Critique : In the fade

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In the fade

Allemagne : 2017
Titre original : Aus dem Nichts
Réalisation : Fatih Akin
Scénario : Fatih Akin, Hark Bohm
Acteurs : Diane Kruger, Denis Moschitto, Numan Acar
Distribution : Pathé Distribution
Durée : 1h46
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 17 janvier 2018

4/5

Allemand aux origines turques, Fatih Akin est un réalisateur qui laisse rarement indifférent : certains portent aux nues tous ses films, d’autres détestent tous ses films, d’autres, enfin, sont partagés, selon les films, entre admiration et détestation. Avec In the fade, film qui était en compétition au dernier Festival de Cannes, il est permis d’aller encore plus loin dans la dichotomie : on peut sortir de la séance en ventant la perfection de la réalisation et la qualité de jeu exceptionnelle de Diane Kruger, tout en émettant d’énormes réserves quant au choix fait par le réalisateur pour terminer son film.

Synopsis : La vie de Katja s’effondre lorsque son mari et son fils meurent dans un attentat à la bombe.
Après le deuil et l’injustice, viendra le temps de la vengeance.

Une histoire en trois chapitres

Entre 2000 et 2006, le groupuscule néo-nazi allemand NSU (Nationalsozialistischer Untergrund) a perpétré de nombreux attentats qui ont entraîné la mort de 8 immigrés turcs, d’un immigré grec et d’une policière, sans parler de 14 attaques de banques entre 1998 et 2011. Pendant de longues années, la police allemande, la justice de ce pays et la plus grande partie des médias n’ont pas pris au sérieux la thèse de crimes racistes et n’ont voulu voir dans ces actes que la conséquence de conflits entre immigrés, qu’ils proviennent de raisons politiques ou d’antagonismes liés à des trafics de drogue. C’est presque par hasard que, en 2011, la vérité a fini par éclater.

Tenant à prendre parti face à ces manquements de la police, de la justice et des médias allemands, Fatih Akin s’est très librement inspiré de ces faits pour la réalisation de In the fade. L’histoire qu’il raconte présente 3 parties bien distinctes : tout d’abord, l’histoire d’une famille qui s’est crée dans des conditions difficiles, avec Nuri, turc et ancien dealer de drogue, devenu traducteur et vendeur de billets d’avion, Katja, belle aryenne à la blondeur resplendissante, et Rocco, leur fils de cinq ans. C’est en lui achetant de la drogue que Katja a fait la connaissance de Nuri et c’est l’arrivée prochaine de leur enfant qui a poussé Nuri à abandonner le trafic de drogue. Ce chapitre se termine tragiquement par la mort, des suites d’un attentat à la bombe, de Nuri et de Rocco.

Le deuxième chapitre est consacré à l’enquête policière puis au procès d’un couple néo-nazi formé d’André et Edda Möller et suspecté d’avoir fabriqué et posé la bombe qui a tué Nuri et Rocco. Au cours de ce procès, l’avocat des deux suspects va exploiter toutes les failles qu’il pourra trouver dans les résultats de l’enquête policière et utiliser au mieux des témoignages favorables aux accusés. Le verdict du tribunal va pousser Katja à vouloir se substituer à la justice de son pays : 3ème chapitre du film.

Un film passionnant, mais …

Depuis Head-On et De l’autre côté, on connait les grandes qualités de réalisateur de Fatih Akin, et, quasiment tout au long du film, il est difficile d’émettre la moindre réserve sur ce qu’il nous propose dans In the fade : bien que, d’un volet à l’autre, le ton soit forcément différent, c’est toujours passionnant, c’est toujours très bien mis en scène, c’est toujours remarquablement interprété. C’est sans aucune lourdeur que le réalisateur montre le comportement de la famille de Nuri qui s’oppose à Katja en souhaitant que Nuri et son fils soient enterrés en Turquie. Pas de lourdeur non plus dans la peinture d’une police qui a une tendance naturelle à chercher des poux dans la tête des victimes plutôt que de rechercher les véritables coupables. Quant au procès, c’est bien sûr, comme c’est presque toujours le cas au cinéma, un véritable morceau de bravoure, avec la confrontation de deux femmes blondes, Katja et Edda, et celle des avocats des deux parties.

C’est en arrivant vers la fin du troisième et dernier chapitre, celui de la vengeance, que les choses se gâtent. Certes, c’est toujours passionnant, très bien mis en scène et remarquablement interprété, mais le geste final commis par Katja apparaît forcément, dans le contexte actuel, comme très difficile à défendre. Impossible, bien sûr, d’en dire plus sans « divulgâcher » la fin du film. Tout juste peut-on révéler que les deux scénaristes s’étant engagés dans une voie dont aucune issue n’était totalement acceptable, tant d’un point de vue cinématographique que moral, ils ont choisi de privilégier le cinéma plutôt que la morale ou le politiquement correct.

Une comédienne exceptionnelle

Son interprétation du rôle de Katja dans In the fade a permis à Diane Kruger de remporter le Prix d’interprétation féminine au dernier Festival de Cannes. Si, en 2017, un prix était totalement mérité, c’est bien celui-là ! Dans ce qui est pour elle le premier film tourné dans sa langue maternelle, elle est absolument parfaite, sachant briller aussi bien dans l’émotion que dans la volonté et l’énergie face à l’injustice. A ses côtés, l’ensemble de la distribution ne mérite que des louanges. On se contentera de mettre en exergue l’interprétation de Johannes Krisch dans le rôle de l’avocat du couple néo-nazi : le fait même qu’on ne puisse s’empêcher de détester ce personnage tellement il pue la haine des immigrés prouve sans contestation la qualité de son jeu.

Durant la phase d’écriture de son film, Fatih Akin écoutait souvent le groupe américain Queen of the Stone Age. Il est resté quelque chose de cette sympathique addiction :  le choix de Josh Homme, inamovible membre du groupe pour composer la musique du film, le choix du titre international du film, In the fade, un titre du groupe et une chanson du groupe, « This lullaby », qu’on entend chantée par Mark Lanegan dans la bande annonce du film.

 

Conclusion

Dans une sélection officielle assez pâlotte, la vigueur de In the fade, la qualité de sa mise en scène et l’excellence de sa distribution lui donnaient toutes ses chances pour l’attribution d’un Prix important, voire pour l’attribution de la Palme d’Or. La façon dont le film se termine rendait toutefois impossible l’attribution d’une telle récompense prestigieuse dans le contexte actuel. Restait l’option du Prix d’interprétation féminine pour Diane Kruger : c’est cette option qui a été choisie et ce n’est que justice. On notera que la fin du film n’a pas eu les mêmes conséquences de l’autre côté de l’Atlantique puisque In the fade s’est vu décerner le Prix du meilleur film en langue étrangère lors des récents Golden Globes.

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