Critique : Le Chant du loup

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Le Chant du loup

France, 2019

Titre original : –

Réalisateur : Antonin Baudry

Scénario : Antonin Baudry

Acteurs : François Civil, Omar Sy, Mathieu Kassovitz, Reda Kateb

Distribution : Pathé

Durée : 1h56

Genre : Sous-marin

Date de sortie : 20 février 2019

3/5

De nos jours, alors que les menaces au niveau international sont aussi diffuses qu’une cyberattaque ou un attentat terroriste perpétré sur n’importe quelle cible, quelle nation se rêve encore en grande puissance militaire ? Le temps des épopées de guerre héroïques paraît en effet révolu, tellement le climat contemporain fortement anxiogène invite à l’évasion par excellence du côté des affrontements fantastiques entre super-héros, l’essence même de l’évacuation des inquiétudes réelles vers un univers suprêmement fictif. Sans surprise, le cinéma hollywoodien s’abstient ces dernières années de tout triomphalisme sur les écrans, les dernières expériences sur le terrain des hommes de l’Oncle Sam invitant au mieux à la nostalgie des conflits lointains, avant la guerre du Vietnam, quand la réputation et la force de frappe de l’armée américaine étaient encore intactes. En France, les quelques missions de maintien de la paix, soi-disant, initiées sous la présidence Hollande ne monopolisent point l’attention publique. Elles dégagent au mieux un bruit de fond, comme cette éternelle fierté nationale, devenue un peu poussiéreuse au fil des décennies, de la capacité de dissuasion nucléaire par voie de sous-marin. Dans ce contexte, Le Chant du loup fait moins l’effet d’une bombe que d’un doux anachronisme, le progrès technique en termes d’espionnage sous l’océan n’ayant a priori de l’intérêt que pour les fins stratèges des états-majors. Or, l’efficacité de la mise en scène de Antonin Baudry sauve le film du naufrage. Mieux encore, elle nous fait largement adhérer à une intrigue malgré tout assez conventionnelle, qui relève moins de l’exiguïté suffocante du Bateau de Wolfgang Petersen que du suspense à couteaux tirés à l’œuvre dans USS Alabama de Tony Scott, un film infiniment plus représentatif de son époque que celui-ci.

© Julien Panié / Pathé Films Tous droits réservés

Synopsis : Après avoir failli causer la perte de son équipage au large des côtes syriennes à cause d’une mauvaise interprétation du sonar, l’officier Chanteraide est sur le point d’être démis de ses fonctions. L’urgence d’une crise internationale lui permet de reprendre du service sur le sous-marin nucléaire de son ancien commandant Grandchamp, censé dissuader les Russes de poursuivre leurs actions belliqueuses en Europe.

© Julien Panié / Pathé Films Tous droits réservés

Les ordres sont les ordres

Même dans les films de sous-marin au propos le plus nuancé, il persiste toujours un fond idéologique susceptible d’en relativiser notre appréciation. Conçus nécessairement à la gloire des forces armées, ne serait-ce que parce que ces dernières y interviennent invariablement avec leur expertise technique et matérielle, ils véhiculent toujours un relent de propagande plus ou moins affirmé. Selon eux, il doit y avoir quelque chose de foncièrement valeureux et héroïque à naviguer parmi des hommes courageux – et les femmes alors ? – aux fins fonds de la mer au service de son pays, un fait d’emblée colporté ici par le biais d’une citation d’Aristote en exergue. Ces marins des temps modernes débordent carrément d’exemplarité, toujours prêts au sacrifice, quitte à se définir exclusivement par l’attachement à leurs chefs, ainsi qu’à leur mission sacrée. Heureusement, cet éloge de la hiérarchie militaire reste assez sobre, en tout cas tant que le face-à-face final n’exige pas de réponses plus démesurées. Parmi les moyens mis en œuvre pour contrecarrer toute exaltation guerrière, on peut citer un détail en apparence aussi anodin que la police austère du générique et, de façon plus évidente, le jeu toujours très digne d’un trio de commandants redoutable, formé par Mathieu Kassovitz, Reda Kateb et Omar Sy.

© Julien Panié / Pathé Films Tous droits réservés

L’heure du joint aux baskets fluo

Cependant, en dépit de toute sa diligence narrative, le récit s’appuie un peu trop sur les prouesses de son protagoniste, un jeune surdoué interprété avec un charme indéniable par François Civil. Au lieu de vanter en priorité la notion d’équipe dans un corps d’armes en voie de digitalisation galopante, le scénario cherche à nous faire croire que le sort de l’humanité dépende des états d’âme d’une recrue à l’oreille fine. Le sérieux de la description de son environnement de travail est alors périodiquement miné par le portrait plus approximatif d’un personnage sur le dur chemin de l’acquisition de la maturité. Tandis que l’aspect le plus dispensable de l’intrigue est sans doute la parenthèse romantique, qui repose tant bien que mal sur les grands yeux expressifs de Paula Beer, certains revirements déclenchés par Chanteraide manquent également de logique dans un environnement sinon tiré au cordeau. Il s’agit en quelque sorte d’un héros aux pieds d’argile. Ce jeune prodige coche toutes les cases sur la liste de l’ambition bornée, sans pour autant gagner progressivement en humanité au fil d’une histoire, qui met autant en question ses choix personnels que la certitude collective, bien sûr erronée, que la France dispose de suffisamment de cartes pour participer au poker de la guerre du 21ème siècle.

© Julien Panié / Pathé Films Tous droits réservés

Conclusion

Notre analyse plus réfléchie du Chant du loup ne le reflète peut-être pas explicitement, mais nous avons globalement apprécié le premier film de Antonin Baudry. Par sa facture musclée, quoique pas non plus grossière, il dresse un monument cinématographique passablement héroïque à la marine française, qui ne verse pas pour autant dans un manichéisme primaire. Grâce à une distribution de premier choix, avec une mention spéciale pour Mathieu Kassovitz en amiral au tempérament subtilement tendu, et des contributions techniques sans faux pas, venues carrément d’Amérique en ce qui concerne le mixage sonore, cette histoire déjà vue à de nombreuses reprises réussit à nous faire retenir temporairement notre souffle, la conclusion grandiloquente mise à part.

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