapport aux premières réalisations du maître est criant: une lumière puissante baigne un film gris, où de nombreuses scènes sont filmées de jour. Les meurtres de nuit sont moins fréquents, les nuances sombres plus prononcées. Un total désenchantement semble transparaître dans ce long-métrage où la violence obéit plus a une esthétique sans illusions, aux notes presque moroses, qu’a un déversement jouissif tout en couleurs. La subjectivité et le voyeurisme sont également décuplés, notamment via le fameux plan à la louma (c’est à dire à l’aide d’une grue de prise de vue) où l’œil maniaque du tueur semble être le reflet de la vision du spectateur. Il apparaît alors évident que Ténèbres est un film immanquablement témoin d’un tournant, d’une mutation, dans la façon de fabriquer (et non de faire ou créer) le cinéma.

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Dario Argento face à la crise

C’est à travers les rues d’une Rome terriblement dépeinte que nous ballade le père d’Asia Argento. Du baroque subjuguant de ses précédentes réalisations ne subsiste désormais plus que le jeu de caméra, toujours aussi somptueux et d’une maîtrise technique effarante, le décor semblant, lui, étrangement corrompu. Rome est devenue une ville inhospitalière, les monuments et statues (que l’on peut voir dans Les Frissons de l’Angoisse notamment) laissant place aux quartiers neufs sans âme où la violence est latente voire naturelle. Toute l’Italie est muée par un sombre glissement vers quelque chose qui déplaît à Argento, et il l’exprime ici. La télévision se développe, son voyeurisme également, aussi le plan à la louma obéit à cette nouvelle logique où l’art de montrer supplante celui de sublimer. Plus de débordements oniriques donc, mais un réalisme qui colle avec les responsabilités auxquelles les réalisateurs doivent désormais faire face. Plus que jamais, les impératifs économiques provoquent un désenchantement majeur auprès du réalisateur italien, qui l’exprime en mettant en scène la froideur d’un éclairage pourtant massif, comme un spot placé sur tous les tristes secrets d’une ville et d’un pays en passe d’être inconditionnellement changés par une crise économique qui déterminera leur nouveau visage.

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Conclusion

Avec Ténèbres, c’est donc un film d’horreur très significatif que nous livre le maître Dario Argento. Symptôme d’un malaise, ce giallo quitte l’apparat baroque pour se trouver une identité glaçante dans les recoins de la nouvelle Rome, grise et violente. Une réalisation posée, tout en technique, permet ainsi d’accompagner les personnages de cette intrigue classique (un maniaque s’inspire d’œuvres connues pour ses crimes) au cœur de cette cité et de ce pays tragiquement redessinés en pleine désillusion.

https://youtu.be/fzTAMY_wRVI

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