Test Blu-ray : À coups de crosse

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À coups de crosse

France, Espagne : 1984
Titre original : Fanny Pelopaja
Réalisation : Vicente Aranda
Scénario : Vicente Aranda
Acteurs : Fanny Cottençon, Bruno Cremer, Francisco Algora
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h32
Genre : Thriller, Policier
Date de sortie cinéma : 29 août 1984
Date de sortie DVD/BR : 31 décembre 2022

À Barcelone, l’inspecteur André Gattino cherche par tous les moyens à récupérer un important stock d’armes dissimulé par Manuel, détenu en prison et qui refuse de parler. Cependant, lorsque le policier arrête une jeune femme coupable de vol dans un magasin, il pense parvenir enfin à son but, celle-ci n’étant autre que Fanny Pelopaja, la maîtresse de Manuel. Si, dans un premier temps, elle accepte de collaborer, Fanny semble néanmoins avoir d’autres projets en tête…

Le film

[4/5]

Pour nombre de cinéphiles, la carrière de Bruno Cremer a été un peu vampirisée par son interprétation du Commissaire Maigret, rôle qu’il a tenu de façon régulière pour la télévision entre 1991 et 2005. On en oublierait parfois que son rôle dans La 317e Section (Pierre Schoendoerffer, 1965) lui avait ouvert la voie à une immense carrière sur le grand écran, et qu’il tournerait tout au long des années 60/70 avec des cinéastes tels que Bertrand Blier, Costa-Gavras, Luchino Visconti, Michel Deville, Yves Boisset, William Friedkin, Daniel Duval, José Giovanni ou encore Jean-Claude Brisseau. Autant de cinéastes qui lui offrirent une solide poignée de rôles virils et souvent troubles, et qui contribuèrent à faire de Bruno Cremer l’un des acteurs les plus vénéneux et les plus fascinants de sa génération.

Quand À coups de crosse sort sur les écrans, Bruno Cremer sort tout juste d’un rôle de tueur de jeunes filles dans le magnifique Un jeu brutal (Jean-Claude Brisseau, 1983), et retrouve dans le film de Vicente Aranda un rôle on ne peut plus borderline, à savoir celui d’un flic entretenant une relation sadomasochiste avec la jeune Fanny, qu’il manipule afin de serrer un trafiquant d’armes et à qui il finira par casser les dents… à coups de crosse de revolver. C’est donc la nature dérangée et psychotique du personnage interprété par Bruno Cremer qui donne son titre français à cette production franco-espagnole ; de l’autre côté des Pyrénées, le film sortirait sur les écrans sous le titre Fanny Pelopaja, qui est le nom du personnage principal incarné par Fanny Cottençon.

Avec À coups de crosse, Vicente Aranda (La Mariée sanglante) adapte un roman policier intitulé « Prothèse » (Série Noire n°2360, Gallimard), écrit par son compatriote Andreu Martín, spécialiste du genre. Cependant, en changeant le sexe du protagoniste central, le cinéaste espagnol modifie considérablement les enjeux au cœur de ce polar noir de chez noir : il place en effet mine de rien au centre du récit un écheveau de relations complexes de domination, d’amour et de haine entre Fanny, une jeune paumée (Fanny Cottençon), et Andrés, un ex-flic brutal (Bruno Cremer), exclu de la police pour sa violence et ses méthodes peu orthodoxes.

À coups de crosse permet ainsi au cinéaste d’explorer l’un des thèmes qui l’attirent le plus, et qu’il porterait de nouveau à l’écran quelques années plus tard avec Amants (1991) : celui des passions les plus excessives, de l’amour exacerbé, et de la façon dont il se confond parfois avec la folie et la haine. Dans le film, Fanny doit donc porter un dentier – elle porte ainsi à vie les traces de sa relation avec Andrés. De son côté, lui, recyclé dans une carrière de convoyeur de fonds, est fatigué de la monotonie d’un travail qui l’ennuie. Lassé de sa vie de famille, ne supportant plus sa femme et les conneries de ses enfants, Andrés rêve de retrouver son boulot de flic, de renouer avec la violence des rues, et bien sûr de revoir Fanny. Les motivations des deux personnages sont troubles, toujours est-il qu’ils se cherchent l’un l’autre, se tournent autour, à priori pour se venger dans le sang, mais, qui sait ? Peut-être aussi parce que le lien entre eux est le plus fort – une passion qui les dévore comme une pulsion de mort.

À coups de crosse explore donc les instincts sadiques et passionnés entre deux personnages profondément insatisfaits de leur destin et fuyant l’aliénation d’une vie trop rangée. Et c’est bel et bien dans cette relation tumultueuse que se situe le cœur d’À coups de crosse. Car dans le fond, qu’il s’agisse du braquage du fourgon blindé, de la psychologie des personnages secondaires, de l’intrigue et même plus largement de l’action, tout semble être relégué au second plan par Vicente Aranda, pour plonger le spectateur dans ce qui l’intéresse et le préoccupe le plus, à savoir gratter les tripes humaines, plonger dans la douleur et les déchirures de cet amour non conventionnel, remuer les cicatrices encore fraîches de ces deux êtres que tout semble opposer mais qui, paradoxalement, sont viscéralement attirés l’un par l’autre.

Dans l’effervescence d’une Barcelone aussi grise qu’industrielle, noire de monde et de quartiers interlopes, Vicente Aranda trouve le cadre parfait pour cette histoire urbaine de passions à fleur de peau. Ce cadre urbain craspec permet à la romance sordide d’À coups de crosse de trouver toute sa cohérence, et même de gagner en intensité au fur et à mesure du récit alors même que, paradoxalement, la narration du film est volontairement chamboulée, fractionnée, éparpillée par petits bouts, façon puzzle. Violent, direct, puissamment sexuel, le film comporte plusieurs scènes fortes, surtout dans le montage espagnol, qui nous livre encore aujourd’hui des détails qui pourront étonner le spectateur contemporain tant sur le plan de la violence que de la sexualité. On pense notamment à la fameuse séquence dite du « flingue dans le cul », ou encore à celui du « flingue dans la schneck », modifiée dans le montage français afin de le scotcher sur la jambe de l’héroïne.

Le Blu-ray

[4,5/5]

Enchaînant les éditions Blu-ray et Blu-ray 4K Ultra HD avec une régularité telle que beaucoup de leurs titres sont désormais « sold out » avant même leur arrivée dans les rayons, Le Chat qui fume est devenu depuis quelques années un des acteurs majeurs de l’édition vidéo en France, absolument insurpassable en termes de qualité et de contenu éditorial. Personne ne sera donc surpris à l’annonce du verdict concernant cette édition d’À coups de crosse : une fois de plus, Le Chat fume toute la concurrence en nous offrant une expérience « Home Cinema » en tous points parfaite. Côté packaging déjà, l’éditeur nous propose comme à son habitude un sublime digipack trois volets surmonté d’un sur-étui cartonné du plus bel effet, s’accordant harmonieusement avec les Blu-ray déjà sortis par l’éditeur depuis quelques années. Le visuel est signé Fred Domont, qui a fort bien travaillé à partir des quelques photos d’exploitation disponibles pour le film.

Côté Blu-ray, la copie restaurée 4K est d’une très belle précision et d’une belle propreté générale. Le grain argentique est respecté à la lettre, le piqué est d’une finesse et d’une précision vraiment étonnantes, la profondeur de champ est remarquable, bref, c’est du très beau boulot, naturellement proposé en 1080p, rendant un bel hommage à la photo crade et urbaine signée Juan Amorós. Un très beau Blu-ray, assurément. Côté son, on aura droit à la VF d’époque, probablement pas mal post-synchronisée, qui nous est proposée dans un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 tout à fait satisfaisant. Pour les amateurs, on a reconnu bien sûr reconnu Daniel Russo qui assure le doublage de Julian.

Du côté des suppléments, l’éditeur nous gâte vraiment avec tout d’abord la présence du montage espagnol du film (1h41), proposé en VF avec les passages supplémentaires en espagnol sous-titré en français. Il s’agit clairement du montage d’À coups de crosse à privilégier à tout prix, tant les ajouts versent vraiment dans les excès et la provocation et contribuent à faire du film de Vicente Aranda une œuvre encore plus unique et dérangée. On terminera ensuite par un entretien avec Fanny Cottençon (13 minutes), qui évoquera tout d’abord son parcours et ses débuts au cinéma. Elle arrivera ensuite au film qui nous intéresse aujourd’hui, et reviendra sur son admiration pour Bruno Cremer et Vicente Aranda. Elle évoquera l’histoire d’amour féroce se dessinant en filigrane sous les atours du polar, la psychologie monolithique des personnages, et l’ambiance assez détendue sur le tournage. Pour vous procurer cette édition limitée à 1000 exemplaires, rendez-vous sur le site de l’éditeur !

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