Critique : Total Recall

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Total Recall

États-Unis : 1990
Titre original : –
Réalisation : Paul Verhoeven
Scénario : Ronald Shusett, Dan O’Bannon & Gary Goldman, d’après une nouvelle de Philip K. Dick
Acteurs : Arnold Schwarzenegger, Rachel Ticotin, Sharon Stone
Distributeur : Carlotta Films
Durée : 1h54
Genre : Science-fiction / Interdit aux moins de 12 ans
Date de sortie : 16 septembre 2020 (Reprise)

4/5

Il fut un temps, désormais lointain, où les portes d’Hollywood étaient grandes ouvertes au trublion Paul Verhoeven. Pour notre immense plaisir, le réalisateur néerlandais en a profité un maximum, avant de chercher son bonheur artistique et subversif sur les plateaux de tournage de son continent d’origine. Mais au cours de ces dix années de grâce, essentiellement entre Robocop en 1987 et Starship Troopers en 1997, il a pu créer cinq divertissements hautement jouissifs. L’épopée martienne Total Recall était le deuxième parmi eux, une adaptation magistralement triviale d’après une nouvelle de Philip K. Dick. Le réalisateur y a réussi le cocktail quasiment parfait entre le besoin viscéral de l’efficacité dont le cinéma américain raffole et un discours beaucoup moins lissé sur le monde dans lequel on vit d’ores et déjà.

Car trente ans après la sortie initiale de l’un des meilleurs films de Arnold Schwarzenegger, on s’approche progressivement de l’époque futuriste qu’il décrit avec un émerveillement à double tranchant. L’année 2048, nous y sommes pas encore, mais notre temps, où l’incertitude règne pour cause d’emprise épidémique, pourrait bel et bien ressembler davantage à ce monde de demain qu’à celui d’hier. Ce qui ne signifie en rien que le neuvième long-métrage de Paul Verhoeven apparaît dépassé. Enfin, si quand même un peu, du côté des costumes de Erica Edell Phillips qui gardent un ancrage sensible dans la mode douteuse des années 1980, tandis que les effets spéciaux sont toujours d’une prouesse bluffante. Non, la qualité durable, voire peut-être intemporelle du film se situe dans son agencement prodigieux d’un délicat équilibre entre le spectacle et la réflexion.

© 1990 Carolco / Studiocanal / Carlotta Films Tous droits réservés

Synopsis : Doug Quaid est hanté par un cauchemar récurrent, qui l’entraîne chaque nuit sur Mars. Il a beau ne jamais y être allé, cet ouvrier marié à la belle blonde Lori ne peut se défaire de son obsession pour cette destination guère touristique à l’autre extrémité de la galaxie. Quand il voit dans le métro une publicité pour la société Rekall, spécialisée dans la création de souvenirs artificiels, il est tenté par cette offre lui permettant éventuellement de mettre de l’ordre dans son subconscient tourmenté. Or, la procédure tourne au fiasco. Quaid ne tarde pas à se trouver au cœur d’une chasse à l’homme avec les agents du puissant exploitant minier Cohaagen à ses trousses.

© 1990 Carolco / Studiocanal / Carlotta Films Tous droits réservés

Être quelqu’un, le rêve américain par excellence …

Paul Verhoeven a toujours été un maître dans l’art de la dissection sans merci des repères faussement rassurants de la société américaine. Ainsi, Total Recall commence avec un double mensonge. D’abord, celui du rêve qui voit l’excursion si romantique de Quaid sur Mars se terminer dans la tragédie. Puis, de façon diablement malicieuse, cette autre réalité encore plus traîtresse, celle du quotidien du protagoniste, choyé par son épouse caricaturalement parfaite – Sharon Stone qui a déjà dû y faire fantasmer bon nombre de spectateurs, deux ans avant Basic Instinct – et vivant dans une forme de quiétude aux pieds d’argile. Au plus tard quand on voit le paquet de muscles Schwarzenegger s’activer avec un marteau piqueur, on se doute que quelque chose doit clocher dans ce monde, où un simple ouvrier aurait de quoi se payer un appartement somme toute luxueux.

Comme c’est souvent le cas chez Paul Verhoeven, la mise en abîme s’avère plus vertigineuse qu’anticipé. Un à un, les éléments qui composaient l’idylle de la vie de Quaid se désagrègent. Son collègue n’est que le premier de ses proches à tenter de le tuer. Jusqu’à la fin du film, il n’aura plus un moment de répit, traqué sans cesse par les sbires d’un pouvoir suprême qu’on n’aura aucun mal à associer aux multinationales contemporaines. Et, cerise sur le gâteau, le récit ne lésine point sur les revirements abracadabrants. Il se trouve toujours à deux doigts de l’impossibilité absurde, mais œuvre en même temps méthodiquement à la mise en question de l’identité.

© 1990 Carolco / Studiocanal / Carlotta Films Tous droits réservés

… à moins que ce ne soit un cauchemar

Une fois que le héros constamment malmené – on n’a pas osé les compter, mais ce film contient sans doute le nombre le plus élevé d’attaques physiques contre l’entre-jambe de Schwarzenegger dans toute la filmographie de l’acteur, symbole majeur de l’excès de testostérone – aura accompli sa mission qui équivaut, à peu de choses près, au sauvetage de l’humanité, il n’est pas pour autant prêt à faire définitivement la différence entre le rêve et la réalité. Il pense savoir dès lors qui sont les bons et qui les méchants. Ces derniers se distinguent d’ailleurs par leur côté profondément machiavélique, sous les traits de Michael Ironside et de Ronny Cox. Sauf que la notion du mal est beaucoup plus diffuse ici. Elle va jusqu’à pénétrer subtilement la structure psychologique de l’intrigue.

Ce qui nous ramène à la marque de fabrique du cinéma de Paul Verhoeven : une trivialité assumée sans le moindre complexe. En alternant à un rythme élevé entre la violence passablement gore et les répliques sous forme de boutade, le réalisateur assure un divertissement de haut vol. Un divertissement foncièrement populaire, soyons bien clairs là-dessus. Mais en faisant appel aux références du film de genre dans ce qu’il a de plus instinctif, le tout sur fond de thèmes musicaux martiaux signés Jerry Goldsmith, Verhoeven entreprend son propre grand détournement des codes et des poncifs.

Alors oui, certains rares aspects du film ne fonctionnent plus de nos jours, soumis à des grilles de lecture plus strictes, comme le personnage péniblement caricatural de Benny, le chauffeur de taxi. Et en dehors de ramener Quaid à intervalles réguliers à la réalité avec ses baisers, le rôle interprété avec un capital de séduction irrésistible par Rachel Ticotin ne sert pas à grand-chose et certainement pas à valoriser l’apport féminin aux contes futuristes. Dans l’ensemble, toutefois, cette version-ci de Total Recall continue à nous enthousiasmer ! Contrairement au remake de 2012 Total Recall Mémoires programmées de Len Wiseman, précisément le type de film pop-corn immédiatement oubliable dont celui-ci est la sublimation hors pair.

© 1990 Carolco / Studiocanal / Carlotta Films Tous droits réservés

Conclusion

Rares sont les cinéastes capables de détourner les gros moyens mis à leur disposition par les studios hollywoodiens afin de tourner des films en parfait désaccord avec le consensus moral en vigueur aux États-Unis. Paul Verhoeven fait encore plus figure d’exception, puisqu’il a remporté cet exploit aussi épineux que périlleux à au moins cinq reprises. Total Recall fait indubitablement partie de cette période de bénédiction cinématographique, grâce à sa dualité imperturbable et à son incroyable agilité narrative. Il s’agit d’un film qui joue simultanément et en toute virtuosité sur le tableau du spectacle tonitruant d’un côté et sur celui d’une science-fiction lucide de l’autre.

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