Test Blu-ray : L’assassin a réservé neuf fauteuils

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L’assassin a réservé neuf fauteuils

Italie : 1974
Titre original : L’assassino ha riservato nove poltrone
Réalisation : Giuseppe Bennati
Scénario : Biagio Proietti, Paolo Levi, Giuseppe Bennati
Acteurs : Chris Avram, Lucretia Love, Howard Ross
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h43
Genre : Thriller, Horreur
Date de sortie DVD/BR : 27 avril 2018

 

Pour les neuf membres et proches de la famille Davenant, rassemblés à l’occasion de l’anniversaire de Patrick, la soirée du 14 février 1974 s’achève entre les murs d’un vieux théâtre, propriété familiale fermée depuis près d’un siècle. Etrange idée, dans la mesure où Patrick semble redouter cet édifice aux fastes majestueux. A raison, puisque les portes se referment bientôt comme par magie, piégeant les convives dans l’édifice, tandis qu’un homme mystérieux, glissé parmi eux, semble tirer les ficelles d’une tragédie à venir et qu’un assassin rôde, faisant tomber les invités un par un…

 

 

Le film

[4/5]

Sans forcément vouloir verser dans le paranormal à tout prix, certains phénomènes liés à la pérennité des œuvres de cinéma demeurent vraiment inexplicables. La qualité intrinsèque des films, ou même leur succès immédiat au box-office, ne semble d’ailleurs avoir aucune incidence sur leur destinée dans le temps. Ainsi, certains films très moyens –voire mauvais– marqueront suffisamment les mémoires du public pour s’assurer une longévité inattendue. D’autres, malgré d’immenses succès populaires dans les salles, seront au contraire largement oubliés au fil des ans. De fait, qu’ils rentrent ou pas dans la catégorie des « nanars » n’a au final rien à voir avec la marque qu’ils laisseront de leur passage dans l’Histoire du cinéma. Ainsi, si les grands succès en salles de Philippe Clair ou Max Pécas (ou la plupart des films mettant en scène Aldo Maccione ou Francis Perrin) sont aujourd’hui largement oubliés, d’autres, tels que les films des Charlots ou de Robert Lamoureux, conservent une « aura » puissante et durable. En tant que cinéphile, il est bien difficile, à la découverte d’une « pépite » du cinéma méconnue ou depuis longtemps oubliée, de ne pas se faire cette réflexion sur les notions de temps, de pérennité, voire même d’héritage. Les éditeurs vidéo nous permettant ce genre de mise en perspective de notre propre cinéphilie sont rares et précieux ; on peut même arguer qu’ils se comptent sur les doigts d’une main.

C’est Le chat qui fume, grand défenseur du cinéma de genre en France, qui nous pousse ce mois-ci à ce type de réflexions métaphysiques par le biais de deux de ses nouvelles éditions Blu-ray / DVD : en effet, parallèlement à la sortie du très attendu Le maître des illusions (lire notre article), ce sont deux films italiens quasiment inconnus en France qui ont débarqué sans crier gare dans le catalogue de l’éditeur. Et après la découverte de l’excellent San Babila : Un crime inutile (lire notre article), on ne pourra que s’interroger sur les raisons pour lesquelles L’assassin a réservé neuf fauteuils est resté, pendant plus de quarante ans, quasiment invisible dans l’hexagone.

 

 

Car L’assassin a réservé neuf fauteuils est un PUTAIN de giallo. Totalement inédit en France, le film de Giuseppe Bennati est d’ailleurs non seulement un putain de giallo, mais une saloperie de petite bande d’exploitation maligne et vénéneuse qui ne se cantonne pas à ce seul et unique genre, et dresse des passerelles entre une trame et de éléments typiques du giallo et le fantastique pur, ce qui n’est certes pas entièrement inédit dans les annales de ce type de délice rital, mais s’avère toujours une grosse surprise, et place automatiquement le film dans la catégorie des incontournables, de ceux que tout amoureux du genre créé par Mario Bava et Dario Argento ne peut en aucun cas se permettre d’ignorer…

Par bien des aspects donc, L’assassin a réservé neuf fauteuils s’apparente au giallo tout ce qu’il y a de plus classique. Pour commencer, on sera bien en présence, durant un premier temps du moins, des fétichismes visuels habituels du genre : caméra subjective, gants de cuir noirs, présence d’arme blanche… Se déroulant en huis clos dans l’enceinte d’un superbe théâtre italien, dont on ne bougera pas du début à la fin du film, la trame évoque évidemment les énigmes imaginées par Agatha Christie (et « Dix petits nègres » en particulier). Le film de Giuseppe Bennati enchaine les meurtres avec habileté, l’identité du tueur est des plus mystérieuses, les soupçons pèsent sur tous les protagonistes : cela pourrait être n’importe qui… La forme du whodunit semble donc à priori respectée, et le tout est agrémenté d’un soupçon d’érotisme et d’un certain sadisme dans les mises à mort. On navigue donc en terrain connu, d’autant que comme dans tout bon giallo qui se respecte, le scénario tend vers un aspect un peu réactionnaire, propre à la société italienne des années 70, encore fortement emprunte de valeurs catholiques. Ainsi, les personnages du film, si nombreux soient-ils, sont tous d’infects et arrogants représentants de la bourgeoisie italienne. Non seulement ils sont riches, mais cumulent en plus de cela toutes les déviances possibles : mensonges, activités financières louches, tromperies, homosexualité, amour libre, drogue… La décadence de la bourgeoisie dans toute sa grandeur !

Les références au théâtre, que l’on avait déjà repérées dans quelques gialli célèbres signés Dario Argento (Quatre mouches de velours gris, Les frissons de l’angoisse…) sont aussi particulièrement présentes dans L’assassin a réservé neuf fauteuils ; par son décor bien sûr, un théâtre à l’italienne assez grandiose et utilisé de façon vraiment remarquable, que cela soit sur la scène ou dans les coulisses, mais également dans le scénario, qui nous sert une série de références explicites au monde théâtral et à Shakespeare.

 

 

C’est aussi par le biais de son aspect théâtral qu’interviennent les premiers éléments explicitement fantastiques du film, qui viennent se greffer à une ambiance presque gothique (les vêtements médiévaux, le lieu lugubre aux allures de labyrinthe…). Au fur et à mesure que les morts s’empilent dans les coulisses et sur la scène, les personnages découvrent l’existence d’une malédiction liée au théâtre et aux ancêtres de la famille – et nom de dieu, mais qui est ce mystérieux « homme à la veste hindoue », que personne ne semble ni connaître ni avoir convié en ces lieux ? Une des forces de L’assassin a réservé neuf fauteuils est finalement de jouer avec le public, et de ne pas lui offrir ce qu’il s’attendait à voir. Ainsi, le cinéphile amateur de giallo se demandera par quel habile subterfuge les scénaristes du film réussiront à lui servir l’explication « rationnelle » qui clôt généralement les films du genre : qui est le coupable, quelles sont ses motivations, et agit-il avec des complices ? Alors qu’il se perdra en conjectures concernant l’identité du ou des tueurs, Bennati prendra tout le monde à revers en plongeant à pieds joints dans le fantastique pur et dur, les dernières séquences du film nous proposant une véritable plongée dans un univers de cauchemar.

Pour achever de rendre le film indispensable, on ajoutera une bande originale soignée et envoutante signée Carlo Savina et un casting haut de gamme composé de nombreuses têtes très connues des amateurs de bandes d’exploitation italienne, telles que celles de Chris Avram (La baie sanglante), Howard Ross (L’affaire de la fille au pyjama jaune, L’île de l’épouvante), en passant par Paola Senatore ou Janet Ågren, toutes deux vues dans de nombreuses comédies polissonnes italiennes avant d’être à nouveau réunies à l’écran dans La secte des cannibales, qui derrière son titre et ses visuels cradingues en mode « exploitation cannibale » dissimulait mal une autre comédie érotique pas forcément des plus brillantes.

Les cinéphiles français amateurs de giallo (mais qui ne l’est pas ?) peuvent par ailleurs se réjouir, car à l’occasion de la sortie en Combo Blu-ray + DVD de L’assassin a réservé neuf fauteuils, l’éditeur Le chat qui fume a annoncé pour la rentrée 2018 la sortie de trois nouveaux films du genre, sans pour le moment en dévoiler les titres. On croise les doigts très fort pour avoir l’opportunité de voir ou revoir à cette occasion des films inédits en DVD / Blu-ray en France, tels que La mort a pondu un œuf (Giulio Questi, 1968), Le parfum de la dame en noir (Francesco Barilli, 1974) ou La tarentule au ventre noir (Paolo Cavara, 1971) ; cela dit, on se contenterait également de la redécouverte en Haute Définition de titres anciennement édités par Neo Publishing, tels que les excellents Je suis vivant (Aldo Lado, 1971) ou La queue du scorpion (Sergio Martino, 1971).

 

 

Le coffret Blu-ray + DVD

[5/5]

Et de deux ! L’assassin a réservé neuf fauteuils est donc le deuxième trésor italien méconnu que nous propose Le chat qui fume en Combo Blu-ray + DVD ce mois-ci. Ce genre de découverte tardive est de plus en plus rare de nos jours, mais l’éditeur français est bel et bien parvenu à réaliser l’exploit, qui plus est à deux reprises au sein de la même « vague » de sorties : chapeau bas au Chat, qui fume décidément toute la concurrence autour de lui, ne laissant qu’un tas de cadavres exsangues et fumants sur l’autel des éditeurs indépendants. Et comme dans le cas de San Babila : Un crime inutile, cette édition en impose d’entrée de jeu grâce à son visuel classieux et au soin apporté au packaging, comme d’habitude un beau digipack trois volets nanti d’un sur-étui cartonné, un peu plus fin qu’à l’accoutumée, mais tout aussi élégant. Cette édition Combo Blu-ray + DVD est par ailleurs limitée à 1000 exemplaires.

 

 

Côté Blu-ray, on pourra aujourd’hui découvrir L’assassin a réservé neuf fauteuils dans une présentation Haute-Définition absolument remarquable. Le master restauré présente certes encore quelques défauts minimes (quelques points blancs par ci par là, de légers fourmillements dans les noirs durant les scènes les plus sombres), le piqué et le niveau de détail ne faiblissent jamais, le grain argentique a été scrupuleusement préservé, et les couleurs sont éclatantes et naturelles, et le tout maintient un excellent niveau de qualité malgré certaines scènes à large dominante de rouge : c’est du très beau travail technique. Niveau son, le film étant inédit en France, seule la VO italienne nous sera logiquement proposée, dans un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 (mono d’origine) au rendu sonore confortable, clair et sans le moindre souffle, en deux mots tout aussi recommandable que l’image.

La section interactivité nous propose également son lot de friandises remarquables : on commencera avec un entretien avec l’acteur Howard Ross (« Suspendus à Howard », 8 minutes), que les habitués des galettes éditées par Le chat qui fume se souviendront d’avoir déjà croisé sur l’édition DVD de L’affaire de la fille au pyjama jaune (lire notre article), et qui évoque sa carrière durant les années 60/70, allant même jusqu’à éprouver quelques regrets sur la façon dont il a pu tourner telle ou telle scène. Bon vivant et affichant sans complexe un côté « vieux beau » qui le rend finalement très sympathique, il reviendra également sur ses partenaires féminines, gratifiant notamment Paola Senatore d’une distinction honorifique un peu particulière : il la qualifie de « plus belle croupe de Rome » ! Heu, calme-toi un peu Howard, Berlusconi, c’est fini, à l’ère de Twitter et du politiquement correct tout puissant, ce n’est plus trop dans l’air du temps de tenir ce genre de propos ; heureusement que tu as l’excuse d’être un italien de 72 ans (et donc forcément obsédé sexuel). On continuera avec un entretien avec le scénariste Biagio Proietti (« Écrire avec Biagio », 29 minutes), qui évoque dans un premier temps sa carrière dans le cinéma, avant de revenir avec un enthousiasme communicatif sur la genèse de L’assassin a réservé neuf fauteuils. Il nous apprendra entre autres être à l’origine de la tournure fantastique que prend le récit dans sa dernière partie – on l’en remercie chaleureusement ; en même temps, ses deux coscénaristes Paolo Levi et Giuseppe Bennati ne risquent pas de le contredire, puisqu’ils sont tous deux décédés. Et comme lui aussi est un italien (et donc forcément obsédé sexuel), il termine l’entretien en s’attardant longuement sur l’érotisme dans le cinéma italien des années 70. Enfin, l’éditeur nous propose également une très intéressante présentation du film par Francis Barbier (« Théâtre de sang », 30 min), au cœur de laquelle le journaliste et critique pour le site DeVilDead revient sur de nombreux aspects de la production, dressant de nombreuses passerelles entre L’assassin a réservé neuf fauteuils et d’autres films de la même période. Calme et posé, l’intervenant prend le temps d’étayer son point de vue, notamment quand il aborde l’unité de lieu (le théâtre où se déroule le film étant présenté selon lui comme un personnage à part entière) ou les quelques excès de déviance qui émaillent le film, en terminant sa présentation par la fameuse scène dite du « couteau dans le vagin », qui inspirera probablement quelques années plus tard le groupe de hip-hop hardcore X-pert Destroyer pour son morceau « Une lame dans la schneck ». On terminera avec la traditionnelle poignée de bandes-annonces de films disponibles ou à venir chez Le chat qui fume. Le Combo Blu-ray + DVD de L’assassin a réservé neuf fauteuils est disponible sur le site de l’éditeur !

Ah, oui, j’oubliais – avant de terminer : si vous avez été chercher « Une lame dans la schneck » sur YouTube ou Google, j’ai réussi mon coup ! Ha ! Ha ! Ha !

 

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