Critique : Fargo

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Fargo

Etats-Unis, 1996
Titre original : Fargo
Réalisateur : Joel Coen
Scénario : Ethan Coen et Joel Coen
Acteurs : Frances McDormand, William H. Macy, Steve Buscemi
Distribution : Ciné Sorbonne
Durée : 1h38
Genre : Policier
Date de sortie : 20 juillet 2016 (Reprise)

Note : 4/5

Les frères Coen sont des maîtres de la création d’univers décalés. A chaque nouveau film, ils excellent dans l’esprit de dérision, cumulant des éléments à première vue bénins jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un humour très noir. Leurs œuvres les plus abouties sont soit celles qui poussent la surenchère des gags au comble de l’absurdité, soit celles qui savent garder les pieds sur terre, en aménageant justement un arrière-plan tragique, propre à la vie courante, au spectacle au ton mordant dont ils détiennent le secret. Fargo appartient au deuxième groupe par sa capacité brillante de développer les aspects tristement pitoyables des personnages, alors que ceux-ci sont pris dans l’engrenage d’un crime de plus en plus disproportionné. C’est un film profondément grave sur la condition humaine, qui ne cherche nullement à embellir une situation de départ risible, en voie de devenir tout à fait macabre. L’équilibre entre ces deux extrêmes du vocabulaire dramatique est maintenu à la perfection et par le scénario, et par des interprétations jubilatoires d’un ensemble d’acteurs magistral.

Synopsis : Le vendeur de voitures Jerry Lundegaard a de sérieux problèmes d’argent. Afin de renflouer les caisses, il élabore un plan machiavélique pour enlever sa propre femme. Il charge deux gangsters sans envergure, Carl Showalter et Gaear Grimsrud, de commettre le crime, en échange d’une voiture neuve et d’une somme qu’il déduira de la rançon payée par son beau-père. Or, rien ne se passe comme prévu et l’enlèvement se transforme rapidement en homicide multiple. Alors que le commanditaire maladroit sent l’étau se resserrer autour de lui, l’agent de police local Marge Gunderson, enceinte de son premier enfant, mène l’enquête.

Dumb & Dumber

Quel groupe de personnages minables qui peuplent le récit des deux côtés de son échiquier vaguement moral ! Le point commun entre les pantins de cette farce suprême est en effet qu’ils se définissent avant tout par leur crétinisme. Ce dernier peut se manifester sous des formes fort diverses, comme le malaise existentiel qu’exprime chacune des grimaces de Jerry Lundegaard, le contraste aigu par rapport à la communication verbale entre les deux bandits ou bien le style de vie hautement provincial de l’enquêteuse obstinée. Il participe par contre toujours à une mise en abîme plutôt méchante des efforts de chacun d’entre eux pour arriver à ses fins, aussi illusoires soient-elles. Car la mise en scène semble attacher au moins une aussi grande importance à la personnalité en tous points modeste de ces hommes et de ces femmes pris au piège qu’à l’avancement de l’intrigue policière, au demeurant truffée de revirements sanglants. L’exploit considérable de Joel et Ethan Coen consiste alors à ne pas saupoudrer leur conte sur la bêtise du monde d’un cynisme trop facile, mais de préserver au contraire la dimension humaine et donc manifestement imparfaite de ces idiots malgré eux.

Oh ja

La symbiose du ton mi-moqueur, mi-attachant se prolonge à merveille du côté des interprétations, toutes parfaitement maîtrisées et en même temps agréablement complémentaires. Il aura fallu le talent immense de William H. Macy pour rendre à l’instigateur mal intentionné toute sa noblesse tristounette de mari, père et gendre humilié sans arrêt. Et Frances McDormand excelle dans son rôle oscarisé pour le moins ambigu, pas très loin des feintes de l’inspecteur Columbo ou bien simplement béni de quelques coups de chance guère mérités. Quant à Steve Buscemi et Peter Stormare, ils campent des malfrats ignobles qui sont néanmoins les seuls à agir sans hésitation, avec le résultat néfaste que l’on connaît. Enfin, du côté technique, la photo de Roger Deakins capte sans états d’âme le froid glacial des paysages enneigés du fin fond des Etats-Unis, tandis que la musique sombre et majestueuse de Carter Burwell souligne avec finesse le fil inextricable d’une histoire faussement vraie, partie de rien pour mieux se terminer sur un carnage.

Conclusion

Le cinéma des frères Coen a autant tendance à exagérer qu’à viser juste. Rarement, les réalisateurs, scénaristes, producteurs et monteurs ont toutefois réussi à concocter une perle cinématographique quasiment parfaite à l’image de Fargo. Ce dernier représente la somme de leur art caustique dans ce qu’il a de plus accompli. L’équilibre entre la dérision et la tension y est sans faille, pour notre plus grand plaisir, même après de nombreuses visions depuis sa sortie initiale il y a vingt ans.

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