Critique : Le Cheik blanc

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Le Cheik blanc

Italie, 1952

Titre original : Lo sceicco bianco

Réalisateur : Federico Fellini

Scénario : Federico Fellini, Tullio Pinelli & Ennio Flaiano

Acteurs : Alberto Sordi, Brunella Bovo, Leopoldo Trieste, Giulietta Masina

Distributeur : Tamasa Distribution

Genre : Comédie

Durée : 1h27

Date de sortie : 24 juin 2020 (Reprise)

3/5

Est-ce que Le Cheik blanc est vraiment le premier film de Federico Fellini, comme le dit la bande-annonce de sa ressortie française ? On laissera le soin de trancher cette question aux puristes et autres experts en Histoire du cinéma italien. A eux de décider si Les Feux du music-hall, co-réalisé en 1950 avec Alberto Lattuada, remplit les prérequis pour être considéré comme un film fellinien. En tout cas, cette comédie-ci, tournée deux ans plus tard, affiche d’ores et déjà des caractéristiques – de ton, de style, de thèmes – , que l’on retrouvera ultérieurement dans les œuvres les plus marquantes du maître. On hésite toutefois à considérer ce film comme un indicateur infaillible de la grandeur artistique à venir du réalisateur de La dolce vita, de Huit et demi et de tant d’autres chefs-d’œuvre du Septième art.

Pour cela, il faudra s’armer d’un tout petit peu de patience, puisque les réalisations suivantes de Fellini, Les Vitelloni et surtout La strada, ont fait infiniment plus pour sa réputation internationale que ce divertissement plaisant. Avec Le Cheik blanc, on ne sait jamais tout à fait si l’on est encore dans le registre de la satire ou déjà dans celui de la farce. En effet, l’odyssée d’un couple fraîchement marié, venu de province pour visiter la capitale au cours d’une lune de miel où rien ne se passe comme prévu, s’apparente davantage aux comédies de vacances gentiment burlesques, comme le récemment découvert Paris est toujours Paris de Luciano Emmer, qu’aux univers si singuliers, entre rêve éveillé et cauchemar, dont Fellini détenait le secret.

© 1952 Studiocanal / Tamasa Diffusion Tous droits réservés

Synopsis : Ivan Cavalli est fier d’emmener sa jeune épouse Wanda à Rome, où il lui fera visiter tous les sites touristiques en compagnie de sa famille de notables. Même une audience auprès du pape est au programme ! Or, la mariée veut surtout profiter de son voyage de noces pour rencontrer en cachette l’acteur Fernando Rivoli, la vedette de romans-photos autour d’un cheik blanc, à qui elle a écrit des lettres passionnées. A la première occasion, elle se dérobe donc à la surveillance de son mari. Ce dernier courra dès lors les rues de la ville éternelle, afin de retrouver sa femme et, accessoirement, garder intact l’honneur de son nom.

© 1952 Studiocanal / Tamasa Diffusion Tous droits réservés

Sur la balançoire des fantasmes

On pourrait arguer que les producteurs de ce film pratiquent une forme guère subtile de tromperie sur la marchandise, puisque Alberto Sordi y est annoncé comme la vedette incontestable du récit. Or, ce comédien, qui allait devenir dans les années 1950 et ’60 une véritable icône du cinéma populaire italien, y tient à peine plus qu’un second rôle. Un second rôle d’une importance cruciale pour l’intrigue, certes. Mais son temps à l’écran s’avère finalement presque aussi anecdotique que celui de Giulietta Masina, une première fois vêtue ici des fripes de la prostituée Cabiria, cinq ans avant Les Nuits de Cabiria.

Cependant, le rôle de l’acteur assez ringard reflète parfaitement l’opinion ambiguë que Federico Fellini a exprimé à intervalles réguliers, tout au long de sa carrière, à l’égard des individus curieux qui peuplent le monde du cinéma. Même pas un macho sans scrupules, ce bellâtre dont rêvent toutes les jeunes filles de province est en fait le symbole parfait de la crise de la virilité que l’Italie traverse sans verve depuis des décennies. Il s’agit de l’archétype du séducteur aux pieds d’argile, à qui le scénario ne fait par ailleurs plus aucun cadeau, après son apparition joliment magique sur une balançoire suspendue dans la cime d’un arbre. C’est que son quotidien sous tutelle d’une épouse acariâtre doit sans doute être plutôt misérable, une fois que les projecteurs du plateau de tournage se sont éteints, qui subliment de temps en temps son existence.

© 1952 Studiocanal / Tamasa Diffusion Tous droits réservés

Opération « Sauvetage des apparences »

Au cœur de l’intrigue se trouve donc ce couple, qui aurait dû se conformer aux conventions à tel point de recevoir la bénédiction du pape, mais qui passe l’essentiel de son temps à emprunter des chemins séparés. Contre toute attente, c’est le mari, initialement décrit comme un homme autoritaire envers sa femme et servile avec les membres haut placés de sa famille, qui devient de plus en plus attachant, au fur et à mesure que la situation lui échappe. Leopoldo Trieste campe ce personnage rapidement désemparé, toujours à la traîne par rapport aux événements qui s’enchaînent à une vitesse de plus en plus folle autour de lui, avec un air de vulnérabilité touchant. La gêne incommensurable du mari potentiellement cocu se manifeste avec une réelle adresse narrative au fil des démarches de plus en plus maladroites qu’il entreprend, dans l’espoir de sortir à peu près indemne de cette aventure insensée pour son esprit étriqué de provincial bien comme il faut.

Quant à Wanda, l’interprétation de Brunella Bovo lui confère une innocence nourrie à l’eau de rose très difficile à garder intacte dans la jungle de la grande ville et, pire encore, dans celle des lieux de tournage à l’abri des regards, où règne en quelque sorte la loi du cirque. Dans ce microcosme, elle ne peut tout simplement pas trouver sa place, en dépit des beaux costumes vaguement érotiques qu’on lui donne et du discours de séduction nullement sincère grâce auquel Fernando Rivoli espère l’embobiner.

De cette incompatibilité entre la dure réalité de la vie et le doux mensonge de la fiction, Federico Fellini allait en faire l’un de ses chevaux de bataille. Peu importe que ce conflit prend racine dans une communauté d’artistes, au sens large, payés pour prendre des poses grotesques qui illustreront des magazines d’une trivialité assumée comme dans Le Cheik blanc ou dans d’autres groupes au fonctionnement sectaire, il ne peut y avoir ni de paix, ni d’harmonie durable chez Fellini, entre la tristesse intrinsèque de la vie et l’exubérance du faire semblant.

© 1952 Studiocanal / Tamasa Diffusion Tous droits réservés

Conclusion

En tant que premier film, discutable, de Federico Fellini, Le Cheik blanc laisse au mieux entr’apercevoir le génie futur du réalisateur. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit d’une œuvre déplaisante, bien au contraire ! L’éternelle histoire du poisson hors de l’eau y est conjuguée avec finesse, aussi parce que le scénario sait malicieusement jouer avec nos attentes. Car même si l’honneur des personnages principaux paraît sauf in extremis, les débuts cahoteux de leur vie conjugale commune risquent de laisser de sérieuses séquelles morales chez eux et peut-être également auprès du public d’il y a près de 70 ans, a priori guère habitué à tant de frivolité jouissive.

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