Arras 2018 : L’Interprète (Martin Sulik)

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L’Interprète

Slovaquie, République Tchèque, Autriche, 2018
Titre original : Tlumocnik
Réalisateur : Martin Sulik
Scénario : Marek Lescak & Martin Sulik
Acteurs : Jiri Menzel, Peter Simonischek, Zuzana Maurery, Attila Mokos
Distribution : –
Durée : 1h54
Genre : Drame
Date de sortie : –

Note : 3/5

Combien de façons différentes existe-t-il pour tenir compte des atrocités commises pendant la Deuxième Guerre mondiale par les Allemands ? Autant ce sujet relève d’une importance historique et morale majeure, ne serait-ce que pour mettre en garde les générations futures et leur éviter ainsi de commettre les mêmes erreurs, autant le cinéma et la fiction au sens large l’ont traité sous toutes les facettes imaginables. On pourrait croire que plus rien ne reste à dire ou à montrer sur ce crime contre l’humanité, dont seuls les ignorants les plus bornés contestent encore la véracité. La nécessité de garder la mémoire vivante justifie cependant d’y revenir de temps en temps, d’opérer des sortes de mises à jour de ce devoir du souvenir, au fur et à mesure que ses derniers témoins directs disparaissent. Présenté à l’Arras Film Festival dans la section Visions de l’Est, ce film slovaque traite à première vue de la quête entreprise par un fils de tortionnaire nazi pour en savoir plus sur le passé trouble de son père. Or, L’Interprète effectue cette tâche toujours assez délicate par le biais d’une approche magistralement indirecte. L’héritage personnel, devenu encombrant à cause des exactions de la génération des pères, voire des grands-pères, y fournit à peine plus que le prétexte à une rencontre entre deux cultures que tout oppose. Contre toute attente et malgré leurs différences, elles finissent par bâtir quelque chose vaguement ressemblant à de l’amitié. Le réalisateur Martin Sulik ne tente nullement de tergiverser autour de l’impossibilité de représenter convenablement ces événements, qui n’avaient strictement rien de convenable. En somme, un projet cinématographique des plus fins et sophistiqués, qui aurait suscité notre enthousiasme sans réserve, s’il avait su se terminer autrement.

Synopsis : Le vieux traducteur slovaque Ali Ungar, à la retraite et veuf depuis de nombreuses années, se rend à Vienne, afin d’y débusquer l’ancien officier SS Graubner. Mais au lieu du meurtrier de ses parents juifs pendant la guerre, il n’y trouve que son fils Georg, un ancien prof de langues qui cherche à profiter de la vie tant qu’il le peut. Leur première rencontre est des plus glaciales, mais Georg finit par se ressaisir et se déplace alors à son tour en Slovaquie, pour proposer à Ali de l’accompagner en tant qu’interprète sur les lieux des sévices de son père.

Pour l’objectivité

Les films sur les chasseurs de nazis font rarement du bon cinéma, puisqu’ils ont la fâcheuse tendance soit à trop tirer sur la corde sentimentale, soit à colporter outrancièrement les clichés les plus grossiers sur cette époque douloureuse. L’Interprète ne se prive certes pas tout à fait ni du premier dispositif problématique, ni du deuxième. En parallèle, il orchestre par contre une prodigieuse politique de la digression, qui en dit plus long sur l’immense difficulté de panser les plaies d’antan que toutes les séquences larmoyantes ou platement édifiantes réunies. Le but du voyage que ces deux hommes entreprennent – à bord d’une break Mercedes à la couleur rouge écarlate, sans doute pas par hasard si marquante qu’elle se détache de chacun des décors qu’elle traverse – n’est en effet jamais clairement établi. En tout cas, ils ne suivent pas une trajectoire fixée en avance, préférant se laisser dérouter en fonction des témoignages à récolter ou des petits plaisirs à vivre en bord de route. Ce n’est pas du travail méthodique d’historien ou de justicier de l’humanité qu’il s’agit ici, mais d’un processus d’apprentissage intuitif. La mise en scène agence ce dernier avec une lucidité et une intelligence, qui auraient pu en faire une œuvre majeure. Car au delà de considérations exclusivement ironiques, les échanges entre Ali et Georg s’illustrent par le motif récurrent d’une barrière infranchissable, faite de préjugés, de différences culturelles et surtout de la gêne causée par leur histoire personnelle respective, le sort d’un fils de bourreau et d’un fils de victime massacrée devant rester à jamais incompatibles.

Ping-pong et baby-foot

La guéguerre que se livrent les deux personnages principaux, interprétés avec beaucoup de sagesse et de pudeur par Jiri Menzel et Peter Simonischek, apparaît en premier lieu comme le symbole efficace de la profonde incompréhension qui les sépare. L’un comme l’autre ont beau être polyglottes, à tel point de saisir le sens des répliques de leurs interlocuteurs en allemand, slovaque, anglais, russe et ukrainien, ils mettent très longtemps avant de s’accorder sur une même longueur d’onde. Avant d’y arriver, ils campent avec insistance sur leurs positions, jamais trop fiers pour voir la paille dans l’œil de l’autre tout en ignorant royalement la poutre dans le sien. De vrais compagnons de galère, quoi, qui guettent la moindre occasion dérisoire pour faire échouer leur projet commun, né sous une mauvaise étoile. Et comme dans chaque bon conte des opposés qui s’attirent, il demeure au moins un fond de connivence comique, susceptible de maintenir l’équilibre extraordinaire entre le sérieux des traces de la barbarie et la détente procurée par les ressorts du road movie. Dommage alors que cette belle mécanique de la prudence pathologique déraille sérieusement à la toute fin du récit, débouchant sur une révélation de dernière minute, qui ne contribue que des pieds d’argile assez décevants à une intrigue jusque là irréprochable.

Conclusion

Notre deuxième séjour à l’Arras Film Festival a débuté sensiblement mieux que le premier ! L’Interprète est en effet un film poignant sur les vestiges d’un chapitre noir de l’Histoire européenne, dont plus personne ne veut vraiment parler, mais qui reste précisément impossible à occulter en raison de l’absence d’un traitement consensuel. Il y avait donc là le potentiel d’un coup de cœur, hélas relativisé in extremis par un dénouement qui ne tient pas les promesses de complexité et d’abstraction subtile, savamment entretenues sur la majeure partie du film.

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