Critique : Boléro

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Boléro

France, 2024
Titre original : –
Réalisatrice : Anne Fontaine
Scénario : Anne Fontaine et Claire Barré, d’après le livre de Marcel Marnat
Acteurs : Raphaël Personnaz, Doria Tillier, Jeanne Balibar et Vincent Perez
Distributeur : SND
Genre : Biographie filmique
Durée : 2h01
Date de sortie : 6 mars 2024

3/5

Même la personne la moins inclinée en termes de musique en est consciente, de cette mélodie entêtante connue sous le nom du Boléro de Ravel. Ses adaptations et ses réinterprétations sont légion, comme le montre le générique du film de Anne Fontaine. Et il ne se passe pas un quart d’heure sur terre, sans qu’il ne soit joué quelque part sur la planète – information tirée du générique de fin. En somme, tout le monde est familier de ce morceau de musique emblématique. Mais qui en connaît la genèse et le créateur ? Sans doute quelques personnes supplémentaires, grâce à Boléro, une biographique filmique des plus convenables, qui reste pourtant trop longtemps trop sage pour réellement nous enthousiasmer. Car son protagoniste y est dépeint en tant qu’homme insaisissable, un solitaire obsédé avant tout par la musique et seulement après par sa façon de s’habiller et des femmes triées sur le volet.

Un emploi mi-distant, mi-fascinant qui correspond plutôt bien au talent de Raphaël Personnaz. Malgré une différence d’âge notable avec la personnalité qu’il incarne, qui avait plus de cinquante ans au moment de sa consécration universelle alors que le comédien n’en est qu’au début de la quarantaine, il réussit à en transmettre la nature complexe, voire tourmentée avec un zeste de fadeur. En effet, si son personnage distant arrive tant soit peu à prendre vie à l’écran, c’est aussi et même surtout grâce aux rôles féminins secondaires, sensiblement plus vibrants que lui.

Peu importe que ce soient Doria Tillier en incarnation d’un amour passionnel jamais assouvi, Jeanne Balibar une fois de plus dans la peau d’une bohémienne à l’extravagance exacerbée, Emmanuelle Devos comme amie et soutien simultanément terne et indéfectible, Sophie Guillemin en gouvernante autorisée à pousser la chansonnette ou bien Anne Alvaro en mère convaincue du talent de son fils : ce sont les femmes qui font avancer un récit trop académique pendant les trois premiers quarts du film.

© 2024 Pascal Chantier / Ciné-@ / Cinéfrance Studios / F comme Film / France 2 Cinéma / Netflix / SND
Tous droits réservés

Synopsis : En 1927, Maurice Ravel compte parmi les compositeurs les plus respectés en France et dans le monde. Alors qu’il voudrait s’inspirer du jazz, découvert lors d’une tournée de concerts récente aux États-Unis, sa bienfaitrice Ida Rubinstein lui commande un ballet aux accents espagnols. Faute d’inspiration, Ravel préfère passer du temps avec Misia, une femme mariée dont il est néanmoins éperdument amoureux depuis des années. Quand la date de remise fatidique de sa partition approche, le compositeur se met bien malgré lui au travail. Il se contente de créer un thème unique d’une durée d’une minute, qui sera répétée dix-sept fois. Sa supercherie rencontre un succès phénoménal, qui définira dès lors – et jusqu’à aujourd’hui – l’œuvre de Maurice Ravel.

© 2024 Pascal Chantier / Ciné-@ / Cinéfrance Studios / F comme Film / France 2 Cinéma / Netflix / SND
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Le genre de la biographie filmique figure parmi les plus conventionnels qui soient dans l’Histoire du cinéma, pourtant en éternelle évolution. Dans la plupart des cas, il n’y a pas un nombre infini de possibilités pour raconter une vie. A moins de tomber sur la perle rare, comme avec I’m not there de Todd Haynes et son inspiration très libre et morcelée de l’univers de Bob Dylan, le public devra se contenter d’une trame narrative plus ou moins linéaire, culminant le plus souvent par l’événement qui a ouvert la voie à la célébrité.

A bien des égards, Boléro se conforme sans broncher à cette formule. Les retours en arrière y sont heureusement rares. Mais en dépit de la focalisation sur la composition phare de Ravel, il faudra patienter un certain temps, avant que Anne Fontaine n’ose s’affranchir timidement des règles du genre. Ces dernières sont appliquées ici avec le même goût pour la répétition que celui rythmant le morceau de musique mondialement connu.

Toutefois, il faut reconnaître que cet homme froid et cérébral ne se prête guère à l’exercice du portrait filmique passionnant. Pour cela, il reste trop tributaire de ses sources d’inspiration sonores, sur lesquelles la mise en scène ne s’appuie d’ailleurs pas suffisamment pour faire du film une véritable expérience sensorielle. De même, l’éternel casse-tête de l’expression au cinéma de l’acte de création artistique n’est point résolu par Boléro, passant rapidement sur ces quelques séquences de composition sous la contrainte du temps. De surcroît, cet accouchement pénible se solde par un sacre public globalement mal vécu par son auteur. Avant que la maladie ne l’emporte, au cours de la dernière partie du film, la seule à nous convaincre par sa volonté de rompre avec les poncifs d’un dénouement tragique.

© 2024 Pascal Chantier / Ciné-@ / Cinéfrance Studios / F comme Film / France 2 Cinéma / Netflix / SND
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A l’image du raisonnement digne d’un technocrate du personnage principal, le mécanisme parfaitement huilé de la narration bascule en effet vers une forme moins prévisible pour le dernier quart d’heure du film. Au fur et à mesure que Ravel perd la tête et que les cheveux de Raphaël Personnaz blanchissent, les enjeux du récit se transforment comme par miracle. Puisqu’il n’y a plus besoin d’asseoir la réputation de cette figure emblématique de la musique française, il est désormais temps d’en tirer un bilan avec des moyens cinématographiques légèrement moins convenus que ceux employés précédemment. Cette démarche appréciable ne va certes pas jusqu’à transformer le récit en labyrinthe d’images et de sons, dans lequel le spectateur serait appelé à se perdre. Mais le lâcher-prise involontaire du protagoniste s’accompagne tout au moins de quelques trouvailles intéressantes.

Ainsi, après avoir confondu progressivement les femmes de sa vie lui rendant visite dans cette ultime retraite à la fin de sa vie, Ravel en fait en quelque sorte un rêve éveillé dans le coma. Alors que nous reconnaissons parfaitement qu’il n’y a rien de vraiment original dans ce dispositif formel, rendu encore plus esthétiquement discutable par l’appartion soudaine du noir et blanc, il opère cependant une mise en abîme du plus bel effet. Sur son lit de mort, le compositeur d’un morceau passé indubitablement à la postérité se définit à la fois par cette rengaine inoubliable et par les ombres plus ou moins définies des femmes qui avaient osé croire en lui, tandis qu’il était rongé en permanence par le doute.

C’est au plus tard à ce moment-là qu’on reconnaît la patte d’une réalisatrice qui – si elle n’appartient guère aux cinéastes visionnaires du cinéma français – a quand même su s’imposer avec son féminisme discret et son savoir-faire loin d’être anodin.

© 2024 Pascal Chantier / Ciné-@ / Cinéfrance Studios / F comme Film / France 2 Cinéma / Netflix / SND
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Conclusion

Est-ce que ce sont les femmes qui ont le plus beau rôle dans Boléro ? Face à l’interprétation somme toute inspirée de Raphaël Personnaz d’un homme pourtant miné par toutes sortes de frustrations, principalement artistiques et romantiques, il ne serait point excessif de l’affirmer. Car autant l’éternel méchant du cinéma français Serge Riaboukine y impressionne en quelques secondes seulement, autant la participation de Vincent Perez demeure anecdotique. Derrière son apparence de biographie filmique des plus classiques, ce serait donc cela le secret véritable du dix-neuvième long-métrage de Anne Fontaine : de souligner avec une modernité et une subtilité toutes relatives le vieux préjugé selon lequel derrière chaque grand homme se tient une femme, voire plusieurs dans le cas présent.

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