Test Blu-ray 4K Ultra HD : Perdita Durango

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Perdita Durango

Espagne, Mexique, États-Unis : 1997
Titre original : –
Réalisation : Álex de la Iglesia
Scénario : Álex de la Iglesia, Jorge Guerricaechevarría
Acteurs : Rosie Perez, Javier Bardem, James Gandolfini
Éditeur : Extralucid Films
Durée : 2h10
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 9 novembre 1998
Date de sortie BR/4K : 22 novembre 2021

Perdita s’associe avec Roméo, braqueur et sorcier, pour kidnapper deux adolescents et convoyer un chargement d’embryons entre le Mexique et Las Vegas…

Le film

[5/5]

Si vous lisez régulièrement nos textes dans les colonnes de Critique-film, l’amour indéfectible que l’on voue au cinéma d’Álex de la Iglesia n’a probablement pas pu vous échapper : pour vous en convaincre, on vous renvoie vers nos textes consacrés à Balada Triste, Le Jour de la Bête, Mi Gran Noche, Les Sorcières de Zugarramurdi, Pris au piège ou encore Un jour de chance. On l’a dit et on le répète : Álex de la Iglesia est l’un des cinéastes les plus grands et les plus injustement mis de côté de ces vingt dernières années. A ce titre, ses deux derniers films sont d’ailleurs encore inédits en France. Perfectos desconocidos (« Parfaits étrangers », 2017) était le remake d’une comédie italienne intitulée Perfetti Sconoscluti. Malheureusement, la sortie d’un remake français (Le Jeu, réalisé par Fred Cavayé, sorti en 2018 et ayant réuni 1,6 millions de français dans les salles) empêchera le film de sortir sur nos écrans. Son petit dernier, Veneciafrenia (« Frénésie de Venise », 2021), devrait sortir le 22 avril 2022 dans les salles obscures en Espagne. Il s’agit d’un retour au cinéma d’horreur pour le cinéaste, qui l’a de plus coécrit et coproduit. Veneciafrenia est le premier volet d’une série appelée « The Fear Collection », créée par le réalisateur et son épouse, la productrice et actrice Carolina Bang.

Retour 25 ans en arrière avec Perdita Durango. Troisième long-métrage d’Álex de la Iglesia, le film était une coproduction entre l’Espagne, les États-Unis et le Mexique, ce qui permettait au réalisateur d’aborder en douceur son inévitable tournant vers « l’international ». Le film alternait en effet les dialogues en anglais et en espagnol – on comparerait bien Perdita Durango à un pédiluve ayant permis par la suite à Álex de la Iglesia de se lancer dans le « grand bain » du film tourné entièrement en langue anglaise, mais cela serait faire offense au film, qui s’avère un film à part entière, et même une sacrée claque de film totalement barré, s’inscrivant dans la large vague de films violents et décalés initiés par Quentin Tarantino dans les années 90 (Pulp Fiction, True Romance, Tueurs nés, Une nuit en enfer…).

Perdita Durango met donc en scène « LA » star hispano du cinéma américain de l’époque, Rosie Perez, révélée en 1989 par le Do The Right Thing de Spike Lee. A ses côtés, on trouvera l’espagnol Javier Bardem, mais également Santiago Segura, génial complice du cinéaste depuis Le Jour de la Bête. Pour ce qui est du scénario, Álex de la Iglesia et Jorge Guerricaechevarría adaptent un court roman de Barry Gifford sorti en France en 1992, et basé sur un personnage secondaire de la série Sailor et Lula, qui apparaissait déjà dans le film de David Lynch en 1990, sous les traits d’Isabella Rossellini. Physiquement, les deux espagnols sont plus fidèles au personnage, décrit dans le roman comme un sosie de Tura Satana, fameuse actrice du film Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! de Russ Meyer. Exit aussi la nostalgie contemplative que Lynch avait conférée au personnage, et retour aux racines de Perdita, décrite chez Gifford comme une vraie folle, meurtrière, pute et adepte du vaudou. Une femme « libre » si l’on se place d’un point de vue féministe.

Transposée à l’écran par Álex de la Iglesia, l’histoire de Perdita Durango reprendra ses droits sous la forme d’un road trip sanglant à la Charles Starkweather mêlant kidnapping, drogue, sexe, hold-ups et Santeria… Bien entendu, le film n’est pas à mettre devant tous les yeux, et même 25 ans après sa sortie, s’avère toujours un spectacle méchant, malaisant, glauque, brutal, nihiliste et volontiers kitsch dans son décorum, ce qui contribue d’ailleurs à apporter à l’ensemble une certaine touche de poésie sauvage, d’ailleurs perceptible dès les premières séquences du film avec la séquence dite du léopard. Les scénaristes espagnols mettent au centre de Perdita Durango l’histoire d’amour déglinguée et rock n’roll entre Perdita, femme libre donc, et Romeo Dolorosa (Javier Bardem), qui est présenté tout à la fois comme un psychopathe mais également comme un homme investi d’une mission divine, convaincu que les talismans dont il a hérité enfant sont magiques et lui confèrent une espèce d’invulnérabilité, de chance tellement insolente qu’elle lui permet de passer entre les mailles du filet dès qu’il se retrouve face à un problème. Ce sont ainsi ces « grigris » qui lui permettront d’échapper à la fouille de son véhicule lors du passage à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, et ce malgré la présence d’un cadavre sur le siège arrière de sa voiture. Ce sont eux également qui semblent empêcher ses poursuivants (Santiago Segura et James Gandolfini) de lui mettre la main dessus malgré leurs efforts répétés.

La narration de Perdita Durango n’est jamais particulièrement explicite quand il s’agit de montrer si oui ou non Romeo est un charlatan, mais finalement, chacun pourra se faire sa propre idée. De toute façon, et même si l’identification à des personnages aussi imprévisibles est difficile (voire impossible), les deux bad guys complètement chtarbés sont bel et bien les véritables héros du film, et leur part de mystère fait indéniablement partie de leur force d’attraction sur le spectateur. Au fil de son récit, le scénario orchestrera un certain nombre de digressions et autres virages abrupts, emmenant régulièrement l’intrigue sur le terrain d’une certaine sauvagerie décalée : les personnages seront donc amenés à transporter des fœtus destinés à la fabrication de cosmétiques, à s’opposer à toutes sortes de gangs et de méchants hauts en couleur, tout en jouant au chat et à la souris avec un agent du gouvernement poissard et en s’organisant un bref détour par Vera Cruz. Ce passage, qui s’impose comme l’un des points d’orgue d’un film décidément insaisissable, permettra à Álex de la Iglesia de livrer un vibrant hommage au chef d’œuvre de Robert Aldrich.

Tous ces aspects puissamment assemblés par Álex de la Iglesia dans un « tout » aussi cohérent que véritablement fascinant contribuent à faire de Perdita Durango, que l’on résume trop souvent à la rencontre des cinémas de David Lynch et de Quentin Tarantino, une œuvre originale absolument saisissante. Le film parvient ainsi sans peine à se démarquer de ses modèles, en partie grâce au talent de ses deux acteurs principaux, qui apportent une tonalité presque légère à des événements souvent sordides, mais également par le biais d’une énergie remarquable et d’un sens du cadre, du rythme et de la mise en scène que l’on n’hésitera pas à qualifier de réellement grandioses.

Le Blu-ray 4K Ultra HD

[5/5]

On vous avait parlé, à l’automne 2020, de notre enthousiasme pour les sorties d’un nouvel éditeur vidéo en France, Extralucid Films. Un peu plus d’un an plus tard, notre intérêt pour les sorties estampillées Extralucid ne s’est pas tari : l’éditeur joue plus que jamais la carte de l’éclectisme en alternant les sorties articulées autour de deux collections phares : d’un côté, « Extra Culte », collection dédiée aux pépites du cinéma de genre, et de l’autre « Extra Monde », qui nous propose de découvrir des films indépendants du monde entier. Perdita Durango s’inscrit donc dans la collection « Extra Culte ». Disponible depuis la fin du mois de novembre, le film de 1997 est donc ressorti accompagné de deux autres films d’Álex de la Iglesia absolument indispensables : Le Jour de la Bête (1995) et Balada Triste (2010). Il est disponible dans un sublime digipack deux volets surmonté d’un fourreau.

Perdita Durango était jusqu’ici uniquement disponible en DVD chez StudioCanal, dans une édition préhistorique nous donnant à voir une version du film censurée de quelques minutes. La durée du film sur le DVD était de 2h02 ; si on réadapte cette durée à l’accélération traditionnelle liée à la norme Pal, on arrive à une durée « cinéma » d’environ 2h07 pour le master source de chez StudioCanal. La version intégrale proposée ici par Extralucid Films est de 2h10, ce qui représente donc environ trois minutes de courts passages inédits en France, qui nous seront proposés en VO sous-titrée. Quelques scènes de dialogues sont rajoutées, quelques plans de sexe et de violence son réintégrées au montage final, la scène de double-viol par Perdita et Romeo sur Duane (Harley Cross) et Estelle (Aimee Graham, petite sœur d’Heather Graham) est plus longue… Une bonne nouvelle pour les amoureux du film d’Álex de la Iglesia.

Mais comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, cette nouvelle édition de Perdita Durango estampillée Extralucid Films nous arrive cette fois présenté au format Blu-ray 4K Ultra HD… Le bonheur. Le master 2160p du film, naturellement proposé au format Scope 2.35:1, est de toute beauté. Le niveau de détail est d’une précision incroyable, le piqué tout en finesse, et les couleurs en HDR dépouillent littéralement nos mirettes, avec des rouges, des jaunes, des dorés somptueusement saturés, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’esthétique choisie par Álex de la Iglesia sur son film regorge de couleurs clinquantes et explosives. Les séquences proposant des mentions écrites ou des fondus enchaînés présentent des baisses sensibles de la définition, mais ce sont là les règles de la restauration. La granulation d’origine a été préservée, bref c’est de la balle atomique, à tel point que l’on se soit surpris à prier pour qu’Extralucid Films s’attarde sur les autres films d’Álex de la Iglesia : on rêverait en effet de revoir Action Mutante, Le Crime farpait, 800 balles ou encore Mort de rire dans de telles conditions d’excellence. Côté son, le film nous est proposé en DTS-HD Master Audio 5.1 en VO, dans une version « mixte » mélangeant l’anglais et l’espagnol. Ce mixage se révélera particulièrement dynamique dans son genre : la scène arrière est omniprésente, et permettra vraiment une immersion parfaite au spectateur dans ce petit monde de oufs malades. On saluera surtout la puissance de l’ensemble lorsque interviennent les scènes de cérémonies sanglantes, qui vous feront assurément froid dans le dos. Le mixage français est quant à lui proposé en DTS-HD Master Audio 2.0, et s’avère dynamique et équilibré, composant avec un long-métrage ne supportant de toute façon pas réellement d’être découvert autrement qu’en version originale.

Du côté des suppléments, on ne trouvera rien d’autre que le film sur la galette Blu-ray 4K Ultra HD, il faudra insérer dans votre lecteur le Blu-ray du film, également disponible au sein du Combo édité par Extralucid. On y trouvera tout d’abord une présentation du film par Laurent Duroche (13 minutes), une des plumes incontournables du Mad Movies post-Jean-Pierre Putters. Le s’efforcera de replacer Perdita Durango dans son contexte de tournage. Il reviendra sur le roman d’origine, sur le lien avec le Sailor et Lula de David Lynch, mais également sur le fait qu’à l’origine, le réalisateur espagnol Bigas Luna, qui fut le premier à s’intéresser au projet, avait pensé à Madonna, Javier Bardem et Dennis Hopper pour les rôles de Perdita, Romeo et Woody Dumas. Madonna quitta le projet en cours de route, et le rôle de Perdita fut alors attribué à Victoria Abril, avec Johnny Depp et Ray Liotta dans les rôles de Romeo et Dumas. Finalement, Luna quitta également le navire et Álex de la Iglesia reprit la direction avec le casting actuel. Les références et autres clins d’yeux du réalisateur à ses modèles sont également abordés, de même que l’esthétique générale, les conditions de tournage et l’accueil international du film. On continuera ensuite avec un entretien exclusif avec Álex de la Iglesia (18 minutes), enregistré par les équipes de Splendor Films spécialement pour cette édition Extralucid. Le réalisateur y évoquera notamment sa tendance à l’excès, et le fait que Perdita Durango lui permettait de repousser encore un peu les limites de l’excès, avec la frontière « flottante » entre le Mexique et les États-Unis comme symbole de la folie de ses personnages. Très fier de son film, de ses acteurs et du boulot effectué par l’équipe technique et lui-même, il garde un excellent souvenir et du résultat à l’écran, même si la critique et le public ne couronnèrent pas forcément le film d’un immense succès à l’époque de sa sortie.

Plus d’informations sur le site officiel d’Extralucid Films.

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