Test Blu-ray : La nuit déchirée

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La nuit déchirée

États-Unis : 1992
Titre original : Sleepwalkers
Réalisation : Mick Garris
Scénario : Stephen King
Acteurs : Brian Krause, Mädchen Amick, Alice Krige
Éditeur : BQHL Éditions
Durée : 1h29
Genre : Fantastique
Date de sortie cinéma : 19 août 1992
Date de sortie DVD/BR : 24 février 2021

La troublante Mary Brady et son fils Charles s’installent discrètement à Travis, une tranquille petite localité de l’Indiana. Des nouveaux résidents semble-t-il ordinaires sauf que, cette fois, les apparences sont trompeuses : ces deux-là sont les derniers représentants de la race des félidés, des créatures monstrueuses qui ne peuvent survivre qu’en buvant le sang des vierges. Très vite, Charles Brady jette son dévolu sur Tanya Robertson, une belle lycéenne à laquelle il prend le risque de révéler sa véritable nature…

Le film

[4/5]

La nuit déchirée vu par… Mickaël Lanoye

Pour ne pas être mal vu des collègues et des fanboys, il vaut mieux garder à l’esprit qu’il est généralement considéré comme d’assez bon ton de cracher sur La nuit déchirée – et sur l’œuvre de Mick Garris en général. Sur l’agrégateur de critiques Rotten Tomatoes, le film de Mick Garris affiche un taux de satisfaction de 33% ; sur Metacritic, ce n’est pas beaucoup plus brillant, puisque le film n’atteint que 38%. Dans la presse française de l’époque, le film portait bien son nom, et s’était fait déchirer de tous les côtés, et en particulier dans le magazine Mad Movies, véritable référence à l’époque pour les amateurs de fantastique. L’accueil critique réservé à La nuit déchirée fut donc unanimement très défavorable.

Néanmoins, on peut penser que l’heure de la réhabilitation se faufile lentement à l’horizon pour le film de Mick Garris : ainsi, il y a seulement trois ans, le score atteint par La nuit déchirée au « Tomatometer » de Rotten Tomatoes n’était que de 17% – sa sortie au format Blu-ray aux États-Unis en 2018 chez Shout Factory a contribué à faire d’avantage pencher la balance dans le positif. A ce rythme-là, d’ici 2060, le film sera peut-être reconnu à sa juste valeur !

La nuit déchirée payait peut-être le prix, à l’époque, de l’immense popularité de Stephen King, qui signait avec cette histoire de « félidés » le tout premier scénario 100% original de sa carrière. Un événement rare pour un scénario jonglant avec des thèmes inhabituels : inceste, démons issus de l’imagerie féline, représentation singulière du désir adolescent, humour très noir… Le scénario de Stephen King est un gros morceau, et Mick Garris semble avoir parfaitement compris ce que King recherchait : La nuit déchirée cherche à retrouver l’ambiance de ces vieux films de monstres des années 50. La petite ville typique américaine, le comportement timide des lycéens, les valeurs un peu démodées des figures d’autorité (parentale, policière, etc), bref, tout y est. D’ailleurs, en quelle année se déroule le récit ? Le film n’est jamais particulièrement clair là-dessus, et si certains détails dénotent d’une certaine « modernité » 90’s (walkman, voitures…), d’autres pourront paraître vaguement anachroniques, tel que ce vieux tourne-disque dans la maison des Brady.

En un peu moins d’une heure et demie, La nuit déchirée multiplie les qualités qui enthousiasmèrent au-delà de toute mesure les 332.000 ados français l’ayant découvert dans les salles durant l’été 1992. Une ambiance trouble de coming of age incestueux. Un rythme échevelé, sur une trame linéaire très old school. Plein d’idées barges et de détails volontiers craspec, avec du gore bien fun. De la violence cool, avec un humour macabre très efficace. Des dialogues cultes (« Tanya, dis-moi à quel instant j’ai perdu ta confiance ! »). Un parallèle entre le dépucelage de l’héroïne et un bon vieux coup de tire-bouchon dans l’œil. Des caméos en pagaille, de Mark Hamill à Stephen King en passant par Clive Barker, Tobe Hooper, John Landis et Joe Dante.

Alors bien entendu, La nuit déchirée a aussi ses faiblesses – des effets spéciaux numériques foireux, quelques rebondissements très prévisibles – mais on mentirait en affirmant que ces dernières nous ont gâché le plaisir. Bref, n’ayez pas peur de faire des vagues au sein d’une communauté de geeks fantasticophiles un peu trop consensuels, et plongez-vous sans tarder dans l’un des sommets du fantastique des early-90’s. La nuit déchirée est un chef d’œuvre de badass movie porté d’une part par ses qualités de Fantastic ride rétro et de teen-movie délirant (d’ailleurs, aviez-vous remarqué que les parents de l’héroïne étaient incarnés par Lyman Ward et Cindy Pickett, qui jouaient les parents de Ferris Bueller ?), et d’autre part par le charme de ses acteurs principaux, Brian Krause, Mädchen Amick et Alice Krige.

Attention néanmoins : il ne faut pas confondre La nuit déchirée, l’étrange titre français de Sleepwalkers, avec L’anus déchiré, qui est le titre du dernier gonzo de John Gros-Piston, et, hum, si vous cherchiez celui-là, je crois que vous vous trompez de site, les gars.

La nuit déchirée vu par… Mick Garris

Lors de sa présentation du film lors de la cinquième édition du Festival européen du film fantastique de Strasbourg en 2012, le réalisateur Mick Garris précisait : « C’est la première fois en vingt ans que je le vois au cinéma. Je suis heureux que vous m’ayez rejoint pour partager cette expérience, et vous êtes mes nouveaux meilleurs amis. Cela n’a jamais été l’un de mes films préférés, mais je suis quand même content d’être là. Les parties que je n’ai pas aimées à l’époque, je les aime encore moins aujourd’hui. Merci donc pour cette expérience embarrassante ! Ce n’était que le deuxième film à utiliser des effets de morphing après Terminator 2. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas très sophistiqués, en particulier la séquence en voiture où Brian Krause ne cesse de changer de visages. Le shérif qui passe devant lui s’exclame quelque chose comme ‘il n’avait pas de visage’ alors qu’il serait plus juste qu’il dise ‘il n’arrêtait pas de changer de visage !’. Je n’étais pas satisfait d’autres effets spéciaux de maquillages, comme la scène finale avec la créature dont la tête est cinq fois plus grosse que le reste du corps. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres… Le responsable des effets est venu avec ce concept et on a joué avec cette idée. Pas forcément logique, un peu comme l’explosion exagérée d’une voiture. Ce n’est pas le scénario le plus émouvant sur lequel j’ai travaillé, c’est un film de drive-in. »

Interrogé sur le réalisme de la différence d’age de la mère et de son fils, il rappellle qu’Alice Krige avait 40 ans et Brian Krause 19, ce qui reste donc crédible. Le réalisateur remarque que le film est subversif dans leur relation, jusqu’à faire douter de ses idées personnelles avec sa propre mère : « Le film que j’ai tourné avant, c’était Psychose 4 pour la télévision, où Norman Bates et sa mère ont aussi une relation… comment dire… donc je ne sais pas quel est le thème, mais ne le dites pas à ma mère… (rires) Je me disais en le revoyant en pensant à ce thème, on n’a pas beaucoup fait de film comme celui-là. Je me souviens du soir de la première au Chinese Theater à Hollywood. La salle était remplie de jeunes adolescents, la tension monte, jusqu’au moment où il s’écrit ‘oh, maman, oh maman’, il l’enlace et l’embrasse passionnément. Ces 2000 adolescents en un instant se sont tous ou presque mis à hurler. »

« Nous avons été contraints à faire près de dix coupes pour cette version. Beaucoup de choses ne sont pas passées devant la commission de classification (MPAA), mais cela ne s’est pas fait en ma présence. À ma grande surprise, Stephen King a adoré, ce qui me fit particulièrement plaisir, et c’est grâce à ce film que j’ai été approché ensuite pour réaliser la mini-série Le fléau ! Tous les goûts sont dans la nature ! King l’avait écrit en fait dans un certain état d’esprit, il était heureux que je me sois laissé aller à autant d’outrances. Il s’agissait donc de mon premier film tiré de l’œuvre de Stephen King, et je ne l’ai rencontré que lorsqu’on a tourné son cameo avec Clive Barker et Tobe Hooper. Mon adaptation de King la plus récente est Bag of bones, et si je n’en ai pas d’autre de prévue, j’adorerais bien sur en refaire un autre. J’adore son travail, ses livres depuis que j’ai commencé à les lire dans les années 70. Nous sommes devenus des amis très proches, et rien n’est plus agréable que de travailler avec lui. »

Enfin, à la question : « comment gérer tous ses chats ? », Mick Garris répond : « Je me souviens qu’il y en avait 126 ! Nous avions une deuxième équipe qui a filmé les scènes dans les rues et j’ai filmé moi-même toutes les scènes autour de la maison, lorsqu’ils sont une centaine d’entre eux sont réunis devant la maison. Ils avaient été entraîné pendant des mois et là ils étaient harnachés et attachés au sol. Mais attention, j’adore les animaux ! On a entraîné et engagé neuf chats pour jouer Clovis, le chat du shérif, et chacun avait sa spécialité, l’un était amical, un autre agressif. Mais finalement Sparks était si doué que l’on n’a pas du tout utilisé les huit autres. »

Propos recueillis par Pascal Le Duff.

La nuit déchirée vu par… Pascal Le Duff

On peut se permettre d’être en désaccord avec Mick Garris, car La nuit déchirée représente l’une de ses meilleures collaborations avec ce grand maître du mystère, même si le registre est clairement celui d’une série B qui vire parfois au Grand-Guignol. Charles Brady et sa mère Mary débarquent dans une petite ville du Maine. Ces êtres monstrueux qui prennent apparence humaine ont besoin de la force vitale de jeunes filles vierges pour survivre éternellement. Le jeune homme choisit la jolie Tanya, interprétée par Mädchen Amick, toute fraîchement sortie de la série Twin Peaks. Mais attention aux chats, ils n’aiment guère ces Sleepwalkers et ont des réactions viscéralement hostiles lorsque débarque ce drôle de couple aux mœurs incestueuses. Le scénario ne multiplie pas artificiellement les victimes et, comme souvent chez King, on apprécie de découvrir la couleur locale d’une petite ville frappée par une grande menace dans une atmosphère intemporelle. Le film n’est pas daté et pourrait aussi bien se passer à l’époque du tournage que dans les années 50, marquant ainsi l’attrait que cette ville reculée pouvait susciter auprès de ces monstres venus d’on ne sait où.

Parmi les quelques personnages colorés, on remarque l’un des adjoints du shérif, Horace alias Monty Bane qui restera dans les mémoires comme l’une des rares personnes assassinées avec un pain de maïs ! La bande-sonore est d’une grande qualité, avec les compositions de Nicholas Pike, compositeur attitré de Garris, et le thème musical principal, Sleepwalk de Santo and Johnny (le titre original de La nuit déchirée étant Sleepwalkers) parfait pour le climat champêtre de cette comédie horrifique. Sans se prendre au sérieux, le film n’est pas seulement une farce, mais un vrai plaisir de cinéma du samedi soir avec des personnages auxquels on s’attache même si l’on ne peut que regretter que certains ne sont pas développés, comme ce shérif bougon interprété par Ron Perlman. Comme pour Maximum Overdrive, la seule réalisation de King, l’ambition artistique reste celle d’un modeste divertissement mais pas de mépris à avoir, le spectacle est assuré et revoir ce film reste un plaisir, même si l’on peut avoir quelques regrets car les éléments pour offrir un grand film d’horreur gothique étaient là. En plus de ceux cités plus haut, on appréciera les apparitions discrètes des réalisateurs Joe Dante et John Landis, de Mark Hamill dans la première scène et lui aussi disparaît trop tôt.

Le Blu-ray

[4/5]

C’est BQHL Éditions qui nous offre aujourd’hui le grand plaisir de (re)découvrir La nuit déchirée sur support Blu-ray. Le master est d’ailleurs de toute beauté, rendant un bel hommage à la belle photo du film signée Rodney Charters, et nous offrant donc un piqué satisfaisant ; le grain argentique d’origine est tout à fait respecté, les couleurs vives et franches affichent une belle pêche, et les contrastes sont satisfaisants, ne bouchant jamais les noirs par excès de zèle. Côté son, le film nous est proposé à la fois en VF et en VO en LPCM Audio 2.0 d’origine, clair et sans souffle ni craquement ou saturation disgracieuse.

Du côté des suppléments, BQHL Éditions nous propose la traditionnelle bande-annonce.

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