Critique : Nocturama

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Nocturama

nocturama afficheFrance : 2016
Titre original : –
Réalisateur : Bertrand Bonello
Scénario : Bertrand Bonello
Acteurs : Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani
Distribution : Wild Bunch Distribution
Durée : 2h10
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie : 31 août 2016

1/5

Il parait que c’est involontaire mais les trois derniers longs métrages de Bertrand Bonello trouvent leurs places, dans le temps, à des moments charnières de notre histoire : L’Apollonide – Souvenirs de la maison close, un changement de siècle, Saint Laurent, les années 60 – 70, Nocturama, la France d’aujourd’hui. La France d’aujourd’hui, moment charnière de notre histoire ? C’est du moins ce que pense le réalisateur, qui compare la France de 2016 à une cocotte minute prête à exploser.

Synopsis : Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents.  Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale.  Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, presque dangereux.  Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes.  La nuit commence. 

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Quel est leur but ?

Des jeunes gens, une dizaine, entre 15 et 25 ans. Ils sillonnent chacun de leur côté les rues de Paris, ils s’engouffrent dans le métro,  l’un d’entre eux se rend à un rendez-vous avec le Ministre de l’Intérieur, une jeune fille vient prendre possession de la chambre qu’elle avait réservée dans un hôtel, d’autres montent en ascenseur vers des étages en rénovation dans une tour, siège d’une grande banque (petite gâterie : son président a pour prénom celui d’Eric Ciotti et comme nom celui de Christian Estrosi). De temps en temps, l’heure s’affiche à l’écran avec une grande précision. Ils donnent l’impression d’avoir sérieusement travaillé une action. Quelle action ? Se connaissent-ils ? Et puis, brutalement, des armes apparaissent, des coups de feu partent, des hommes s’écroulent, morts. Et puis, simultanément, une cascade d’explosions se déclenche, touchant le Ministère de l’Intérieur, des voitures, la statue de Jeanne d’Arc, la tour. Tous les protagonistes, à l’exception de deux d’entre eux, convergent vers un grand magasin qui vient de fermer ses portes pour la nuit. Une nuit qu’ils comptent passer coupés du monde extérieur, loin du tumulte qu’ils viennent de causer, avec pour objectif de ressortir le lendemain, dans un monde qui, grâce à eux, « ne sera plus pareil ». De ce film qui comporte trois chapitres différents, on se gardera de dire quoi que ce soit sur le dernier, sauf que, dans sa froideur et la modestie de sa réalisation, on peut le considérer comme étant le meilleur du film.

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Tout sonne faux

C’est en 2011, au moment du tournage de L’Apollonide, film à costumes, que Bertrand Bonello a ressenti l’envie de s’intéresser à la France contemporaine, cette France qu’il sentait alors au bord de l’explosion. Aussitôt, il a commencé à travailler sur le scénario, mais le projet a dû être interrompu durant le travail sur Saint Laurent. Ce n’est donc que début 2015 que Bonello a pu se lancer à fond sur ce projet, avec un titre en tête, Paris est une fête. Manifestement, ni l’attentat de Charlie Hebdo, ni ceux du 13 novembre, pourtant très différents de ce qu’il montre dans Nocturama, ne l’ont fait changer d’avis sur son ressenti quant au risque d’explosion qui guette notre pays. C’est le fond de sa pensée qu’il traduit dans la réponse apportée par une jeune cycliste, interprétée par Adèle Haenel, lorsqu’elle est interrogée par David, l’un des protagonistes, sur la série d’attentats qui viennent de se dérouler : « Franchement, ça devait arriver ». Par contre, les attentats du 13 novembre ont obligé Bertrand Bonello a changé de titre pour son film, le titre du roman d’Hemingway étant devenu le symbole de la résistance des parisiens aux actions de l’Etat Islamique. C’est en regardant sa discothèque que Nocturama, titre d’un album de Nick Cave, s’est imposé à lui.

Lorsqu’on arrive au jugement à porter sur ce film, il est difficile de savoir par où commencer tant le film sonne faux et présente autant de défauts. Par le fond ? Par la forme ? Présenté comme appartenant à la famille des films politiques, Nocturama souffre de la volonté affichée par le réalisateur de privilégier l’action, le « faire », et de refuser le discours, le « pourquoi ». Pour que ce choix soit respecté, le spectateur est jeté dès le début dans la réalisation d’un projet dont il ne saura jamais ce qui l’a motivé. Résultat : ce film prétendument politique pourra assez facilement être récupéré, dans un sens ou dans un autre, par toutes les familles politiques de notre pays puisque on ne sait rien des raisons qui ont poussé ces jeunes gens à se regrouper et à commettre ces assassinats et ces attentats. Chacun est donc libre de choisir celles qui l’arrangent ! Par ailleurs, on se demande bien sur quelle base la rencontre totalement improbable d’un gamin de banlieue de 15 ans et d’un étudiant de Sciences Po se préparant au concours de l’ENA a bien pu se réaliser ! En tout cas, le fait est qu’il a fallu un grand sens de l’organisation, une préparation minutieuse, un grand sens de l’organisation, une bonne dose d’intelligence et de courage, probablement puisée dans le dégoût de la société consumériste dans laquelle ils vivent, ou bien dans le désespoir, puis dévoyée vers la violence, pour arriver à obtenir le résultat auquel on assiste. Et voilà qu’une fois dans le Grand Magasin, leur façon de se comporter  vient complètement infirmer ce jugement qu’on pouvait porter sur eux : ils transforment le magasin en mélange de piste de danse et de karaoké, certains flippent, d’autres se comportent en victimes consentantes de la société de consommation. Par ailleurs, on se demande bien quelle peut être la motivation du réalisateur lorsqu’il impose aux spectateurs cette scène d’un grotesque achevé où Yacine, maquillé et coiffé d’une perruque,  interprète en playback la chanson « My Way » dans la version de Shirley Bassey.

Quant à la mise en scène, le jugement qu’on peut lui porter dépend de la faculté qu’on a de résister ou non aux effets faciles, aux ralentis, aux écrans divisés, aux effets de disque rayé consistant à interrompre une scène au bout de quelques secondes pour la redémarrer aussitôt à l’identique. Par contre, on ne peut que féliciter Bertrand Bonello pour les moyens utilisés, autres que l’écran partagé, pour montrer le synchronisme d’actions se déroulant dans divers lieux parisiens ou, plus tard, dans divers endroits du Grand Magasin : si l’utilisation de l’incrustation de l’heure à l’écran, certes efficace, n’est pas franchement révolutionnaire, le fait d’utiliser une chanson diffusée dans tout l’espace concerné pour servir de repère temporel est non seulement efficace mais également très astucieuse.

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Une belle photographie

Nocturama est le premier film de Bertrand Bonello tourné en numérique et, sur ce point, le travail réalisé avec Leo Hinstin, le Directeur de la photographie, est absolument remarquable. Par contre, dans ce film où tout sonne faux, il n’est pas étonnant d’y trouver une majorité d’interprètes qui jouent faux. Certes, il y a Finnegan Oldfield et Vincent Rottiers dont le jeu est sans reproche, mais on ne peut malheureusement pas en dire autant des 8 autres jeunes interprètes qui récitent leur dialogue de façon fort maladroite. Quant à la musique, composée par le réalisateur, elle n’apporte rien de positif au film.

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Conclusion

Que Bertrand Bonello soit persuadé que la France d’aujourd’hui est comparable à une cocotte minute prête à exploser, libre à lui. Que les attentats de 2015 n’aient rien changé dans ce domaine, au point que le réalisateur puisse reprendre en 2016 une idée née en 2011, libre à lui. Par contre, si tant est que le cinéma puisse avoir une influence sur la vie réelle, on peut s’interroger sur les répercussions envisageables, suite à la sortie de Nocturama.  Bertrand Bonello a-t-il voulu jouer avec le feu ? A-t-il voulu faire office de pythie face à un événement qu’il pense inéluctable ? A-t-il voulu, au contraire, essayer de montrer les conséquences dramatiques d’un tel événement ? Quelle que soit la réponse, on regrette que la réalisation soit aussi maladroite et le résultat aussi ennuyeux.

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour, Tout à fait d’accord hélas avec votre critique. Nocturama est un film à l’image très belle et aux « figures de style intéressantes » mais non seulement d’un ennui total passé la première demi-heure, mais d’une superficialité qui dépasse. J’ai eu beau essayer de comprendre, rien à faire. Le film est aussi vide que ces jeunes acteurs sont brillants. Équilibristes touchants d’un film prétentieux et bancal Encore une fois, j’ai trop l’impression qu’on ne prête des moyens qu’aux riches et c’est bien dommage.

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