Critique : 45 ans

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45 ans

Royaume-Uni, 2014
Titre original : 45 years
Réalisateur : Andrew Haigh
Scénario : Andrew Haigh, d’après la nouvelle de David Constantine
Acteurs : Charlotte Rampling, Tom Courtenay, Geraldine James
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h35
Genre : Drame
Date de sortie : 27 janvier 2016

Note : 4/5

Ce film n’est ni plus, ni moins qu’un miracle ! D’abord parce qu’il a su combler toutes les attentes que nous avions à son égard depuis qu’il a gagné un double Ours d’argent de l’interprétation au dernier festival de Berlin il y a un an. Et puis, d’une façon encore plus enthousiasmante, grâce à la confirmation du talent considérable de son réalisateur Andrew Haigh, qui avait su nous subjuguer avec son film précédent Week-end, ou la sublime naissance d’un amour gay. L’histoire de 45 ans se situe bien sûr à l’opposé de ce drame romantique plein de promesses, puisque le couple au centre de l’intrigue se rapproche de gré ou de force, quoique inexorablement, de la fin de leur relation. Le point commun entre ces deux films magnifiques se situe alors du côté de la sensibilité hors pair avec laquelle la mise en scène observe les rapports humains entre deux êtres qui font fi de leurs différences pour construire quelque chose ensemble ou bien le maintenir en l’état. Les interprétations magistrales de Charlotte Rampling et de Tom Courtenay se montrent tout à fait à la hauteur de ce drame intimiste profondément touchant.

Synopsis : Kate et Geoff Mercer sont mariés depuis quarante-cinq ans. Dans l’incapacité de célébrer leur anniversaire de mariage cinq ans plus tôt à cause de problèmes de santé sérieux de Geoff, ils ont décidé de rattraper la fête à laquelle ils ont convié tous leurs amis. Alors que les derniers préparatifs sont en cours, Geoff reçoit une lettre qui lui annonce que le corps de Katya, son grand amour avant de connaître Kate, vient d’être découvert. Elle avait disparu près de cinquante ans plus tôt lors d’un accident dans les Alpes. Déboussolé par cette nouvelle, Geoff se rappelle avec nostalgie cette relation brutalement interrompue. Kate supporte de moins en moins les souvenirs lourds de regrets de son mari.

Elle

Charlotte Rampling n’est point étrangère aux histoires de fantômes qui hantent la quiétude affective de femmes d’un certain âge. Elle avait fait son retour triomphal dans un rôle de ce genre à travers Sous le sable de François Ozon sorti il y a quinze ans. Le personnage qu’elle interprète ici est plus pragmatique que la veuve d’antan, incapable d’admettre la mort de son mari disparu en mer. Kate Mercer n’est pas pour autant un personnage dépourvu de zones d’ombre et de secrets. Elle a beau être le moteur du couple, en maintenant un lien avec le monde extérieur auquel son conjoint semble avoir déjà renoncé en grande partie, son attitude réservée, presque blasée, traduit une fêlure existentielle que l’arrivée inattendue d’une rivale du passé va exacerber outre mesure. Malgré la vigueur relative de son couple au bout de nombreuses années de vie commune, qui ont établi une certaine routine guère pesante en apparence, il arrive à cette femme investie d’un flegme typiquement britannique de se poser des questions essentielles sur ses attaches romantiques. Or, sa plus grande défaite personnelle est peut-être de croire encore en la longévité des sentiments d’amour exclusifs, pendant que Geoff est déjà parti vers un pays de réminiscence où pareille interrogation sinistre n’a pas lieu d’être. L’actrice interprète cette femme subtilement frustrée avec une finesse et une tristesse qui auraient dû lui valoir toutes les récompenses imaginables !

Lui

Tom Courtenay, quant à lui, campe un vieillard investi d’une immense tendresse qui n’arrive pas toujours à s’exprimer avec adresse. Son interprétation de Geoff n’est pas tellement le portrait d’un homme physiquement et mentalement sur le déclin, que celui d’un prisonnier du passé plus ou moins lointain. Si la lettre fatidique lui rappelle avec fracas un incommensurable regret du passé, son attitude globale se distingue également dans d’autres domaines par une nostalgie exagérée, comme lors de sa tirade sur les changements apportés à son lieu de travail depuis qu’il était parti à la retraite. Ce n’est pas pour autant un vieux caricatural, grincheux et replié sur lui-même. Grâce à l’interprétation elle aussi incroyablement fine de Tom Courtenay, il devient le représentant de l’inconsistance de la vie, face à sa femme régulièrement inquiète des changements dans son cadre de vie préservé et prévisible à la campagne. Le décalage qui s’opère à ce niveau-là entre eux n’est pas tellement dû à leur âge assez avancé, ni à la différence d’âge qui se manifeste à travers l’aspect physique de ces personnages marqués par les épreuves d’une vie a priori sans histoires. Il est avant tout révélateur de la différence qui existera toujours entre deux personnes, prêtes à faire une partie de leur chemin de vie ensemble.

Réunis

Ces deux interprétations, qui couronnent d’une manière splendide des carrières déjà fort respectables, ne suffiraient toutefois pas à elles seules pour donner ses lettres de noblesse à ce film majeur. La mise en scène hautement délicate de Andrew Haigh joue aussi un rôle essentiel dans l’aboutissement d’un équilibre quasiment parfait entre l’intime et l’universel, ainsi qu’entre la banalité et la profondeur des sentiments. Le seul dispositif à peu près conventionnel du récit est la reprise de la répartition de l’histoire dans des chapitres journaliers, déjà employée dans Week-end. Pour le reste, la narration fait preuve d’une incroyable habileté pour jongler entre les différents enjeux de l’histoire. Elle a la sagesse de ne jamais forcer le trait, mais au contraire de laisser les personnages évoluer à leur guise dans leur environnement d’une intimité fragile. L’impact de la lettre lourde de conséquences nous paraît particulièrement révélateur à ce sujet. La tension autour de ce spectre venu du passé monte en effet graduellement, jusqu’à la séquence dans le grenier empreinte d’une magie filmique à l’état pur, sans qu’elle ne devienne à aucun moment le prétexte d’une emphase quelconque du ton. Seuls des réalisateurs d’un talent aussi certain et discret que Andrew Haigh réussissent haut la main un tel acte d’acrobatie narrative, tout en produisant un impact émotionnel redoutable à travers leurs films.

Conclusion

Nous sommes sans la moindre réserve sous le charme de ce chef-d’œuvre du cinéma britannique, à la fois sophistiqué et très honnête dans la description des rapports humains au sein du couple. Sauf que l’ambition de 45 ans n’était sans doute pas de charmer et encore moins de séduire platement son public. C’est au contraire un film dont la grande beauté découle de son absence de tout élément artificiel ou superflu pour rendre attachants ces vieux qui s’accrochent à un souvenir d’amour volatil.

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