Critique : La fracture

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La fracture

France : 2021
Titre original : –
Réalisation : Catherine Corsini
Scénario : Catherine Corsini, Laurette Polmanss, Agnès Feuvre
Interprètes : Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmai, Aissatou Diallo Sagna
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h38
Genre : Drame, Comédie
Date de sortie : 27 octobre 2021

4.5/5

A 65 ans, Catherine Corsini est une réalisatrice bien installée dans le cinéma français. La réalisation de son premier long métrage de cinéma, Poker, date de 1987 et La fracture est son 11ème long métrage de cinéma. Même si la réalisatrice a embrassé plusieurs genres différents au cours de sa carrière, il y a un thème qui semble lui tenir particulièrement à cœur : les relations de couple. Après une première sélection dans la compétition officielle du Festival de Cannes en 2001, avec La répétition, Catherine Corsini a de nouveau obtenu cet honneur, 20 ans après, pour ce qui est, pour beaucoup, son meilleur film, La fracture. Que ce film soit revenu bredouille de Cannes paraitra incompréhensible à la grande majorité des spectateurs sauf s’ils sont conscients qu’il partait avec un très lourd handicap : ce film est très souvent très drôle ! Rédhibitoire sur la Croisette, quels que soient les membres des jurys.

Synopsis : Raf et Julie, un couple au bord de la rupture, se retrouvent dans un service d’Urgences proche de l’asphyxie le soir d’une manifestation parisienne des Gilets Jaunes. Leur rencontre avec Yann, un manifestant blessé et en colère, va faire voler en éclats les certitudes et les préjugés de chacun. À l’extérieur, la tension monte. L’hôpital, sous pression, doit fermer ses portes. Le personnel est débordé. La nuit va être longue…

Toutes les fractures

L’hiver 2018-2019. La fracture : celle au sein du couple formé par Raf, dessinatrice de BD, et Julie, éditrice de BD, l’éditrice de Raf. Raf est toujours amoureuse mais Julie ne supporte plus son comportement et lui annonce qu’elle va la quitter. La fracture : celle que Raf se fait au coude en poursuivant Julie dans la rue et qui va la conduire à l’hôpital. La fracture, celle qui règne au sein de la société française et qui, en novembre 2018, vient de donner naissance au Mouvement des Gilets jaunes. La fracture, celle qui existe entre le manque de moyens octroyé à l’hôpital public français par les gouvernements successifs et l’extraordinaire dévouement dont font preuve, malgré tout, les personnels soignants pour soigner au mieux les malades. La fracture, le film de Catherine Corsini qui a décidé de prendre à bras le corps, dans un seul et même film, toutes les déclinaisons de ce mot dont les définitions vont de « rupture d’un os » à « clivage au sein d’un groupe », une tâche qui parait a priori insurmontable mais dont la réalisatrice s’acquitte avec un exceptionnel brio, rendant une copie qui s’avère à la fois émouvante, très instructive et drôle, très drôle !

Les Urgences, le lieu idéal

Souhaitant réaliser un film sur ce qui se passe dans la société française d’aujourd’hui, un film s’intéressant notamment aux fractures sociales, Catherine Corsini n’arrivait pas à trouver ce qui, pour elle, pouvait être la meilleure façon d’aborder ces thèmes. Le 1er décembre 2018, une chute l’ayant amenée aux Urgences de l’hôpital Lariboisière lui a donné la réponse, une évidence s’imposant alors à elle : le service des Urgences d’un hôpital est le lieu par exemple permettant de faire se rencontrer des gens venant de milieux sociaux totalement différents, voire même antagonistes. Qui plus est, l’hôpital est un exemple caractéristique et souvent tragique du triste état dans lequel se trouvent, par manque de moyens, la plupart des services publics dans notre pays. Où, ailleurs qu’aux urgences d’un hôpital, était-il possible de faire se rencontrer Raf, dessinatrice de BD gentiment bobo, et Yann, chauffeur-routier venu de Nîmes à Paris dans le cadre de son travail et qui en a profité pour participer à une manifestation des gilets jaunes au cours de laquelle il a été blessé par les forces de l’ordre ? Les faire se rencontrer, les faire discuter, les faire s’insulter l’un l’autre, les faire se rapprocher, les faire se comprendre. L’hôpital, lieu de rencontres improbables mais aussi lieu d’apaisement : lorsqu’un couple est en crise et qu’un membre de ce couple se retrouve à l’hosto, les conditions sont souvent remplies pour que s’installe, au moins provisoirement, une trêve dans le conflit. C’est ainsi que Julie qu’on voyait, au début du film, être abreuvée de textos remplis de qualificatifs tout sauf aimables de la part de Raf, met sa rancœur dans sa poche et son mouchoir par dessus afin de s’occuper de celle qui, après tout, est toujours sa compagne. Quant à la description d’un service d’Urgences complètement débordé, elle est (malheureusement !) quasiment documentaire, avec le manque de lits et le manque de personnel, mais aussi le dévouement sans faille de ce personnel, incarné ici par l’infirmière Kim, capable d’enchainer 6 gardes consécutives afin de remplacer celles et ceux qui, pour des raisons budgétaires, ne sont pas là.

Bredouille !!!

La fracture aurait pu n’être qu’un film particulièrement instructif et intelligent sur les problèmes de l’hôpital public suite à la politique délibérément menée depuis des années par les gouvernements successifs ainsi que sur la fracture sociale ayant donné naissance au mouvement des Gilets jaunes. Instructif, également, sur les violences policières. Et touchant lorsqu’il aborde le domaine des relations humaines. Tout cela aurait déjà suffi à faire de La fracture un film particulièrement recommandable. Mais ce n’est pas tout : La fracture est également un film au montage particulièrement bien rythmé et qui offre aux spectateurs un très grand nombre de scènes d’une drôlerie irrésistible, grâce, en particulier, à une Valeria Bruni Tedeschi absolument époustouflante.

Vous aurez compris que La fracture est un film totalement enthousiasmant. Ce film était en compétition au dernier Festival de Cannes et il est reparti bredouille. Pourquoi, à votre avis ? Une question, en réponse à votre question : à part Mash, Palme d’or en 1970, avez vous vu d’autres Palmes d’or à la vision desquelles on rit souvent à gorges déployées ? C’était couru d’avance : bien qu’il ait été le seul film vraiment enthousiasmant au sein de la Sélection des films en compétition et malgré toutes ses qualités, La fracture ne pouvait pas prétendre repartir avec la Palme d’or et, tant qu’à attribuer celle-ci à une réalisatrice, le jury a choisi de récompenser Titane, parfait mélange de bêtise et de médiocrité. Mais alors, pourquoi pas un Prix d’interprétation ? Le Prix d’interprétion a été attribué à Renate Reinsve, la comédienne norvégienne de Julie (en 12 chapitres), ce qui, en soi, n’est pas un énorme scandale, juste une injustice flagrante, tant ce Prix aurait dû revenir à Valeria Bruni Tedeschi. Ou, pourquoi pas, conjointement à Valeria Bruni Tedeschi et Aissatou Diallo Sagna, aide-soignante de profession, choisie pour interpréter le rôle de l’infirmière Kim et qui s’avère excellente comédienne. A leurs côtés, Marina Foïs et Pio Marmai font de très bonnes prestations dans les rôles de Julie et de Yann. On notera que la photographie est l’œuvre de Jeanne Lapoirie, celle-là même qui, grâce à son talent, avait été la seule à sauver d’un naufrage complet Les estivants, le pitoyable film de … Valeria Bruni Tedeschi.

Conclusion

Lorsqu’on parle sérieusement de sujets graves tels que la déliquescence de l’hôpital public, la fracture sociale et les violences policières, il n’est pas interdit d’alléger le propos en accompagnant ces propos de belles tranches d’un comique parfaitement assumé. C’est le choix qu’a fait Catherine Corsini dans La fracture et cela lui a peut-être couté la Palme d’or. Par contre, les spectateurs ne peuvent que se réjouir en retrouvant dans un seul et même film intelligence, profondeur, émotion, prestation de haute volée des acteurs et des actrices et formidable drôlerie.

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