Test Blu-ray 4K Ultra HD : Clash

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Clash

France, Yougoslavie : 1984
Titre original : –
Réalisation : Raphaël Delpard
Scénario : Raphaël Delpard
Acteurs : Catherine Alric, Pierre Clémenti, Bernard Fresson
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h38
Genre : Fantastique, Horreur
Date de sortie cinéma : 8 février 1984
Date de sortie BR/4K : 15 août 2021

Au début des années 1980, dans une usine de mannequins désaffectée, une jeune femme, Martine, attend la venue de son ami Bé Schmuller, qui lui a confié le butin d’un hold-up perpétré par ses hommes de main. Tandis qu’elle patiente avant l’arrivée des gangsters, Martine, en proie à des hallucinations, réalise qu’elle n’est pas seule dans ce lieu désolé. Un mystérieux inconnu, surgi de nulle part, vient à sa rencontre. La présence du jeune homme silencieux finit par la réconforter. Mais cet individu étrange existe-t-il vraiment, ou n’est-il que le fruit des fantasmes de Martine ?

Le film

[4/5]

Si on tend aujourd’hui à penser, de façon un peu réductrice, que le cinéma de genre français n’existait pas avant Christophe Gans et Pascal Laugier, on en oublie de fait qu’une poignée d’artisans étaient parvenus à mener à bien, en France, une poignée de projets flirtant avec le fantastique entre les années 70 et le début des années 90.

Ainsi, des cinéastes tels que Jean Rollin, Claude Mulot, Raphaël Delpard, Jérôme Boivin, Alain Robak, Yann Piquer, Pierre Jolivet, Jérôme Diamant-Berger, Luc Besson, Arnaud Sélignac, Bertrand Arthuys, ou encore René Manzor – on en oublie encore sans doute quelques-uns – avaient tenté avec leurs films de repousser les limites d’un cinéma français trop rationnel. Sans compter que des cinéastes tels que Bertrand Blier, Jean-Pierre Mocky ou même Claude Chabrol avaient également pratiqué de petites incursions dans le fantastique, sans toutefois s’y installer complètement (quoi que dans le cas de Blier, ça se discute).

A l’honneur aujourd’hui grâce à la sortie de Clash, Raphaël Delpard ne vous est peut-être pas tout à fait inconnu : on en avait longuement parlé à l’occasion de la sortie en Blu-ray de La nuit de la mort en 2019, déjà sous les couleurs du Chat qui fume. Plus ambitieux, plus maîtrisé, formellement assez époustouflant, son deuxième film fantastique, Clash, sorti sur les écrans français en 1984, bénéficie de fait fort logiquement d’un upgrade technique, avec une sortie au format Blu-ray 4K Ultra HD.

Martine et les fantômes

Porté par l’accueil favorable réservé à La nuit de la mort, Raphaël Delpard se sent pousser des ailes, et se lâche complètement sur le scénario et la mise en scène de Clash, véritable délire formel aux relents psychanalytiques. Si le film prend dans un premier temps des allures de simili-polar, avec passage de douane anxieux, argent sale passant de la France à l’ex-Yougoslavie et réunion de truands dans une planque retirée, une fois le personnage de Martine (Catherine Alric) installée au cœur d’une vieille usine désaffectée, Clash bifurquera vers tout autre chose.

Vers un récit de l’horreur intime et des traumatismes du passé – les influences les plus manifestes de Raphaël Delpard sur Clash semblent plutôt se tourner vers le Répulsion de Polanski ou du côté du Carnaval des âmes de Herk Harvey. Huis-clos en grand espace, le film de Delpard s’impose comme une œuvre d’atmosphère, au cœur duquel les frontières entre passé et présent, rêve et cauchemar, réalité et fantasme, sont floues, et s’entremêlent de plus en plus au fur et à mesure que le récit avance, s’enfonçant de plus en plus dans la psyché perturbée de son héroïne.

Dans la Zonzon de ton esprit

La première chose qui frappera le spectateur à la découverte de Clash, c’est le statut de « prisonnière » du personnage de Martine. La femme est non seulement prisonnière de l’usine au cœur de laquelle elle se retrouve enfermée, mais elle est également prisonnière de sa relation avec Bé Schmuller. Il la domine, la modèle entre ses doigts, se sert d’elle ; dans la première séquence, elle déclare qu’elle tient à « son amitié », mais en réalité, elle se consume littéralement d’amour pour lui. Elle développe ainsi une espèce de curieux complexe d’œdipe, dans le sens où ce dernier tient clairement une image de « père » par procuration, ce qui finira finalement par faire doublon avec le personnage incarné par Pierre Clémenti, qui se confond dans ses souvenirs avec l’image du père.

Et bien sûr, le récit nous permettra de découvrir que Martine est aussi et surtout prisonnière de son passé, de ses névroses, qui se verront personnifiées à l’écran par le personnage de Pierre Clémenti, une ombre trouble de son enfance qui prendra corps afin de la malmener, de la torturer psychologiquement, non sans faire par moments preuve d’une espèce d’étrange bienveillance. Car il ne fait aucun doute que c’est grâce à lui que Martine parvient à surmonter ses démons à la fin de Clash. Il est le maître d’orchestre de cette thérapie de la solitude, comme le montre d’ailleurs cette bizarre scène de « concerto » au cœur de l’usine vide, qui a sans doute inspiré une des séquences les plus étranges du Pola X de Leos Carax.

Fenêtre sur l’angoisse

Dans les ruines de cette usine abandonnée où règnent la poussière et le béton, Clash met donc Martine face à ses peurs, à ses angoisses enfantines. A ses côtés, l’enfant qu’elle était, avec qui elle se réconciliera symboliquement, en acceptant sa cécité passée. Cette acceptation passe par une nouvelle « compréhension » des événements : elle comprend ne pas avoir « voulu voir », en se cachetant les yeux à la cire. Aujourd’hui, alors que la petite fille est ressuscitée, Martine peut revisiter ses peurs, guider sa propre main vers la lumière, vers la porte, vers une guérison.

Ce retour à la vie, ô combien ironique au regard des dernières minutes du film, Raphaël Delpard l’orchestre dans Clash de la façon la plus poétique qui soit, proposant au spectateur une narration morcelée, erratique, alternant l’étrange et le naturaliste. Le tout est de plus traversé de visions absolument magnifiques, telles que ce plan rempli de têtes de mannequins tournoyant au vent, sublimées par la photographie de Sacha Vierny.

Voyage au cœur de l’inconscient, Clash ne suit pas de logique narrative établie ; Raphaël Delpard suggère plus qu’il ne montre, fait passer son message par l’image, multiplie à l’écran les portes, les fenêtres, les « passages » d’un monde à un autre, de la réalité au rêve, jonglant avec des thématiques mortifères : meurtre, inceste ? La culpabilité est là en tous les cas, comme nous le suggèrent les réminiscences de cette nuit en noir et blanc provoquant toutes les terreurs nocturnes.

A réhabiliter au plus vite

Aussi minimaliste dans son dispositif technique que réellement profond, sincère et presque lyrique dans son déroulé, Clash s’impose comme une sacrée curiosité filmique, imparfaite mais singulière, et méritant clairement une réhabilitation, qui lui permettrait de trouver sa place parmi les expérimentations cinématographiques françaises les plus audacieuses des années 80.

Abstrait sans jamais tomber dans l’abscons, pétri de symboles, le film impressionne régulièrement, que cela soit dans le soin apporté aux décors et à la mise en scène aussi bien que dans ses passages « gore » aux effets spéciaux signés Benoît Lestang. Au final, Clash parviendra donc largement à convaincre dans sa tentative de livrer au spectateur un fantastique du subconscient – un véritable ballet morbide, beau, fascinant, hypnotique même, et ce malgré un côté un poil prétentieux aussi, dans sa façon de juxtaposer Tarkovski et un brin d’auto-citation (le panneau final).

Oublions donc l’accueil que lui réserva la presse – spécialisée ou pas – en 1984, et redonnons sa chance à Clash ! Presque quarante ans après sa sortie, les qualités du film ne peuvent plus être ignorées…

Le Blu-ray 4K Ultra HD

[5/5]

Attendu au format Blu-ray depuis de nombreuses années, au même titre qu’Adrénaline – Le films par exemple, Clash s’offre aujourd’hui une entrée au format Blu-ray 4K Ultra HD grâce au Chat qui fume. Cela permettra aux collectionneurs de se débarrasser de l’odieux DVD édité par KVP en 2007, et aux autres de découvrir ce film absolument fascinant au cœur d’un packaging vraiment classe, comme d’habitude conçu par Frédéric Domont, graphiste de talent. Cette belle édition Combo Blu-ray + Blu-ray 4K Ultra HD de Clash prend par ailleurs la forme d’un élégant Digipack trois volets surmonté d’un fourreau cartonné aux couleurs du film. Une superbe édition donc, dont le tirage est limité à 1000 exemplaires.

La redécouverte de Clash en Blu-ray 4K Ultra HD permettra au spectateur contemporain de se rendre compte du soin avec lequel Raphaël Delpard et son directeur photo Sacha Vierny avaient soigné la conception visuelle de leur bébé. Les nombreux détails visuels parsemés au cœur du film explosent littéralement en 4K. Les noirs sont profonds, les contrastes affirmés et la finesse générale de l’encodage alliée au niveau de détail extrêmement pointu mettent vraiment en valeur les compositions de plans assurées par Delpard et son équipe. Les couleurs sont riches ; la photo, légèrement désaturée pendant la première moitié du film, explosera littéralement dans le deuxième acte, riche en couleurs – et en particulier en rouges – bien poussés. La version Ultra Haute-Définition nous propose une amélioration notable par rapport à son équivalent au format Blu-ray, même s’il ne s’agit pas d’une totale révolution. Côté son, Clash nous est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 et le mixage s’avère tout à fait efficace, alternant les moments de calme et ceux de terreur, riches en sons bizarres et en bruits lourds et puissants.

Dans la section interactivité, on commencera avec un entretien avec Raphaël Delpard (26 minutes), qui reviendra sur la préparation du film, sur les différents stades du scénario ainsi que sur sa relation avec les deux acteurs principaux. Le cinéaste citera ainsi plusieurs anecdotes concernant Pierre Clémenti, qui, malgré sa prestation pour le moins inquiétant dans le film, semblait être une personnalité pour le moins exubérante, aimant par exemple à se promener tout nu sur le plateau. Il ne tarira en revanche pas d’éloges sur Catherine Alric, qui tient – il est vrai – sur ses épaules une bonne partie de la réussite du film. On continuera ensuite avec un entretien avec Raphaël Delpard et Frédéric Albert Lévy (30 minutes), critique, co-fondateur de Starfix et collaborateur occasionnel de Raphaël Delpard, pour lequel il semble avoir joué un rôle de « script doctor ». L’essentiel de l’entretien tournera autour de la réception critique de Clash, et de sa présentation lors du Festival international du film fantastique d’Avoriaz, mais Raphaël Delpard et FAL y reviendront également sur les défauts du film. On terminera enfin avec la traditionnelle bande-annonce. Plus d’informations sur le site de l’éditeur !

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