Critique : Le Dernier voyage

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Le dernier voyage

France : 2020
Titre original : –
Réalisateur : Romain Quirot
Scénario : Romain Quirot, Antoine Jaunin, Laurent Turner
Acteurs : Hugo Becker, Jean Reno, Lya Oussadit-Lessert
Distributeur : Tandem
Genre : Science-Fiction
Durée : 1h27
Date de sortie : 19 mai 2021

3/5

Les incursions du cinéma français dans la science-fiction n’ont rien d’évident. Déjà, elles sont extrêmement rares. En plus, nos attentes si formatées par de longues années d’hégémonie américaine sur le genre nous rendent leur réception peu aisée. Il y a certes des idées parfois ingénieuses à signaler. Mais faute d’un échantillon de films assez important, on manque de repères clairs pour s’y retrouver. A chaque nouvelle aventure du futur alors de nous charmer, de nous faire découvrir un monde écartelé entre les séquelles de notre gestion calamiteuse de la planète au présent d’un côté et de l’autre un formidable progrès encore à imaginer qui permettrait à l’humanité de sortir haut la main de la crise existentielle dans laquelle elle se fourvoie chaque jour un peu plus. Est-ce que Romain Quirot a réussi cet exploit considérable avec son premier long-métrage, adapté de l’un de ses courts produit il y a cinq ans ?

Franchement, Le Dernier voyage nous a plutôt laissé perplexes. Pas dans le sens qu’on n’aurait rien compris à son intrigue apocalyptique ou que la mise en scène nous aurait rebutés sans cesse avec ses effets de style quand même assez appuyés. Non, l’aspect du film qui nous a le plus interpellés, c’est au contraire l’aisance avec laquelle la narration arrive à garder une tension dramatique. Bien que la mise en scène paraisse être parfaitement consciente de la surenchère manichéenne qu’elle y orchestre avec brio, elle sait la relativiser à plusieurs reprises par le biais d’un humour ironique salutaire. L’intrigue au fond très rudimentaire n’a ainsi pas peur de quelques raccourcis trop expéditifs, sans exception rattrapés par un goût pour l’excès grandiose. En somme, il s’agit d’un film aux contradictions multiples, à la fois intimiste et pompeux, philosophe et étriqué d’esprit, tragique et espiègle. Ce qui constitue une qualité assez rare dans le monde du cinéma si balisé pour être souligné, voire apprécié.

© 2020 Apaches / Digital District / Belga Productions / Tandem Films Tous droits réservés

Synopsis : Dans un futur proche, la Terre est menacée par une mystérieuse lune rouge qui fonce droit sur elle. Le seul homme à pouvoir éviter le cataclysme est l’astronaute Paul W.R. Or, ce dernier est introuvable. Il cherche à se soustraire aux contrôles des autorités en s’enfonçant toujours plus loin dans les paysages déserts qui étaient autrefois la France. Sa destination : une forêt verdoyante dont il a gardé le souvenir ineffaçable depuis son enfance.

© 2020 Apaches / Digital District / Belga Productions / Tandem Films Tous droits réservés

Une petite voix m’a dit …

Tout cela n’était-il finalement qu’un rêve ou plutôt un cauchemar d’enfant ? L’hypothèse doit être permise, suite aux premiers plans de Le Dernier voyage montrant des dessins avec en voix off la prémisse exposée par un jeune garçon. Cette piste onirique expliquerait également bon nombre d’incohérences du scénario, ainsi qu’une légère paresse en termes d’explications de sa part. Longtemps avant la séquence au cinéma, qui n’a pas manqué de nous rappeler L’Armée des douze singes, y compris les cheveux teints à la va-vite du personnage de Hugo Becker qui peuvent légitimement être considérés comme une référence à l’affublement de Bruce Willis dans le film de Terry Gilliam, la structure dramatique de cette épopée d’anticipation-ci avait épousé étroitement les méandres de l’esprit torturé du protagoniste.

En effet, le dispositif normalement si fastidieux du retour en arrière récurrent, de surcroît en noir et blanc, fonctionne assez naturellement ici. Pas tant pour révéler au spectateur le passé familial lourd de tensions de Paul, mais davantage pour mieux appréhender son raisonnement hautement faillible. Cet homme d’exception que tout le monde s’arrache est en fait un héros imparfait, une surface de projection pas dépourvue de vacuité à laquelle l’interprétation de Becker confère tout ce qu’il faut en termes d’espace illimité d’interprétation. Pas très loin d’être un pion, sans plan, ni volonté, il n’ose faire face au rôle du sauveur présumé que grâce à l’intervention de Elma, une adolescente croisée par hasard sur le chemin de son périple illusoire.

Tandis que lui, il rêve de retrouver la paix d’un passé perdu à jamais, elle n’arrête pas de le propulser vers l’avant, le plus loin possible de son cadre de vie oppressant. Ce qui n’exempte pas leur relation d’une étrange ambiguïté, par ailleurs aussi peu explicitée que le lien paternel envers un Bruno Lochet toujours aussi adroit pour préserver un minimum d’humanité à ses personnages, même dans la misère la plus sinistre. Son mélange saisissant entre la candeur innocente de l’enfance et la femme adulte en devenir fait sans doute de Lya Oussadit-Lessert la révélation de ce film sinon inégal.

© 2020 Apaches / Digital District / Belga Productions / Tandem Films Tous droits réservés

De la gelée rouge proustienne

Car autant les motivations des protagonistes y restent floues, autant celles des méchants relèvent du délire complet. Heureusement, Paul Hamy et Jean Reno sont des comédiens habitués à une exagération plus ou moins crédible. Dans leurs rôles respectifs du frère aîné et du père aussi machiavéliques l’un que l’autre, ils gardent vivant l’héritage de tout un pan du cinéma de série B, peuplé d’individus au pouvoir malveillant entièrement grotesques. Là non plus, il n’y a sans doute pas grand-chose à comprendre à cette mécanique familiale définitivement perturbée par la disparition de la mère, ni aux pouvoirs surnaturels de manipulation mentale qui permettent au grand frère de se débarrasser de ses ennemis sans lever le petit doigt.

Ce qui nous amène au propos a priori encore plus farfelu du film sur l’avenir catastrophique qui attendra sous peu l’humanité. A cause du pillage éhonté des ressources de la lune rouge par des hommes en panne d’énergie, le corps céleste serait parti en croisade contre cette espèce si peu intéressée par une solution durable. Si cette prémisse vous fait déjà douter du sérieux des scénaristes de Le Dernier voyage, il vaudrait peut-être mieux que vous ne restiez pas jusqu’à la fin de la séance. Effectivement, la conclusion du récit ne fait pas partie de ses points forts. Elle demeure par contre admirablement cohérente dans le cadre d’un projet filmique, certes un peu trop dispersé et brouillon, quoique en même temps animé par une volonté de tenter des choses dépassant la simple référence facile.

© 2020 Apaches / Digital District / Belga Productions / Tandem Films Tous droits réservés

Conclusion

Le syndrome du verre à moitié plein a-t-il encore frappé pour notre appréciation toute relative du premier film de Romain Quirot ? Énumérer ses nombreux défauts, y compris de sérieux problèmes de probabilité, ne nous aurait guère demandé un effort particulier. Pourtant, malgré ses imperfections indiscutables, Le Dernier voyage reste quand même un film fascinant en tant qu’esquisse cinématographique pas encore menée de main de maître, basée sur un univers fait de bric et de broc, quoique assez prometteuse pour lui accorder le bénéfice du doute. Souhaitons donc au réalisateur débutant dans le domaine impitoyable du long-métrage de trouver encore un peu plus sa voix lors de son hypothétique deuxième film. Le cinéma de genre français en aurait grandement besoin !

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