Critique : Le Rêve du papillon

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Le Rêve du papillon

Italie, Suisse, France, 1994
Titre original : Il sogno della farfalla
Réalisateur : Marco Bellocchio
Scénario : Massimo Fagioli
Acteurs : Thierry Blanc, Simona Cavallari, Nathalie Boutefeu, Henry Arnold
Distribution : –
Durée : 1h51
Genre : Drame
Date de sortie : –

Note : 3/5

Des troubles psychologiques ou sociaux aigus sur fond d’un contexte culturel ou historique foisonnant : la plupart des films de Marco Bellocchio opèrent sur ce tableau à la fois vague et créateur d’un univers cinématographique plutôt singulier. Dans le cas du Rêve du papillon, cet intérêt durable pour la tragédie intime prise au piège de considérations philosophiques plus vastes s’articule autour d’une prémisse pour le moins étrange. Le mutisme volontaire du personnage principal y est avant tout source de vide, d’une absence que le récit cherche tant soit peu à combler par des cheminements intellectuels et géographiques envoûtants. En ce sens, il s’agit d’un film représentatif de l’œuvre de son réalisateur, grâce à sa richesse culturelle ainsi qu’à sa beauté plastique fascinante et en dépit d’une certaine lourdeur opaque du propos. La finesse sophistiquée de la narration évite au film le naufrage dans le marasme des symboles trop pesants, même si la raison d’être de cette histoire peu conventionnelle reste pour nous un mystère.

Synopsis : A l’âge de quatorze ans, Massimo a décidé de ne plus communiquer avec les autres qu’à travers des répliques issues de pièces de théâtre. Jeune acteur à la carrière prometteuse, c’est principalement sur scène qu’il fait depuis entendre sa belle voix. Un réalisateur souhaite faire de ce drôle de vœux de silence le sujet de son prochain spectacle, mettant à contribution les parents de Massimo, respectivement professeur de poésie et écrivain. Dans l’entourage du comédien partiellement muet, son refus de parler provoque cependant un agacement de plus en plus important, notamment auprès de son frère Carlo et de la femme de celui-ci Anna. Seuls son grand-père et sa copine voient dans son style de vie un noble pied de nez à la bêtise de l’homme, qui s’exprime souvent par la parole.

A quoi bon parler ?

Quand le protagoniste d’un film ne s’exprime pas, par choix ou indépendant de sa volonté, ce sont généralement les autres personnages qui doivent fournir un tissu de répliques susceptible d’accompagner de façon constructive et explicative le parcours du héros. C’est ce qui se passe jusqu’à un certain point dans Le Rêve du papillon. Les proches de Massimo occupent même le terrain du discours avec une telle force du désespoir et de l’incompréhension que la présence concrète de ce jeune homme, mis à l’écart par ses propres moyens, en devient superflue. Pendant la première moitié du film, tout n’est que lamentations et quête désabusée de la raison exacte pour le comportement déconcertant du fils ou du frère. Sauf que – en accord parfait avec le dessein global de la filmographie de Marco Bellocchio, qui ne cherche jamais à disséquer l’individu sans en tirer une leçon exemplaire sur l’état du monde – le creux laissé par l’absence de Massimo en dit surtout long sur les préoccupations existentielles des autres personnages, encore empressés de se conformer au rôle que la société leur suggère. Son retrait d’une partie substantielle du monde fait de lui une surface de projection, pratiquement sans vie, ni volonté propre, sur laquelle s’entrechoquent avec une impuissance presque touchante les reproches et les errements de ceux et celles qui parlent sans rien dire.

La sagesse du monde

Cela serait néanmoins sous-estimer les capacités formelles de Marco Bellocchio de classer ce film comme une réplique sans envergure de l’obsession du vide esthétique et des discours nébuleux, très à la mode dans les années 1980. Car derrière l’aspect livide de Massimo s’anime tout un réseau passionnant de références picturales et culturelles, certes assemblées d’une manière parfois statique et arbitraire, quoique hautement stimulantes. Bien plus qu’une simple relecture du mythe d’Œdipe, comme voudrait sans doute le laisser croire le dernier plan du film, le récit emprunte de multiples pistes d’interprétation, dont celle du rôle des personnages féminins nous paraît la plus pertinente.

Alors que l’action des femmes de la même tranche d’âge que Massimo, attirées par ce beau ténébreux simultanément libre et fragile, a de quoi laisser perplexe, entre le désir pour le séducteur imaginaire gitan et la parenthèse dans la cour des miracles, l’accueil que lui réservent ses trois aînées est déjà plus probant. D’abord sa mère, interprétée magistralement par Bibi Andersson, tiraillée entre la sphère privée et professionnelle, avec d’un côté la défaite cuisante de l’instinct maternel, incapable de rester en contact avec son fils préféré, et la nécessité de couler cette frustration en des mots qui permettraient peut-être à ce dernier de sortir de sa cage. Puis sa belle-mère, la conteuse devant la cheminée, dépourvue d’illusions et en cela un prolongement astucieux de la culture italienne du conte, et enfin la vieille dame du village, qui donne au couple un refuge temporaire et quelques précieux conseils.

Conclusion

Marco Bellocchio ne fait guère des films conçus pour enthousiasmer immédiatement leur public par leurs prouesses techniques ou leur facilité d’accès. C’est davantage un poète méticuleux, pas pressé et pas non plus soumis à l’obligation du rendement, qui se promène avec un plaisir évident dans les méandres de l’esprit humain et de la civilisation italienne. Le Rêve du papillon tient compte de son style, parfois un peu alambiqué et énigmatique, pour mieux nous conduire vers une terre filmique personnelle, sur laquelle le talent indéniable du réalisateur peut s’épanouir en toute liberté.

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