Quinzaine 50 : Horreur, Hauts espoirs !

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Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L’occasion d’une promenade à son image – en toute liberté, et forcément subjective – dans une histoire chargée de découvertes, d’audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.

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Dans l’inconscient général, et malgré l’évidence de cette réalité si l’on se base du strict point de vue de la sonorité, « Quinzaine des réalisateurs » ne rime pas forcément avec « Cinéma d’horreur ». Pourtant, si l’on survole rapidement l’interminable liste de films ayant été projetés à la Quinzaine depuis sa première édition en 1970, deux films incontournables nous sautent immédiatement aux yeux : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1975) et Le projet Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez (1999).

Ces deux films importants dans l’Histoire du cinéma horrifique nous ont poussé à entamer un retour chronologique sur presque quarante ans de films d’horreur présentés à la Quinzaine, mais la première constatation est sans appel : la grande majorité des films y ayant été présentés durant les vingt premières années d’existence du Festival sont malheureusement aujourd’hui complètement invisibles.

Minorité invisible (1970-1983)

Pourtant, dès 1970, le cinéma fantastique ou horrifique fait son apparition à la Quinzaine, avec tout d’abord le film Palaver d’Emile Degelin (Belgique), film fantastique flamand ayant pour sujet le racisme, quasiment entièrement tourné en swahili et ayant eu la particularité d’avoir été cadré par un Paul Verhoeven qui n’avait pas encore entamé sa carrière de cinéaste. Mais l’horreur à proprement parler arriverait surtout par le biais de L’araignée d’eau de Jean-Daniel Verhaeghe (France).

 

1970 – L’araignée d’eau (Jean-Daniel Verhaeghe, France)

Si on ne trouve aujourd’hui de trace sur le Net que de sa sublime affiche et de quelques extraits sur YouTube, le film de Verhaeghe a clairement fait forte impression aux cinéphiles ayant eu la chance de le découvrir, en salles ou en VHS. Se suivant comme un véritable rêve éveillé, toujours sur le fil entre fantasme et réalité, L’araignée d’eau emmène le spectateur le long des dérives mentales d’un écrivain suite à la découverte d’une araignée d’eau capable de matérialiser ses désirs les plus fous. Si le film évoque volontiers l’univers littéraire de Claude Seignolle, il est en réalité adapté d’une nouvelle d’un autre écrivain : le français Marcel Béalu. Grand film aux accents surréalistes et poétiques, L’araignée d’eau s’offre quelques séquences qui apparaîtront aujourd’hui comme extrêmement en avance sur leur temps, le clou du spectacle et du film s’avérant bien sûr la métamorphose de l’insecte en femme… Réalité ou simple projection de l’esprit de la part du héros ? Le tout s’accompagne de très belles séquences troublantes à base de papillons et de chats, et nous proposera de plus un final assez dingue et inattendu. On espère qu’un éditeur vidéo avisé aura la bonne idée de le sortir un jour de l’oubli !

En 1971, on note la présence dans la sélection d’un film de science-fiction, le très intéressant THX 1138 (George Lucas, États-Unis), mais c’est surtout le français Joël Séria, futur réalisateur des Galettes de Pont-Aven, qui créera l’événement dans le domaine de l’horreur avec son premier film…

1971 – Mais ne nous délivrez pas du mal (Joël Séria, France)

Unique film fantastique de la carrière de Joël Séria, Mais ne nous délivrez pas du mal est une critique explicite de la société française de son époque, et plus particulièrement de la petite bourgeoisie aux mentalités (et aux vies) étriquées ; il fait également figure de véritable pamphlet anticlérical. Le film suit deux jeunes filles de bonne famille, que tout prédestine à une existence sans le moindre problème, mais qui s’avèrent bien décidées à consacrer leur vie à Satan, ainsi qu’au mal sous toutes ses formes. L’ennui du quotidien et le désœuvrement sont probablement à l’origine de cette vocation, de même que l’incommunicabilité entre les générations et un manque de figure paternelle et/ou d’autorité à une époque où, semble dire Séria, les parents sont absents, et les hommes sont « castrés » par leurs femmes ou par les institutions religieuses dans ces petits villages de la France profonde.

Pour autant, Joël Séria ne juge pas ses personnages, faisant même les deux criminelles en herbe deux anti-héroïnes attachantes dans leur refus forcené des conventions et leur quête de liberté, même si cette dernière semble s’épanouir de façon tordue. Exaltées, passionnées par leur rejet en bloc de la société, les deux jeunes filles semblent toujours fuir en avant, aller droit dans le mur tout en en étant parfaitement conscientes. Inspiré par un fait divers sordide datant de 1954 (l’Affaire Parker-Hulme, qui inspirera également Peter Jackson pour son Créatures célestes), Joël Séria dessine deux jolis portraits de femmes en devenir, et donne un premier rôle en or à sa complice Jeanne Goupil, qui deviendra son actrice fétiche durant toutes les années 70. Mais au-delà du portrait très juste de ces deux adolescentes, Mais ne nous délivrez pas du mal s’avère aussi et surtout un film fantastique de première bourre, tirant son étrangeté de son extraordinaire réussite formelle. Visuellement, le film va chercher ses influences du côté des grands films gothiques de la Hammer des années 50/60, mais le tout est adapté à la France : châteaux et demeures bourgeoises aussi grandioses qu’abandonnés, paysages bucoliques au cœur desquels va surgir l’horreur, condamnation sévère (et très emprunte de provocation !) des autorités religieuses… La musique du film, signée Claude Germain et Dominique Ney, est également très réussie, surtout son petit thème entêtant chanté par une voix de femme, digne d’un giallo italien de la même époque.

Mais ne nous délivrez pas du mal fut d’abord totalement interdit par la Commission de censure pour « perversité et sadisme et les formes de destruction morale et mentale qui y sont contenus », puis, grâce à la sélection du film à la Quinzaine des réalisateurs, obtint après quelques coupes une « simple » interdiction aux moins de 18 ans.

En 1972, la sélection de la Quinzaine nous proposera à nouveau un film de science-fiction et un film d’horreur ; comme ça, pas de jaloux. Côté SF, c’est le téléfilm The people de John Korty (États-Unis) qui sera mis sous le feu des projecteurs : produit par Francis Ford Coppola et proposant au casting le sympathique William Shatner, le film met en scène un groupe d’extra-terrestres vivant en communauté et pacifiquement aux côtés des humains dans un petit village américain. Et côté horreur, les curieux auront été confrontés aux visions infernales de Shura (également connu sous le titre Pandemonium) de Toshio Matsumoto, qui proposait un mélange de chanbara et de dérive mentale sanglante, entre cauchemar et réalité.

En 1973 et 1974, c’est la science-fiction qui sera à nouveau mise à l’honneur avec tout d’abord, en 1973, l’intrigant Pas de violence entre nous (Quem é Beta?, Nelson Pereira dos Santos, France / Brésil), un film post-apocalyptique précédent de quelques années Apocalypse 2024 (1975) et Mad Max 2 (1981) mais visiblement plutôt handicapé par son budget famélique. En 1974, L’invenzione di Morel d’Emidio Greco (Italie) joue quant à lui la carte du mystère, avec son personnage débarquant sur une île déserte et sa (brillante) première demi-heure ne proposant pas la moindre ligne de dialogue. Intéressante adaptation du célèbre roman d’Adolfo Bioy Casares, le film de Greco développe une atmosphère très étrange, à la croisée des chemins entre le « bis » pur et dur et la tentation de s’élever vers des ambiances à la Antonioni ou à la Godard ; en ce sens, on le rapprochera d’un autre film italien réalisé par Elio Petri quelques années auparavant : La dixième victime (La decima vittima, 1965).

1975 – Massacre à la tronçonneuse (The Texas chain saw massacre, Tobe Hooper, États-Unis)

« Massacre à la tronçonneuse, tourné en 1974, reste un jalon dans l’horreur, comme le fut cinq années auparavant La Nuit des morts-vivants qui fut d’ailleurs une source d’inspiration pour Tobe Hooper. À ce diptyque historique qui a influencé de nombreuses vocations (de cinéastes, on vous rassure…) et donné la chair de poule à quelques amateurs de frissons, on est tenté d’ajouter celui d’un autre grand disparu, Wes Craven avec La Dernière maison sur la gauche, sorti en 1972, même s’il est moins ancré dans la mémoire collective que ses deux «frères d’armes».

Massacre ne fut réellement accessible au public français seulement en 1981, après une très brève exploitation à l’époque et les amateurs de VHS se souviendront de celle éditée par René Chateau dans la collection « Les Films que vous ne verrez jamais à la télévision ».

Le nombre de scènes strictement gores reste mesuré, notamment du au fait que Tobe Hooper voulait éviter que le film ne soit interdit aux moins de dix-huit ans. Pourtant, ce film tendu à l’atmosphère malsaine fait trembler ses spectateurs, par la mise en scène naturaliste ; une intensité soutenue, d’abord avec les premières rencontres guère rassurantes des passagers hippies et urbains du mini-van, dans une contrée étrangère pour eux, puis surtout à partir du premier meurtre ; et surtout avec son tueur sans visage. La première apparition de cette créature qui semble dépourvue d’âme surnommée plus tard Leatherface (face de cuir, en raison de l’étrange masque de chair qui couvre son visage), bondissant derrière sa porte en fer coulissante a marqué au fer rouge les esprits, notamment grâce au travail impressionnant sur le mixage sonore.

Cet être comme surnaturel, armé d’une tronçonneuse, qui s’en prend à quelques jeunes adultes qui se sont approchés trop près de sa demeure, est l’une des grandes figures contemporaines de la terreur sur grand écran, créée trois ans avant Michael Myers dans Halloween de John Carpenter, très inquiétant mais plus irréel. Malgré sa dimension monstrueuse, cette créature privée de la parole laisse percer une humanité malmenée par sa famille pour le moins dysfonctionnelle. La scène du dîner familial est à la fois grotesque et étrangement banale par certains aspects. La dernière séquence de poursuite est un autre passage terrifiant du film, évoquée notamment dans nos hommages à Gunnar Hansen alias l’homme à la tronçonneuse et à Marilyn Burns, sa victime potentielle. Une des meilleurs fins du cinéma d’horreur, offrant à la fois une forme de conclusion rassurante mais aussi l’impression que ce presque happy end n’est qu’un leurre. En passant de la nuit au jour, réalité et cauchemar se mêlent avec cette idée inquiétante que désormais une barrière a été franchie dans la représentation de la folie homicide à l’écran. Les œuvres précitées de Craven et Romero partagent d’ailleurs ce glissement redoutable de la pénombre au petit matin qui accroît la peur, rendue encore plus tangible lorsqu’on réalise définitivement que non, ce n’était pas un cauchemar…

Le malaise est donc réel avec ce premier essai plus que réussi, loué par tous les autres maîtres du genre (entre autres personnalités du cinéma) qui trouble jusqu’à ceux qui ne l’ont pas vu mais en ont entendu parler. Les diverses suites, remakes et reboots (dont l’une pourtant est écrite et réalisée par Kim Henkel, Massacre à la tronçonneuse : La nouvelle génération en 1994, avec Matthew McConaughey et Renee Zellwegger, mais aussi Marilyn Burns dans une brève apparition) n’auront pas le même impact, et de très loin. Son expérience dans le documentaire télévisuel a certainement eu un effet majeur sur ses choix de mise en scène et le ressenti à sa vision. (…)

La violence de Massacre n’est pas frontale, mais plus sourde et basée sur le suspense que sur l’accumulation de cadavres (il n’y a « que » cinq morts), et donc plus percutante. La caméra s’attarde par exemple plus sur un seau qui recueille le sang d’une victime que sur la perche où elle est empalée. Malgré un peu d’humour, qui cible autant les hippies que les rednecks, aucun cynisme et autre rempart rassurant contre la force évocatrice des images mûrement pensées. Le récit, imaginé avec un autre texan, Kim Henkel, est librement inspiré du tueur en série Ed Gein qui a oeuvré dans les années 1950 et inspiré, d’une toute autre manière, le personnage de Norman Bates dans Psychose. Le film est projeté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs et sera à nouveau programmé quarante ans plus tard, en présence de son auteur et d’un de ses fans, Nicolas Winding Refn. »

Critique signée Pascal Le Duff, rédigée à l’occasion de son brillant hommage à Tobe Hooper en 2017.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, on n’a trouvé en épluchant les vingt-cinq années suivantes d’existence de la Quinzaine des réalisateurs qu’une toute petite poignée de films d’horreur. En 1978, on note la présence dans la sélection de The Mafu cage (Karen Arthur, Royaume-Uni), étrange film d’horreur explorant la folie d’une jeune femme vivant avec sa sœur dans la grande demeure familiale, après la mort de leur père. Enfermée dans la cage de son gorille Mafu, elle perd de plus en plus le contact avec la réalité au fur et à mesure que le film avance ; l’ambiance est lourde, sérieuse, et malgré les apparences, The Mafu cage n’appartient pas à ce qu’on appelle communément le cinéma « bis ». On rapprochera le film de Karen Arthur des œuvres de Pete Walker, qui s’avèrent également méconnues en France.

En 1982, Kisapmata (Mike De Leon, Philippines) s’attardera sur un drame de l’inceste se terminant en bain de sang, et L’épouvantail de mort (The scarecrow, Sam Pillsbury, Nouvelle-Zélande) suivra la trajectoire d’un épouvantail tueur à la fin des années 1940, dans la petite ville de Klynham, en Nouvelle-Zélande.

En 1983, avec La casa del tappeto giallo de Carlo Lizzani (Italie), on pensait tenir le premier et seul « giallo » sélectionné à la Quinzaine : il n’en est finalement rien. En effet, cette « Maison au tapis jaune » est en réalité un thriller certes étrange et assez sanglant, bourré de twists en pagailles et se déroulant dans un lieu unique, mais on est à cent lieues du genre créé par Mavio Bava et Dario Argento.

Incroyable mais vrai : passé l’an de grâce 1983, il faudra attendre 16 ans, soit l’année 1999, pour retrouver un film d’horreur en sélection à la Quinzaine des réalisateurs. Après le tournant des années 2000 en revanche, le genre devient beaucoup plus populaire et viable d’un point de vue commercial, et ces films dits « de genre » se verront largement mieux représentés dans la sélection de la Quinzaine. A de très rares exceptions près, ces films sont de plus tous disponibles en DVD, Blu-ray, ou sur toutes les bonnes plateformes de téléchargement légal.

Minorité « visible » (1999-2018)

On notera également que depuis le « tournant » que représente l’an 2000, la définition que l’on peut faire du « film d’horreur » se fait de plus en plus ténue, floue, puisqu’on pourra trouver dans les sélections de la Quinzaine des réalisateurs de très nombreux films flirtant gentiment avec le genre, sans jamais néanmoins y appartenir totalement : on pense par exemple au très intéressant Mean Creek (Jacob Aaron Estes, 2004), qui donnait par moments à son récit de « coming of age » emprunt de violence des allures de film fantastique. Rien d’étonnant à cela, si l’on considère que le fameux passage à l’âge adulte, la découverte de la sexualité et la notion d’acceptation de soi demeurent, pour tout un chacun, forcément toujours un peu nimbés de mystères en tous genres, et le fait de les illustrer au cinéma en ayant recours à des symboles allant chercher du côté du surnaturel est une idée non seulement habile, mais également pleine de poésie. On pense aussi au cinéma de Sono Sion, et plus particulièrement à Guilty of romance, sélectionné à la Quinzaine en 2011, qui s’avère un sacré beau morceau de péloche empruntant également, à l’occasion de quelques séquences, au cinéma fantastique à tendance horrifique.

Retour sur la poignée de films horrifiques sélectionnés par les équipes de la Quinzaine depuis 1999, et ayant particulièrement marqué le public…

1999 – Le Projet Blair Witch (The Blair witch project, Daniel Myrick & Eduardo Sánchez, États-Unis)

« Tourné camera à la main, Le Projet Blair Witch est le film le plus rentable de l’histoire du cinéma. Avec son budget minuscule et ses moyens primaires, le film a explosé le box-office. Une caméra, une forêt et quelques adolescents et Le Projet Blair Witch est né. Mentor du found footage, style cinématographique devenu emblématique de l’horreur, nombreuses sont les œuvres qui ont marché dans les pas du film de Myrick & Sánchez, notamment [Rec], grande réussite du genre. Très oppressant, le film est fait lui aussi de bric et de broc. Pour autant, la peur est présente et profonde, reposant sur la suggestion. Daniel Myrick et Eduardo Sanchez ne dévoilent jamais rien, ne montrent jamais le danger, ne le matérialisent pas. La suggestion est toujours la meilleure partie des films d’horreur, en témoigne Les dents de la mer (Steven Spielberg) qui reste oppressant, mais seulement jusqu’à l’apparition du requin, qui a pris un sacré coup de vieux. Le Projet Blair Witch repose entièrement sur ce principe de suggestion, jusqu’à son final, où, peut-être, la sorcière va apparaître ? » Critique du film signée Aubin Bouillé.

Immense succès au box-office, Le projet Blair witch aura, qu’on le veuille ou non, profondément marqué de son empreinte le cinéma horrifique, dans le sens où il aura popularisé un procédé stylistique simple et efficace : celui d’un cinéma « à la première personne », ayant recours à une caméra [très faussement] subjective, qui a été utilisé des dizaines, et même probablement, sans exagération aucune, des centaines de fois dans le genre très populaire du cinéma fantastique ou d’épouvante. Si on ne peut en aucun cas taxer les réalisateurs Daniel Myrick & Eduardo Sánchez d’opportunisme, leur film et surtout son carton au box-office ont engendré une vague interminable de film utilisant la caméra subjective, qui est devenue en l’espace de quelques années un artifice, un gimmick extrêmement en vogue dans l’horreur contemporaine, au point que beaucoup de cinéphiles considèrent ce type de mise en scène, couramment appelé « found footage », comme la plaie du genre horrifique. Vite tourné et vite balancé sur les écrans du monde entier par des producteurs sans scrupules, ce type de cinéma cadré à la va-vite, laissant une place prépondérante au hors-champ et ne répondant plus à aucune grammaire cinématographique établie, a ouvert la porte à des nuées, des pelletées, des vagues entières de films plus ou moins amateurs (ou amateurisants).

Depuis Blair witch, les cinéastes n’ont plus à se casser la tête à chercher des axes de prise de vue ou à réfléchir à une quelconque idée de mise en scène, les producteurs sont satisfaits car les coûts sont réduits, et, malheureusement, le public est au rendez-vous… Depuis 2010, le succès jamais vraiment démenti de la saga Paranormal activity a contribué à pérenniser ce style, et à priori, il semble que le genre du found footage ait encore de beaux jours devant lui. Si certains réalisateurs établis ont certes parfois réussi à niveler le procédé par le haut et à nous livrer quelques bandes efficaces, voire carrément indispensables (on pense par exemple à l’épatant Cloverfield), la grande majorité des films tournés en utilisant ce procédé ne parviennent pas réellement à créer le climat d’angoisse suffisant pour réellement convaincre le cinéphile exigeant.

2003 – Gozu (Takashi Miike, Japon)

Réputé pour le coté extrême et brindezingue de ses films, Takashi Miike se surpassait littéralement en 2003 avec Gozu, film complètement barré balançant le spectateur au milieu d’un véritable maelstrom de bruit, de fureur, de visions aussi déviantes et glauques qu’absurdes. Baroque, visuellement très étonnant, le film de Miike donne par moments l’impression au spectateur de suivre une espèce de Twin Peaks sous acide, un film dégénéré et abscons pour lequel Lynch aurait demandé la collaboration d’un David Cronenberg 70’s en totale roue libre. Vous l’aurez compris : Gozu est un film outrancier, excessif, d’une bizarrerie sans nom et sans limite, le genre de délire filmique pour lesquels a été créée l’expression « What the fuck », mais qui au final proposent une telle folie, une telle liberté et une telle créativité qu’on ne peut à l’arriver qu’éprouver à son égard une franche et immense sympathie.

2005 – Wolf Creek (Greg McLean, Australie)

Véritable électrochoc de la Quinzaine 2005, Wolf Creek est une petite pépite du genre « survival ». Popularisé par John Boorman en 1972 avec Delivrance, le survival était redevenu « à la mode » avec le succès de Détour mortel en 2003, et chaque pays y était allé de son petit tribut au genre dans les années qui suivraient : l’Angleterre nous a servi The descent, l’Espagne Les proies, la Belgique Calvaire, la France a eu son Vertige, la Norvège ManhuntWolf Creek était quant à lui le représentant australien du genre, et constituait la révélation d’un cinéaste très doué en la personne de Greg McLean.

La principale force du film de McLean était de prendre son temps, ainsi qu’un soin tout particulier à la présentation, délicate et réaliste, des personnages principaux, avec qui le spectateur flânait, tel un observateur, auprès de son petit groupe de personnages, au sein de décors naturels aussi immenses que réellement époustouflants, à l’image du cratère de Wolf Creek qui donne sont nom au métrage. En deux mots comme en cent, l’empathie ressentie par le spectateur pour les personnages du film, qui sont devenus en l’espace d’une heure bien plus que les simples « silhouettes » qui peuplent généralement le genre horrifique, est totale : c’est la raison pour laquelle le dernier acte de ce survival à ciel ouvert marquera autant les mémoires. Brutal, presque physiquement douloureux pour la public, Wolf Creek s’impose sans peine comme un incontournable du genre, un poème macabre au cœur duquel la Mort frappe arbitrairement sous les traits d’un tueur complètement cinglé (John Jarratt, génial), et devrait logiquement dissuader tout spectateur sain d’esprit de s’aventurer sans escorte policière dans l’Outback Australien.

En 2006, ce ne sont pas un mais deux films d’horreur que l’on retrouve dans la sélection de la Quinzaine : on commencera avec l’époustouflant Bug de William Friedkin, qui réunit cinq personnages dans une chambre d’hôtel miteuse au milieu du désert et parvient à filmer l’un des films les plus angoissants et les plus barrés de sa carrière. Si au premier abord, le film propose une plongée dans la folie dévorante d’une série d’individus, le film nous propose en filigrane un discours très habile sur les peurs de la société contemporaine, et sur la façon dont les psychoses se communiquent d’individu en individu – pour Friedkin, la peur de l’inconnu et la paranoïa se propagent à la façon d’un virus, de façon inexplicable, et s’accompagnant à chaque nouveau stade de la « maladie » de symptômes de plus en plus délirants et irrationnels. Un film d’horreur des plus angoissants, doublé d’un discours presque prophétique sur l’évolution des réseaux sociaux : que demande le peuple ?

Le deuxième film de « genre » que l’on découvrit cette année là fut The host (Gwoemul, Bong Joon-ho, Corée du Sud), le premier « Film de monstre » sélectionné à la Quinzaine, qui gagna d’ailleurs assez rapidement ses galons de film « culte » à travers le monde. Déclaration d’amour au cinéma populaire, le film de Bong Joon-ho mélange volontiers les genres, fait cohabiter l’angoisse avec un humour souvent très efficace, et surtout donne très rapidement au spectateur ce qu’il attend, à savoir un monstre géant, qui nous sera rapidement exhibé par le cinéaste. Cette générosité à montrer rapidement la créature au public ne l’empêchera néanmoins pas de soigner la description de ses personnages, qu’il commencera à creuser dans le deuxième temps de son récit, qui prendra des allures de fable profondément humaine et attachante.

2010 – The silent house (La casa muda, Gustavo Hernandez, Uruguay)

Prévisible, mal foutu et vide de sens, au point même de faire relativiser les plus enthousiastes des laudateurs du Projet Blair Witch, cette nouvelle incursion dans le domaine du « found footage », sélectionnée de façon un peu opportuniste à la Quinzaine des réalisateurs afin, peut-être, de tenter de réitérer le « buzz » de 1999, cet objet filmique permettra peut-être de remettre les pendules à l’heure concernant la valeur artistique de ce procédé de « mise en scène ». Aussi consternant de vacuité que de laideur, The silent house reprend les ficelles cyniques et tellement peu cinématographiques du grand frère pour plonger le spectateur dans une léthargie telle qu’elle lui en ferait presque regretter ses assemblages de bouts de bois et ses branches qui craquent, érigées en leur temps en renouveau de la terreur sur celluloïd. Le niveau zéro de l’horreur – du found footage… de gueule !

2012 – The king of pigs (Dwae-ji-ui wang, Sang-Ho Yeon, Corée du Sud)

The king of pigs est un film d’animation coréen signé Yeon Sang-ho ; ce nom doit logiquement vous dire quelque chose, le cinéaste s’étant largement fait remarquer en 2017 avec son époustouflant survival ferroviaire et zombie Dernier train pour Busan durant l’été. Les cinéphiles « festivaleux » les plus avides de curiosités auront également pu retenir son nom puisque Seoul Station, un autre de ses singuliers films d’animation a fait la tournée des festivals en 2016 : on l’a notamment vu lors du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, du Festival du film d’animation d’Annecy, du Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF) ou encore du Festival du Film Coréen de Paris.

The king of pigs quant à lui fut également présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes et au Festival du Film d’Animation d’Annecy en 2012, sans cependant connaitre les joies d’une sortie dans les salles françaises par la suite. Sombre, brutal et volontiers hystérique, The king of pigs prend pour point de départ les frustrations de personnages brisés par la vie et n’attendant guère plus rien de l’avenir pour mettre en scène un récit de « lutte de classes » développant une violence sociale qui s’impose comme une véritable gifle en pleine face pour le spectateur. Au fur et à mesure qu’avance le récit, les humiliations s’amplifient et formellement, les idées visuelles fusent ; les monstres sortent du placard et Yeon Sang-ho ne fait pas de concessions et prolonge son atmosphère malsaine jusqu’à un final d’un nihilisme assez sidérant – et assez déprimant quant au portrait qu’il dresse de la société Sud-Coréenne. Une belle réussite, qui vous restera probablement longtemps en mémoire après le générique de fin.

2013 – We are what we are (Jim Mickle, États-Unis)

We are what we are est le remake d’un film mexicain, intitulé Ne nous jugez pas. Derrière la caméra, on trouve Jim Mickle, dont il s’agit seulement du troisième long-métrage et qui, en guise de carte de visite, nous avait déjà proposé le brillant Mulberry Street – un quartier délabré de New York, la canicule, des rats et ça y est, c’est l’invasion de zombies – et le très intéressant Stake Land – un post-nuke vampirique dont s’inspirera énormément la série The walking dead… Excusez du peu, m’sieurs dames. Et la nature de remake de son petit dernier ne l’empêche pas de parfaitement s’intégrer dans la filmo du bonhomme, qui en quelques films seulement, s’est créé une « famille » cinématographique qu’on retrouve une fois de plus à ses côtés : l’acteur Nick Damici co-signe à nouveau le scénario à ses côtés en plus de jouer dans le film, et Kelly McGillis, à qui il avait redonné sa chance dans Stake Land, est également de la partie. Ryan Samul, directeur photo de Mickle depuis son premier long, reprend aussi du service, nous offrant des visuels époustouflants, à la fois naturels, lumineux et étrangement oppressants. Aux côtés des habitués s’intègrent au casting deux « gueules » du cinéma indépendant US : l’épatant Bill Sage, vraiment tétanisant dans son rôle de trouble patriarche, et le toujours impeccable (et regretté) Michael Parks.

Ce qui surprend le plus de prime abord quand on entame le visionnage de We are what we are en gardant à l’esprit l’œuvre qui lui sert de point de départ, c’est son esthétique ultra-soignée. Oscillant avec talent entre le thriller tendance psychologique et le pur cinéma de genre, le film révèle rapidement sa nature exigeante, refusant les facilités du tout-venant de la production horrifique actuelle. Même si, comme dans leur collaboration précédente, Mickle et Damici mettent en place une intrigue dont les péripéties ne proposent pas de réelle surprise pour le spectateur (du moins jusqu’à son final, qui pour le coup risque littéralement de vous clouer à votre fauteuil), l’enchaînement un peu « mécanique » des éléments narratifs rajoute une dimension inéluctable à l’affaire, et s’impose de lui-même comme aussi glaçant que vraiment solide. Là où le réalisateur mexicain choisissait l’ellipse et le non-dit, l’américain explicite les choses, entremêlant des éléments bien plus subversifs qu’ils n’en ont l’air au cœur d’une construction remarquable, complexe et paradoxalement absolument limpide.

Que cela soit dans le traitement de ses axes narratifs ou dans sa mise en scène purement formelle, entre le remake et son modèle, il y a un monde, qui tendrait même à nous faire penser que si Jim Mickle et Nick Damici avaient décidé de ne pas citer ouvertement leur inspiration, personne n’en aurait jamais rien suspecté. Il s’agit vraiment d’une relecture totale de l’œuvre originale, tenant d’avantage de la variation sur un même thème que du simple remake. En cherchant bien, on trouve bien sur des points communs entre Ne nous jugez pas et We are what we are : son intrigue cannibalesque bien sûr (qui dynamite l’image d’Épinal de la cellule familiale traditionnelle), mais surtout son ambiance lourde, son climat délétère, et la lenteur générale de l’entreprise. La principale différence venant du fait que cette lenteur, savamment calculée chez Mickle, ne provoque jamais d’ennui ou de bâillements étouffés, mais une fascination trouble et malsaine, par moments assez crûment poétique, contribuant à l’impression diffuse de menace constante au cœur même du récit, qui explosera avec une brutalité inattendue dans la dernière bobine du métrage.

2014 – These final hours (Zach Hilditch, Australie)

Que feriez-vous s’il ne vous restait que douze heures à vivre afin la fin programmée du monde ? C’est en substance la question que se pose Zak Hilditch, scénariste et réalisateur de Final hours. Déjà abordée à quelques reprises par le passé (Last day de Don McKellar, Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare de Lorene Scafaria, 4h44 Dernier jour sur terre d’Abel Ferrara…), cette thématique permet donc à l’australien Zak Hilditch de nous livrer « sa » vision de l’apocalypse, et des derniers moments contrariés d’un jeune fêtard repenti.

Pour on ne sait trop quelles raisons précises -probablement à cause d’une réalisation voulue comme une expérience viscérale et quasi-sensorielle faisant la par belle aux plans aux limites de l’abstraction- le film de Zak Hilditch évoque, par ses qualités et ses défauts, le déroutant Bellflower d’Evan Glodell, un autre étrange mélange de science-fiction et de cinéma horrifique. Découvert à Cannes à l’occasion de la Quinzaine des Réalisateurs, Final hours a déjà eu les honneurs d’une critique sur critique-film.fr, sous la plume inspirée de notre rédac’ chef Pascal Le Duff. En voici un extrait :

« Se rendre à la fête apocalyptique n’est pas une partie de plaisir, le trajet étant jonché de cadavres qui s’accumulent dans les rues, suicides collectifs ou meurtres sauvages, l’homme étant un loup pour l’homme surtout quand la fin est proche et que toutes les inhibitions sont levées. Comment accepter l’inexorable, prendre le temps de réfléchir à ce qui compte dans la vie, affronter l’horreur ou se cacher le visage dans la terre comme une autruche ou dans une cave transformée en abri souterrain sorti des récits d’anticipation du temps de la Guerre Froide. Comme toujours dans ce genre balisé du fantastique, les pistes narratives sont multiples et les questionnements peuvent être passionnants ou émouvants, d’autant que le réalisateur n’élude pas l’horreur graphique et la tragédie de ceux qui n’ont plus d’espoir, une visite dans une maison familiale étant particulièrement marquante tout comme les multiples messages d’adieu accrochés sur des corps ou des maisons abandonnées. »

2015 – Green Room (Jeremy Saulnier, Canada)

« Deux ans après Blue Ruin présenté dans cette même section, la Quinzaine des Réalisateurs nous redonnait déjà des nouvelles de son réalisateur Jeremy Saulnier avec Green room lors de l’édition 2015 du Festival de Cannes. (…)

Ce film avec des séquences gore troublantes (une main luttant pour garder une porte fermée, l’emploi de chiens à dents acérées) a permis au réalisateur de rendre hommage à son attachement à la musique punk avec humour mais sans ironie, les séquences musicales étant plutôt efficaces. Le contexte néo-nazi plonge les quatre amis dans une ambiance « Blues Brothers dans un bar country » mais avec une issue moins positive, pour eux comme pour leurs ennemis d’une nuit. Le film s’inscrit dans la continuité d’un genre efficace pour le suspense, le film dit « de siège » autant les plus prestigieux exemples que furent Assaut de Carpenter ou La Nuit des morts vivants de Romero que dans des séries B plus méconnues telles que le sobrement titré canadien Siège de Paul Donovan et Maura O’Connell dans les années 80. L’on pourrait citer d’autres titres, oui, l’on pourrait, mais l’on ne fera pas (j’ai un doute sur cette phrase). Le réalisateur en maîtrise les codes, sait les détourner, accélère de façon très pertinente le rythme dans les tentatives illusoires des otages de croire qu’ils pourront fuir en forçant le passage même s’il se laisse parfois piéger par des rebondissements attendus qui atténuent la portée finale de l’œuvre moins audacieuse qu’elle n’aurait pu l’être. (…)

Inégal dans certains de ses rebondissements mais franchement réjouissant dans l’ensemble (en particulier dans le cadre d’un festival riche en drames feutrés – mais pas que, attention), Green Room fait preuve d’une grande qualité formelle et de caractérisation suffisamment convaincante de ses personnages. Sans atteindre la force de son précédent opus, Jeremy Saulnier confirme un sens du cinéma de genre, à l’égal, au moins potentiellement, d’un Jim Mickle, nouvel habitué, comme lui, de la quinzaine, se révélant parfois très surprenant. »

Extrait de la critique de Pascal Le Duff. Découvrez-la en intégralité en cliquant sur ce lien.

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