Des César Misérables

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Voici en quelques mots une réaction sur une cérémonie pour le moins tendue et inhabituelle, ou «très particulière» selon la Présidente de la soirée Sandrine Kiberlain. Elle a suivi de quelques jours la démission collective du conseil d’administration de l’Association pour la promotion du cinéma qui gère les César, à commencer par celle de son président controversé, le producteur Alain Terzian. La productrice Margaret Menegoz lui succède a priori brièvement le temps d’un intérim qui la mènera au moins jusqu’au prochain CA. Ambiance…

Jérémy Clapin avec le producteur Marc du Pontavice (J’ai perdu mon corps) © Clémence Lavigne, Caroline Sénécal, Flora Cavero – ENS Louis Lumière pour l’Académie des César 2020

On vous épargne le descriptif détaillé des sketchs interminables (starring Benjamin Lavernhe ou la coach de Florence Foresti) et on vous invite à regarder le discours franchement drôle d’Emmanuelle Devos ou ceux plus sérieux de Jeremy Clapin sur le rapport à l’animation dans ce genre de soirées ou de Nicolas Cantin, ingénieur du son, qui a souligné son soutien aux diverses luttes politiques du moment, souvent accompagnées de répressions brutales.

L’incompréhension dans la salle et devant son poste fut totale à l’annonce de certains prix. La question n’est absolument pas de savoir si J’accuse méritait de remporter ses trois César. À la limite, c’est anecdotique. Cela a commencé par les costumes, remis, en son absence, à Pascaline Chavanne, les membres de l’équipe ayant annoncé qu’ils ne viendraient pas, la veille de la cérémonie. Ensuite est venu celui de l’adaptation et, en fin de soirée, celui du meilleur réalisateur. Aïe. On connaît cette règle idiote de l’interdiction du doublé film et réalisateur, introduite pour les César 2017. Elle a probablement été la cause de ce grand moment de gêne qui a permis à Roman Polanski de remporter son cinquième César en tant que réalisateur, son dixième en tout et donc le deuxième de la soirée. Ce n’est qu’une opinion personnelle, et relativement fluctuante, de ma part, mais le plus gênant ne fut pas tant sa victoire, si ceux qui ont voté pour lui ont sincèrement pensé qu’il était le meilleur dans les catégories où il était cité.

Plus gênante est l’impression que certains de ses soutiens ont plus voté pour l’homme que pour l’artiste, plus contre Céline Sciamma et surtout CONTRE Adèle Haenel que POUR lui. Plus gênante encore fut l’apathie de la salle lorsqu’Adèle Haenel a quitté la salle, levant le bras et criant «la honte !», ajoutant «Vi-ve la pédo-philie, bra-vo la pédo-philie, bravo !» à l’extérieur de la salle, sur des images captées par Paris Match. Elle ne fut suivie que d’une poignée de personnes dont, essentiellement, les membres de l’équipe de son film. Les autres spectateurs dans la salle, comme tétanisés, sont restés fixés à leur siège. Ses paroles marquantes avant de descendre l’escalier donnent une terrible image de l’institution moribonde depuis ces derniers mois. Surtout quand on repense à la vague de soutiens sans réserve lorsqu’elle a fait ses révélations à Mediapart. Le silence a donc, une fois de plus, remporté une bataille mais la guerre vers un nouvel état d’esprit n’est donc pas finie.

Swann Arlaud © Clémence Lavigne, Caroline Sénécal, Flora Cavero – ENS Louis Lumière pour l’Académie des César 2020

Revenons aussi sur les lauréats, tout de même. Swann Arlaud reçoit son deuxième César (mérité, une nouvelle fois) pour Grâce à dieu, ce qui lui permet de doubler le nombre de prix remportés par un film de François Ozon, l’autre étant celui de la photo pour Frantz ! Dingue, quand on y pense, 2 César en 48 nominations ! L’interprète du Petit paysan a aussi été interrogé sur le cas Polanski par 20 Minutes : «Je comprends la réaction d’ Adèle Haenel quand elle a quitté la salle après l’annonce du prix. Comment ne pas la comprendre après avoir tourné Grâce à Dieu qui évoque les victimes de la pédophilie. Je n’en reviens pas de ce qui se passe». Deuxième doublé dans cette même catégorie, avec le doublé encore de Fanny Ardant, 23 ans après sa récompense comme meilleure actrice pour Pédale douce. Elle a affiché son soutien à Roman Polanski, en affirmant : «Quand j’aime quelqu’un, je l’aime passionnément. Et j’aime beaucoup Roman Polanski, donc je suis très heureuse pour lui. Je suivrais quelqu’un jusqu’à la guillotine, je n’aime pas la condamnation». Deux opinions pour le moins contrastées donc.

Anaïs Demoustier et Roschdy Zem sont eux montés sur scène pour la première fois. C’était attendu pour le second, plus inattendu pour la première, mais ce premier prix majeur depuis ses débuts voici déjà vingt ans (!) est bien mérité. Avant Roschdy Zem, d’autres acteurs avaient été honorés pour des films de Desplechin : Emmanuel Salinger (La Sentinelle), Mathieu Amalric (Comment je me suis disputé et Rois et reines) et Jean-Paul Roussillon (Un conte de Noël).

Anaïs Demoustier et Roshcdy Zem © Clémence Lavigne, Caroline Sénécal, Flora Cavero – ENS Louis Lumière pour l’Académie des César 2020

Claire Mathon, seule représentante au palmarès du film de Céline Sciamma, est la quatrième femme directrice de la photo honorée après la documentariste Marie Perennou – la première citée, en 1997 – pour Microcosmos (partagé avec Claude Nuridsany), Agnès Godard pour Beau Travail et Caroline Champetier pour Des hommes et des dieux. Peu d’autres ont même été nommées : Jeanne Lapoirie pour Huit Femmes, Josée Deshaies pour L’Apollonide, Claire Mathon pour L’Inconnu du lac, Éponine Momenceau pour Dheepan et Irina Lubtchansky pour Trois souvenirs de ma jeunesse, entre autres citations, certaines l’ayant été plusieurs fois.

Ladj Ly (© Getty Images pour l’Académie des César 2020)

Les Misérables de Ladj Ly est le 7e premier long-métrage à recevoir celui du meilleur film. Le doublé ne s’est produit qu’une fois (Gallienne), car le doublon film + premier film a souvent été interdit, lorsque d’autres années, il fut la responsabilité unique des votants qui ont voté d’eux-mêmes pour deux films différents (les années Collard, Zonca ou Nuytten notamment). Récapitulatif complet : Camille Claudel de Bruno Nuytten, Les Nuits fauves de Cyril Collard, La Vie rêvée des anges d’Érick Zonca, Le Goût des autres d’Agnès Jaoui, Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne et Jusqu’à la garde de Xavier Legrand l’an dernier.

Après cette intermède factuel, revenons sur la partie gênante de la cérémonie… Florence Foresti ne croyait certainement pas si bien dire lorsqu’elle a sorti sa vanne sur «la dernière… euh la 45e cérémonie des César». Elle s’est d’ailleurs dit écoeurée sur son compte Instagram dans les minutes qui ont suivi le départ d’Adèle Haenel et n’est d’ailleurs pas revenue sur scène à la fin, comme de tradition en général. Brad Pitt, pressenti pour le César d’honneur, a bien fait de s’abstenir de venir ! Jean Dujardin, forcément absent ce soir là, s’est lui aussi exprimé sur son compte Instagram, manifestement estomaqué par l’ampleur de la polémique : «Je voudrais simplement rappeler que J’accuse est le titre d’un article assez célèbre d’Émile Zola, j’espère que cela ne gêne personne ? Bonne soirée !», précisant ensuite sur un registre moins énervé : «En faisant ce film, j’ai cru, et je le crois encore, avoir fait plus de bien que de mal».

Trouver la juste réaction n’est pas aisée, les «pour» et les «contre» ayant chacun des arguments valides (ou moins). Les diverses interventions de célébrités depuis samedi, de Lambert Wilson à Juliette Binoche, en passant par les sœurs Seigner (forcément au cœur de la tempête) et d’autres encore n’aident pas à une position nette, que ce soit sur Polanski lui-même, les César en général, cette soirée là en particulier, sur l’attitude de Foresti (pertinente ou vulgaire, relativement juste ou complètement à côté de la plaque selon les avis), sur la qualité de certaines interventions, celle d’Aïssa Maïga étant pour le moins confuse (via l’interpellation de Vincent Cassel) malgré des points pertinents. Les déclarations des uns et des autres témoignent en tout cas de divergences assez lourdes qui font réfléchir. On n’est pas loin de partager une phrase prononcée par Isabelle Huppert à Destination Ciné : «C’est difficile d’émettre un avis juste». En tout cas, si une vraie révolution n’est pas menée d’ici à la prochaine cérémonie, la question de son maintien risque pour une fois de devenir un vrai sujet. Et non un marronnier de journaux en quête de remplissage.

En résumé : Triste Monde Tragique…

© Getty Images pour l’Académie des César 2020

Le palmarès complet

  • Meilleur film : Les Misérables de Ladj Ly, produit par Toufik Ayadi et Christophe Barral
  • Meilleure réalisation : Roman Polanski pour J’accuse
  • Meilleur premier film : Papicha de Mounia Meddour, produit par Patrick André, Xavier Gens et Grégoire Gensollen
  • Meilleur long-métrage d’animation : J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, produit par Marc Du Pontavice
  • Meilleur film étranger : Parasite de Bong Joon-ho (Corée), distribué par Les Bookmakers / The Jokers
  • Meilleur acteur : Roschdy Zem dans Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin
  • Meilleure actrice : Anaïs Demoustier dans Alice et le maire de Nicolas Pariser
  • Meilleur scénario original : Nicolas Bedos pour La Belle Époque
  • Meilleure adaptation : Roman Polanski et Robert Harris pour J’accuse
  • Meilleur second rôle masculin : Swann Arlaud dans Grâce à Dieu de François Ozon
  • Meilleur second rôle féminin : Fanny Ardant dans La Belle Époque
  • Meilleur espoir masculin : Alexis Manenti dans Les Misérables
  • Meilleur espoir féminin : Lyna Khoudri dans Papicha
  • Meilleure musique : Dan Levy pour J’ai perdu mon corps
  • Meilleure photo : Claire Mathon pour Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma
  • Meilleur montage : Flora Volpelière pour Les Misérables
  • Meilleurs décors : Stéphane Rozenbaum pour La Belle Époque
  • Meilleurs costumes : Pascaline Chavanne pour J’accuse
  • Meilleur son : Nicolas Cantin, Thomas Desjonquières, Raphaël Mouterde, Olivier Goinard et Randy Thom pour Le Chant du loup d’Antonin Baudry
  • Meilleur court-métrage d’animation : La nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel, produit par Amaury Ovise
  • Meilleur court métrage : Pile poil de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller, produit par Emmanuel Wahl et Adrien Bretet
  • Meilleur documentaire : M de Yolande Zauberman, produit par Charles Gillibert, Yolande Zauberman et Fabrice Bigio
  • César du public : Les Misérables

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