Margin Call

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Margin Call, photo du film

Margin Call

Américain : 2011
Titre original : Margin Call
Réalisateur : J. C. Chandor
Scénario : J. C. Chandor
Acteurs : Kevin Spacey, Paul Bettany, Jeremy Irons
Distribution : ARP Sélection
Durée : 1h50
Genre : Thriller, Drame
Date de sortie : 2 mai 2012

Globale : [rating:4][five-star-rating]

« Margin Call », distribué en France sous son titre d’origine, mérite d’abord une petite traduction : (cette expression vise la somme supplémentaire à verser pour couvrir une position déficitaire ouverte sur le marché à terme – « appel de marges » donc, à peu près). Cependant, la traduction québécoise (« Marge de manœuvre ») paraît nettement plus opportune, car elle dépasse le jargon boursier pur, pour rejoindre le langage courant et la stratégie mise en place en la circonstance.

Synopsis : Wall Street, automne 2008, au siège social d’une banque d’investissement aux airs de « Lehman Brothers ». Tout commence par un remerciement massif de 80 % des personnels de l’étage où se situe la salle des marchés, son chef, Eric Dale (Stanley Tucci), la cinquantaine, et 20 ans de maison, en tête. Reconduit fermement vers la sortie par un vigile, son carton d’objets personnels constitué à la hâte sous le bras, il a le temps de remettre à un de ses jeunes subordonnés, Peter Sullivan (Zachary Quinto), une clef USB dont le contenu va se révéler explosif. Le modèle financier sur lequel travaillait Dale avant son licenciement expéditif, complété par Sullivan, met en évidence un désastre majeur imminent. La nouvelle se répand en interne, au fil de l’organigramme (Will Emerson alias Paul Bettany – qui vient de remplacer Eric Dale dans la hiérarchie, puis Sam Rogers alias Kevin Spacey, avant de gagner les étages et les cadres dirigeants, comme Jared Cohen alias Simon Baker ou Sarah Robertson/Demi Moore, puis le PDG lui-même, John Tuld/Jeremy Irons) et commence alors une nuit décisive. Comme le rappelle Tuld sans états d’âme au Conseil d’administration de crise, pour survivre dans la finance, il faut « ou être le premier, ou être le plus intelligent, ou tricher » : il choisit le scénario 1, qu’il va mener le jour suivant dès l’aube (ouverture des marchés en Extrême-Orient) avec les traders survivants de la vague de licenciements de la veille. Motivés par la promesse de bonus mirifiques, ils vont vendre le plus vite et le plus massivement possible tous les MBS en portefeuille (pour « Mortgage-Backed Security », titres hypothécaires, que le dégonflement de la bulle de l’immobilier américain a rendu « toxiques ») pour éviter la banqueroute (ou au moins en atténuer l’importance).

Margin Call, photo du film

La genèse

Diplômé en 1996 du réputé « college of Arts » de Wooster (Ohio), J.C Chandor entame une carrière de 15 ans dans le spot publicitaire et le court-métrage documentaire. Ce « Margin Call », premier « long » du cinéaste/auteur de 37 ans, concentre un certain nombre de records : écrit en 4 jours et 4 nuits seulement (pour tuer le temps dans un hôtel du Colorado, en attendant un hypothétique deuxième entretien d’embauche), réalisé en 17 jours durant l’été 2010, essentiellement dans les bureaux laissés vacants à New York par une vraie société de courtage, il n’a bénéficié que d’un budget « modeste » (moins de 3 millions et demi de dollars), mais d’un casting « trois étoiles », « tous horizons » ; on citera ainsi – tous emballés par le scénario et sachant qu’il n’y aurait aucun « leading actor » : l’Américain Kevin Spacey et le Britannique Jeremy Irons, tous deux « Oscarisés », Paul Bettany, un autre Britannique de talent souvent remarqué dans des films plutôt hollywoodiens (« Chevalier », « Un Homme d’exception », « Master and Commander » ou « Da Vinci Code »), l’Australien Simon Baker alias « The Mentalist », connus eux aussi grâce à la télévision les Américains Zachary Quinto (« Heroes » et « Star Trek ») – également l’un des producteurs du film – et Penn Badgley (« Gossip Girl ») ou encore l’acteur/scénariste/réalisateur américain Stanley Tucci. La distribution est quasiment strictement masculine, et remarquable (Spacey et Bettany spécialement) – les femmes sont réduites à de simples silhouettes (traders, secrétaires, femme de ménage) ou à une simple apparition (l’ex-épouse de Rogers, dans la scène finale), exception faite du rôle de Sarah Robertson, tenu par une Demi Moore assez peu convaincante, que l’on croirait presque encore dans la défroque de « Harcèlement ».

J.C Chandor connait quasiment de l’intérieur le milieu de la finance dans lequel évoluent ses personnages (son père est une sorte de Gordon Gekko, qui a travaillé plus de 30 ans chez Merrill Lynch, la banque d’investissement durement touchée lors de la crise des subprimes, et lui-même s’est frotté au milieu affairiste en travaillant dans l’immobilier) : il connait le langage, les postures, la façon de travailler des traders, et les enjeux de la dérégulation. Son histoire sonne vrai, elle passionne et terrifie (nomination justifiée au titre du « Meilleur scénario original » aux derniers « Oscar » – récompense remportée cependant cette année, rappelons-le, par le « Midnight in Paris » de Woody Allen ) : ce « thriller » d’un genre particulier est une sorte de récit d’ « horreur économique » (« Grand Prix » du Festival de Beaune du Film Policier 2012), parfaitement maîtrisé par un cinéaste prometteur, dont on n’est pas surpris de connaître la grande admiration pour Lumet (mort en 2011) et ses « Douze Hommes en colère » – ne serait-ce que par l’usage du huis-clos (on sort peu de l’immeuble et de ses bureaux).

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De l’argent et des hommes

Avant de pouvoir découvrir « Cosmopolis », le dernier Cronenberg en compétition à Cannes (sortie le 25 mai prochain), l’histoire d’un « golden boy » de la haute-finance en errance dans un New-York de fin d’ère capitaliste, rappelons que les films « de bourse » sont assez nombreux : on peut ainsi citer les 2 « Wall Street » bien sûr, mais aussi « Les Initiés », « Limitless » (à dimension fantastique), nombre de documentaires (comme « Inside Job », « Capitalism : a Love story » ou « Let’s make Money ») et même des productions hexagonales diverses, depuis le grand ancêtre « L’Argent » de L’Herbier en 1928 (par exemple « Le Sucre » de Rouffio, le médiocre « Krach » de Genestal ou le récent « Ma part du Gâteau » de Klapisch). Quelle place tient « Margin Call » dans cette thématique ? La catastrophe annoncée et sa (relative) résolution font la trame dramaturgique du film, en assurent le suspense, mais sans aucunement occulter la dimension humaine qui y est attachée, depuis la sécheresse des licenciements du premier jour (rappelant le point de départ d’un autre film « d’argent » récent, « The Company Men ») jusqu’aux scrupules et hésitations de certains protagonistes que le hasard et la nécessité mettent au cœur de la crise (Dale remercié, mais rappelé et stipendié pour lui éviter la tentation de parler trop tôt, Rogers voulant démissionner, dégoûté par la nouvelle vague de licenciements des traders….) – J.C Chandor évite donc de jouer à plein la carte du manichéisme (ou de la caricature) si tentante en la matière, même si la haute direction de la banque est peu habitée par le doute, mais bien plutôt par le cynisme (ainsi dans la scène édifiante où Tuld énumère à Rogers les dates des crises les plus significatives du capitalisme depuis les origines), indifférente aux drames annoncés, proches (le très jeune Seth Bregman – Penn Badgley – pleurant sur sa carrière mort-née, emblématique du personnel sacrifié) ou non (les myriades d’épargnants ruinés).

Un premier film perfectionnant le genre : présentation pertinente et accessible de la crise financière la plus contemporaine (explications claires des enjeux et des techniques), « intemporalisée » grâce au respect de règles anciennes, à quelques nuances près, celles de la tragédie classique, et des « trois unités » (lieu : l’immeuble social, temps : 24 h et action : « la marge de manœuvre »).

Résumé

Les tenants et aboutissants d’une crise financière récente décortiqués de l’intérieur : cela donne un suspense aussi haletant qu’un bon polar, une bonne dose d’étude de caractères en plus.

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