Critique : Happy end

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Happy end

France, Allemagne, Autriche, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Michael Haneke
Scénario : Michael Haneke
Acteurs : Isabelle Huppert, Jean-Louis Trintignant, Mathieu Kassovitz, Fantine Harduin
Distribution : Les Films du Losange
Durée : 1h48
Genre : Drame
Date de sortie : 4 octobre 2017

Note : 2,5/5

Cela a presque quelque chose de malicieusement réconfortant de constater que Michael Haneke n’est pas parfait. Il ne l’a en fait jamais vraiment été, puisque avant son coup double des Palmes d’or cannoises pour Le Ruban blanc et Amour, on lui devait des films aussi inégaux que Code inconnu et Le Temps du loup. Le réalisateur revient donc avec Happy end à ses haines anciennes, nourries avec son cynisme habituel par tout ce qui rend la bourgeoisie contemporaine si facile à détester. On y reconnaît les structures familiales hautement dysfonctionnelles à travers les générations de Caché, au détail crucial près que l’intrigue se résume ici à une accumulation de perversions plus ou moins honteuses, enchaînée sans leur conférer quelque finalité dramatique que ce soit. Alors oui, on pourrait déceler dans cette fable monstrueuse un commentaire amer sur la vie en communauté aujourd’hui, ponctuée de gadgets virtuels qui accentuent encore la distance au froid glacial entre les hommes. Mais la transmission de cette noirceur existentielle ne fonctionne guère dans le cas présent, peut-être aussi parce que la narration affiche plutôt fièrement son désintérêt total pour tout ce qui a trait à notre éventuel investissement affectif ou au moins intellectuel dans les petits méfaits malsains de ce clan de la haute bourgeoisie provinciale.

Synopsis : Exécrée par les interminables jérémiades de sa mère divorcée, l’adolescente Eve l’empoisonne avec des tranquillisants. Alors que sa mère est à l’hôpital entre la vie et la mort, Eve rejoint son père Thomas qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle est accueillie dans la demeure de la famille Laurent à Calais, où le vieux patriarche Georges ne pense qu’à mettre fin à ses jours et où sa tante Anne cherche par tous les moyens à maintenir à flots l’entreprise de BTP pour la gestion de laquelle son fils Pierre ne montre aucun talent.

Un malheur n’arrive jamais seul

On connaissait déjà le goût de Michael Haneke pour l’acharnement du sort, qui se soldera tôt ou tard par une catastrophe aux conséquences néfastes. Le dispositif avait magistralement porté ses fruits dans le cadre de la campagne allemande du début du siècle dernier, lorsque l’accident d’équitation du médecin n’était que le point de départ de la mise à sac morale d’un petit village en apparence paisible et civilisé. Dans Happy end, il est manifestement entré dans un régime de surchauffe irrécupérable et en fin de compte insensé, puisque nous apprenons dans quasiment chaque séquence une nouvelle tragédie qui a frappé le pauvre clan malmené. Cette inflation galopante des malheurs produit par contre premièrement chez nous un effet d’indifférence, lui aussi pervers admettons-le, face à ce groupe de personnages poursuivi par les coups durs, auxquels ils semblent répondre avec un calme étrange. A partir d’un certain moment, nous ne comptons ainsi plus les revirements dramatiques dignes d’une telenovela, à savoir accidents, agressions, révélations fracassantes et intrigues en tout genre, à cause de la sobriété glaciale de la mise en scène, qui étouffe par la même occasion toute ambition satirique du récit. Pire encore, elle s’interdit une quelconque hiérarchisation des événements en termes de gravité. Cela reflète certes le flux médiocre des informations et des images auquel nous sommes exposés en permanence de nos jours, par le biais de médias aussi insignifiants et pourtant représentatifs de notre époque que les vidéos sur Instagram ou les chaînes Youtube. Mais le lien trompeur avec la modernité gratte au mieux la surface dans le diagnostique cette fois-ci peu engageant et pertinent du docteur Haneke, jusqu’à présent l’un des psychanalystes majeurs dans le cinéma européen.

Victimes et fouineurs vicieux

Il manque en effet une voie d’accès crédible à cette foire de loups déguisés en moutons. L’option la plus évidente, de s’appuyer sur la conception traditionnelle de l’instinct maternel comme bouée de sauvetage, tombe sans surprise à plat, aussi peut-être parce que les personnages féminins dans Happy end sont étonnamment peu convaincants, à commencer par Isabelle Huppert qui y fait à peine plus que le minimum syndical en mère courage tout juste capable de maintenir les apparences. Quant au petit grain de sable en la personne d’Eve, qui enraye presque malgré elle une machine sociale détraquée depuis longtemps, le scénario ne lui laisse aucunement assez d’espace et de temps pour développer les contradictions inhérentes à l’âge compliqué de l’adolescence. Non, les seuls à tirer tant soit peu leur épingle du jeu sont Mathieu Kassovitz et Jean-Louis Trintignant dans des rôles de pères savoureusement indignes. Le premier a beau sortir une fois de trop l’excuse bidon de la maladresse afin d’expliquer pourquoi il ne réussit pas à rétablir le lien parental avec sa fille, il n’en reste pas moins un hypocrite de premier ordre, taraudé par des fantasmes sexuels extrêmes dont la narration ne montre que l’aspect curieusement porno-poétique de l’échange sur messagerie avec sa maîtresse. En parallèle, et logiquement dans une sphère qui ne touche personne d’autre, l’octogénaire campé par Trintignant est tout sauf un papa-gâteau : à la limite, il est le seul à comprendre la portée de ses actes et à vouloir en tirer les conséquences autrefois considérées comme honorables. La caractérisation assez approximative de ces deux personnages complémentaires est hélas insuffisante pour rendre plus vigoureuse la tenue de l’intrigue dans son ensemble. Car celle-ci souffre de même des apparitions anecdotiques et donc proches du gâchis de Nathalie Richard, Dominique Besnehard et Ibrahim Koma, placés là sans la moindre justification.

Conclusion

Personne n’est parfait, même pas Michael Haneke, qui poursuit dans Happy end ses vieilles obsessions sur la pourriture en dessous d’une couche fine de respectabilité, malheureusement sans nous choquer cette fois-ci de façon salutaire, grâce à la symbiose entre le nihilisme de son propos et la maîtrise de la mécanique du cinéma. Ce sont davantage les ficelles qui apparaissent ici, les dispositifs de manipulation et de provocation trop réfléchis et découpés pour rendre ce film attrayant de quelque manière que ce soit.

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