Critique : L’histoire de Souleymane

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L’histoire de Souleymane

France : 2024
Titre original : –
Réalisation : Boris Lojkine
Scénario : Boris Lojkine, Delphine Agut
Interprètes : Abou Sangare, Alpha Oumar Sow, Nina Meurisse
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 1h33
Genre : Drame
Date de sortie : 9 octobre 2024

4.5/5

Après avoir réalisé 2 documentaires  longs métrages, l’agrégé de philosophie Boris Lojkine est venu à la fiction en 2014 avec Hope, consacré aux migrants qui veulent partir d’Afrique, et avait poursuivi en 2019, avec Camille, le passionnant biopic de la photographe de guerre Camille Lepage, tuée d’une balle dans la tête en République Centrafricaine, à l’âge de 26 ans. Avec L’histoire de Souleymane, présenté dans la Sélection Un Certain regard à Cannes 2024 où il a obtenu le Prix du jury et le Prix d’interprétation masculine pour son interprète principal, il revient sur les problèmes rencontrés par les migrants, cette fois ci arrivés en France mais qui, tout en travaillant, ont un mal fou à obtenir leur régularisation.

Synopsis : Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.

Un entretien capital

Alors qu’il est convoqué deux jours plus tard à l’OFPRA, Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour un entretien déterminant pour son avenir, Souleymane, un migrant venu de Guinée, continue de travailler comme livreur de repas à vélo. Ce travail, il ne le fait pas sous son nom mais sous celui d’un camerounais qui, en échange de l’utilisation de son compte, prélève 120 euros par semaine sur les sommes gagnées par Souleymane. Par ailleurs il rencontre régulièrement un compatriote qui s’est autoproclamé coach pour demandeur asile et qui le pousse à travestir la vérité lors de cet entretien si important :  prétendre être un opposant politique persécuté dans son pays serait, d’après lui, bien plus « vendeur » auprès de l’OFPRA que d’avouer un départ dû au désir de pouvoir aider sa mère handicapée.

Pour apprendre plus ou moins par cœur cette histoire afin de se montrer le plus crédible possible lors de son entretien, il serait bien sûr souhaitable que Souleymane ait du temps devant lui, qu’il n’ait pas le souci de savoir où se doucher et dormir et qu’il puisse passer des nuits paisibles dans un environnement confortable. Malheureusement pour lui, c’est tout le contraire qui se passe : sa situation le contraint à continuer à prendre des risques avec son vélo au milieu de la circulation parisienne, à perdre du temps avec des restaurateurs qui le font attendre pour lui remettre la commande à livrer ou avec des clients pas toujours très chaleureux pour la réceptionner, des pertes de temps qui engendrent chaque soir ou presque des difficultés pour arriver à attraper le bus social qu’il doit prendre pour rejoindre, en banlieue, le centre d’hébergement qui va l’accueillir pour la nuit, un centre pour lequel il doit téléphoner chaque matin afin de le réserver. Dans ces conditions, comment arriver à se montrer bon acteur face à l’officière de protection de l’OFPRA, d’autant plus que l’histoire qu’on lui a conseillé de raconter, il est évident qu’elle l’a déjà entendue à de nombreuses reprises, pratiquement mot pour mot ?

Un film très bien documenté

Depuis plusieurs années, Boris Lojkine avait envie de faire un film sur les livreurs à vélo, ces hommes de l’ombre qu’on voit prendre des risques pour aller le plus vite possible d’une livraison à une autre et qui, très souvent, sont des clandestins. Par ailleurs, on lui demandait souvent d’apporter une suite à Hope en racontant ce que pouvait être la vie des migrants ayant réussi à arriver en France sains et saufs. Non seulement L’histoire de Souleymane permet de répondre à l’envie de son réalisateur et à la demande des spectateurs mais en plus c’est un grand film de cinéma qui nous est proposé. Un film dans lequel Boris Lojkine apporte son talent de documentariste dans sa peinture du Paris des migrants, avec ses centres d’accueil, ses douches municipales, ses bus sociaux, ses rencontres avec des policiers peu amènes, enserré dans le Paris des parisiens, avec le métro, le RER, la circulation des automobiles et des deux roues.

Concernant la partie fictionnelle du film, elle a été travaillée avec beaucoup de soin, le réalisateur, Delphine Agut, sa coscénariste, et Aline Dalbis, sa Directrice de casting, étant allés à la rencontre de livreurs à vélo qui leur ont raconté toutes les coulisses de leur travail, toutes les galères qu’ils sont amenés à rencontrer. Ayant également rencontré des guinéens qui leur ont raconté dans le détail comment s’étaient passés leurs entretiens de demande d’asile. Ayant également parlé avec des officiers de protection et ayant même pu  assister à des entretiens de demande d’asile. Avec beaucoup de vérité, le film immisce dans la communauté des migrants africains, une communauté plutôt soudée au sein de laquelle il est de bon ton de se chambrer, en particulier lorsqu’il est question de football. Une communauté, toutefois, dans laquelle on n’a pas forcément que des amis et qui peut voir des migrants arnaquer d’autres migrants.

Un grand acteur est né !

Dans l’histoire du cinéma, il est difficile de trouver des films dans lesquels l’interprète principal vit dans la vraie vie, au même moment, ce qu’il joue à l’écran. C’est pourtant exactement ce qui arrive à Abou Sangare, l’extraordinaire interprète de Souleymane. Tout comme Souleymane, Abou Sangare, arrivé en France il y a 6 ans, est en situation irrégulière. Il a appris à la veille de la projection du film à Cannes que sa 3ème demande de régularisation avait été rejetée et il est aujourd’hui l’objet d’une OQTF, obligation de quitter le territoire français. Lueur d’espoir : fin août, il a reçu un mail de la Préfecture de la Somme lui proposant de déposer une nouvelle demande.

Contrairement à Souleymane, Abou n’est pas livreur à vélo, il est mécanicien, et il a dû entrer petit à petit dans son rôle en faisant de véritables livraisons pendant plusieurs semaines. Présent dans presque tous les plans du film, il montre dans toutes les situations rencontrées de très grandes qualités de comédien. Pour le rôle à la fois « petit » et très important de l’officière de protection qui doit statuer sur le cas de Souleymane, Boris Lojkine a fait appel à Nina Meurisse qui interprétait le rôle de Camille Lepage dans Camille. Elle excelle dans un rôle qui est tout sauf facile, celui d’une fonctionnaire qui n’est pas dupe de ce qu’on lui raconte, partagée en plus entre un sentiment de sympathie envers cet homme dont elle devine la détresse et les obligations liées au travail qui est le sien. On remarquera une fois de plus que l’absence de musique apporte beaucoup au film en augmentant la tension qu’on ressent du début jusqu’à la fin et en permettant de mieux recevoir l’ambiance sonore de la ville. De toute façon, concernant l’intense émotion qu’on ressent à la vision de L’histoire de Souleymane, une avalanche de violons en accompagnement de ce qu’on voit et de ce qu’on entend, loin d’apporter quelque chose au film, l’aurait tirer vers le mélo, ce qu’il réussit à ne pas être du tout.

Conclusion

Loin d’être la 2ème division de la Sélection Officielle du Festival de Cannes, la sélection Un Certain Regard est souvent, chaque année, celle qui présente le film que beaucoup de cinéphiles vont retenir comme étant leur préféré de la Quinzaine cannoise. C’était le cas cette année avec L’histoire de Souleymane, un grand film qui, en plus d’être particulièrement émouvant, est un contre la montre haletant dans lequel il n’y a aucun temps mort.

 

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