Test Blu-ray : Femina Ridens / Le Duo de la Mort

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Femina Ridens

Italie : 1969
Titre original : Femina Ridens
Réalisation : Piero Schivazappa
Scénario : Piero Schivazappa
Acteurs : Philippe Leroy, Dagmar Lassander, Lorenza Guerrieri
Éditeur : Frenezy Éditions
Durée : 1h30
Genre : Giallo, Thriller, Drame
Date de sortie DVD/BR : 2 novembre 2022

Le docteur Sayer dirige une grande fondation philanthropique. Riche et bien éduqué, il considère la femme comme un être inférieur qu’il se plaît à soumettre à sa domination totale… jusqu’à la mort. Un soir, il attire sa collaboratrice Maria et la séquestre dans sa villa spécialement aménagée…

Le film

[4,5/5]

Absolument unique et inclassable, le film de Piero Schivazappa Femina Ridens (également connu sous le titre Le Duo de la mort) inscrit son intrigue dans une logique sadomasochiste : durant la plus grande partie de son intrigue, on y découvrira un homme, le Dr. Sayer (Philippe Leroy), en position de « dominant » soumettant une jeune femme, Maria (Dagmar Lassander), à des jeux SM, poussant et repoussant les limites de sa tolérance avant que la dynamique du pouvoir ne s’inverse lorsqu’il découvre qu’elle est capable d’endurer et de surmonter ses abus, et qu’une relation d’amour très forte s’installe entre eux.

Il va donc sans dire que Femina Ridens préfigurait, avec une quarantaine d’années d’avance, le phénomène littéraire 50 nuances de Grey, qui avait atteint des cimes de popularité assez incompréhensibles en 2012. Pour autant, bien avant le best-seller d’E.L. James, cette idée de « romance sadomasochiste » au centre du film de Piero Schivazappa avait déjà, au fil des années, fait des petits chez des cinéastes du monde entier. Nombreux en effet furent les cinéastes s’étant penchés sur des histoires d’amour déviantes et anti-romantiques, rejetant l’idéalisation de l’amour et l’exaltation des sentiments pour se concentrer sur le plaisir des sens et un certain détachement émotionnel, souvent utilisé – consciemment ou non – pour dissimuler les fêlures de l’âme.

Ainsi, Femina Ridens aura rapidement contribué à l’apparition de films tels que La Punition (Pierre-Alain Jolivet, 1973), Le Pervers (José María Forqué, 1974) ou Histoire d’O (Just Jaeckin, 1975), mais également, quelques décennies plus tard, au Syndrome de Stendhal (Dario Argento, 1996), à Bad Guy (Kim Ki-duk, 2001), à The Duke of Burgundy (Peter Strickland, 2014) ainsi qu’au chef d’œuvre absolu du genre, La Secrétaire (Steven Shainberg, 2002). Autant de films s’éloignant volontairement des motifs récurrents du cinéma « romantique » – à ce titre, Femina Ridens nous propose d’ailleurs un amusant clin d’œil à Un homme et une femme (Claude Lelouch, 1966) et à ses « Chabada, bada » – et s’efforçant de mettre en avant, par le biais d’une relation sadomasochiste, une vision plus réaliste et pragmatique des relations humaines et de la société.

Femina Ridens est d’autant plus subversif et antiromantique qu’il tend à montrer l’amour naissant chez le personnage de Philippe Leroy comme un véritable poison : c’est l’anxiété née de sa dépendance émotionnelle croissante vis-à-vis de son ex-prisonnière qui finira par avoir raison du personnage. Que ce dernier soit profondément psychotique et probablement impuissant n’y change rien : au final, c’est l’amour qui a eu sa peau. Sa peur des femmes, qui remonte à l’enfance, quand il a vu un scorpion femelle dévorer un mâle alors qu’ils étaient en train de se reproduire, a façonné l’essentiel de sa personnalité, et le déroulement du récit sera en effet une démonstration radicale que le corps féminin est une source de pouvoir profond – comme le suggère également l’immense sculpture de Niki de Saint Phalle à la fin du film, puisqu’elle broiera symboliquement le personnage, le réduisant à l’état de squelette.

Par ailleurs, le scénario de Femina Ridens, imaginé par Piero Schivazappa lui-même, accompagné de Paolo Levi (L’Assassin a réservé neuf fauteuils) et Giuseppe Zacciarello (La Baie sanglante), n’est pas tendre avec le personnage masculin central, le décrivant comme un enfant gâté, et le réduisant lors de certaines séquences à une espèce de macho sautillant et ridicule, essayant d’impressionner sa partenaire avec des exploits de « masculinité » évidemment censés pallier sa virilité défaillante. Au rayon des éléments destinés à compenser l’impuissance sexuelle du personnage, il y a bien sûr l’opulence matérielle : le Dr Sayer vit dans un manoir immense, quasi-labyrinthique, et rempli d’œuvres pop-art – qui contribuent à rapprocher Femina Ridens de films tels que La Dixième victime (Elio Petri, 1965) ou le superbe Danger : Diabolik (Mario Bava, 1968) – et de poupées humaines grandeur nature. Parallèlement, il conduit également plusieurs grosses voitures, dont une amphicar, véhicule des années 60 se déplaçant aussi bien sur terre que dans l’eau.

Mais Femina Ridens n’est pas seulement une réflexion sur les relations hommes / femmes : il s’agit aussi d’une œuvre renversante de beauté picturale, en partie grâce à ses éblouissants décors et à son rapport étroit avec l’Art moderne de la fin des années 60, mais également grâce à la sublime photo de Sante Achilli. Marquée par des rouges ultra-saturés qui rappelleront évidemment au spectateur contemporain certains films de Mario Bava et Dario Argento, la direction photo de l’ensemble est en parfaite adéquation avec le cynisme et la cruauté de son récit. L’exaltation et la fébrilité des sentiments des deux personnages principaux est par ailleurs parfaitement entretenue par le sens du cadre et la mise en scène de Piero Schivazappa, qui use et abuse de très gros plans et d’angles tarabiscotés afin de plonger le spectateur dans l’atmosphère adéquate. A-t-on besoin de préciser que l’on tient avec ce Femina Ridens une découverte de cinéma absolument incontournable ?

Le Blu-ray

[5/5]

Un temps disponible en VHS (chez Carrère Vidéo), Femina Ridens a sauté la case d’une sortie en DVD et débarque aujourd’hui dans une prestigieuse édition Blu-ray sous les couleurs de Frenezy Éditions. Pour l’arrivée du film de Piero Schivazappa sur support Haute-Définition, l’éditeur reprend la composition graphique sobre et élégante de sa première vague de sorties courant 2022, avec une jaquette nous proposant une illustration très sobre sur fond noir et blanc, avec le cerclage jaune de la collection « Giallo ». Bien sûr, le film n’est pas à proprement parler un Giallo au sens traditionnel du terme, mais il en reprend certains codes graphiques, et il y a fort à parier pour que les amoureux du cinéma italien des 70’s le classent tout de même pas bien loin de cette catégorie au sein de leur DVD / Blu-raythèque.

Côté Blu-ray, ce Femina Ridens édité par Frenezy Éditions représente vraiment ce qui se fait de mieux en matière de restauration et d’encodage. La restauration, réalisée à partir d’un master 4K tiré du négatif original, a littéralement fait des merveilles, et techniquement, le film de Piero Schivazappa affiche une forme insolente, prouvant à nouveau le soin maniaque apporté par l’éditeur à ses éditions Blu-ray. L’image est d’une belle stabilité, le grain d’origine est scrupuleusement respecté, le piqué est d’une étonnante précision et les contrastes pointus accentuent l’impression de profondeur de l’ensemble. L’étalonnage des couleurs ne manque pas de pêche, et l’ensemble est vraiment absolument somptueux d’un point de vue visuel : on tient là une réussite totale. Côté son, le film est proposé dans un mixage LPCM Audio 2.0 propre et clair à la fois en VO et en VF, sans aucun souffle, restituant parfaitement non seulement les dialogues mais également la musique de Stelvio Cipriani. On notera par ailleurs que le film nous est proposé dans sa version intégrale pour la toute première fois en France.

Du côté des suppléments, on tire notre chapeau à Frenezy Éditions, qui nous propose au cœur de cette édition 2 Blu-ray un ensemble de bonus tout à fait passionnant : la qualité éditoriale est plus que jamais au rendez-vous, et les différents intervenants aborderont Femina Ridens sous des angles très différents et toujours pertinents. On commencera avec un entretien avec Catherine Francblin (34 minutes). Critique d’art et auteur d’une biographie sur Niki de Saint Phalle, elle reviendra sur la carrière de l’artiste ainsi que sur les passerelles que l’on peut créer entre son œuvre et le film de Piero Schivazappa, ainsi que sur certains thèmes forts du film (angoisse de la castration, la fin comme une renaissance…). On continuera ensuite par une présentation du film par Jean-François Rauger (19 minutes), dans laquelle ce grand habitué des suppléments DVD / Blu-ray reviendra sur le contexte de production du film, sur la carrière de Piero Schivazappa, ainsi que sur les thématiques centrales du film et le côté absolument unique de Femina Ridens dans le cinéma italien de la fin des années 60.

Mais le gros morceau du premier Blu-ray sera pour le moins inattendu : il s’agit d’un entretien avec Pauline Mari, historienne de l’art et spécialiste de l’art cinétique (36 minutes). Elle commencera son intervention en différenciant l’analyse qu’elle nous propose ici de l’analyse « traditionnelle » d’un film telle que les proposent les historiens du cinéma. En effet, elle se concentrera sur la notion de « op Art » et nous proposera une analyse du film essentiellement centrée sur l’image, les décors et la photographie, en la mettant en parallèle avec des recherches qu’elle a effectué sur le scénario du film ainsi qu’avec les propos qu’elle a pu recueillir de la bouche de Piero Schivazappa lors d’un entretien téléphonique avec lui. Le tout est d’une fraîcheur et d’une pertinence absolue, rempli de références précises et d’analyses de séquences qui nous permettent de mettre en lumière nombre de thématiques du film, et de les élargir à d’autres films tournés à l’époque, et notamment quelques giallos. For-mi-dable ! On terminera le tour des suppléments du premier Blu-ray avec la traditionnelle bande-annonce du film, et on enchaînera derechef avec le second disque, qui nous propose en outre de nous replonger dans le montage français du film, plus court de quelques minutes que le montage italien (1h28).

Sur le deuxième disque, on trouvera par ailleurs un entretien avec Dagmar Lassander (19 minutes), qui reviendra en quelques mots sur la plupart de ses films. Concernant Femina Ridens, elle expliquera considérer le film de Piero Schivazappa comme son meilleur film italien, moderne et très artistique. Elle évoquera également son personnage, atypique, ainsi que ses relations sur le plateau avec Philippe Leroy. On continuera ensuite avec un entretien avec Stelvio Cipriani (18 minutes), qui sera surtout l’occasion pour le compositeur de revenir sur les particularités de son travail dans les années 70 et l’évolution de son métier au fil des années. Il évoquera notamment son étroite collaboration avec les réalisateurs pour lesquels il travaillait. On aura également la possibilité de se pencher sur un module consacré aux scènes coupées (5 minutes), qui nous permettra de découvrir quelques extraits de la version italienne du film, très endommagée et remplie de « trous » sonores. On terminera enfin avec une sélection de bandes-annonces de films sortis chez Frenezy Éditions : La Victime désignée, Dans les replis de la chair et Qui l’a vue mourir ? d’Aldo Lado, prochainement disponible. Pour vous procurer cette édition Blu-ray indispensable, rendez-vous sur le site de l’éditeur !

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