Critique : Heureux comme Lazzaro

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Heureux comme Lazzaro

Italie : 2018
Titre original : Lazzaro Felice
Réalisation : Alice Rohrwacher
Scénario :  Alice Rohrwacher
Interprètes :  Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Nicoletta Braschi
Distribution : Ad Vitam
Durée : 2h07
Genre : drame
Date de sortie : 7 novembre 2018

4/5

Arrivée en 2011, à l’âge de 30 ans, à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise avec son premier long métrage, Corpo celeste, la réalisatrice italienne Alice Rohrwacher a obtenu le Grand Prix au Festival dès son deuxième film, Les Merveilles, en 2014. Cette année, le troisième, Heureux comme Lazzaro, était lui aussi en compétition et Alice Rohrwacher est repartie, cette fois ci, avec le Prix du scénario.

Synopsis : Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna.
La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sont exploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro.
Un été, il se lie d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Une amitié si précieuse qu’elle lui fera traverser le temps et mènera Lazzaro au monde moderne.

 

Un film en deux parties

Dans un coin de la campagne italienne, plusieurs familles vivent dans un petit hameau qui semble coupé du reste du monde. En quelle année se déroule la première partie du film, difficile de le dire avec précision, même si on s’aperçoit vite que le téléphone mobile existe déjà. Mais, après tout, quelle importance ? L’essentiel, c’est de voir ces paysans au travail, s’entassant dans des baraquements dans lesquels les ampoules électriques sont moins nombreuses que les pièces, tout cela pour, au bout du compte, avoir des dettes envers celle qui les exploite, la marquise Alfonsina De Luna. Parmi ces véritables serfs, le jeune Lazzaro est un cas à part : avec lui, les exploités deviennent exploiteurs à leur tour, ne manquant pas une occasion d’utiliser à leur profit sa naïveté, sa totale disponibilité et son incroyable bonté. Jusqu’au jour où Lazzaro va se lier d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Un lien qui va entrainer un important saut dans le temps et un transfert de ces paysans dans un monde citadin après qu’ils aient appris ce que la marquise leur cachait depuis longtemps : l’abolition du métayage et l’existence de contrats régis par la loi. Plongés brutalement, sans aucune préparation, dans le monde de la modernité, rejetés dans la périphérie d’une grande ville, ces anciens exploités des campagnes ne sont-ils pas une proie facile pour une autre forme d’exploitation, plus insidieuse mais tout aussi révoltante ?

 

Une face rationnelle et sociale, une face qui s’apparente à un conte

C’est en transformant en conte un fait divers qui s’est déroulé en Italie dans les années 80 et impliquant réellement une marquise, que Alice Rohrwacher a choisi de traiter un sujet éminemment politique : la fin de la civilisation paysanne et la migration vers les villes de centaines de milliers de paysans pas vraiment préparés à la nouvelle civilisation dans laquelle ils plongeaient, la civilisation de la modernité. Pour accompagner ce voyage dans la géographie italienne et dans le temps, elle a créé ce personnage de Lazzaro, sorte de saint laïc dont la bonté n’a d’égale que la naïveté. A ce sujet, on ne peut manquer de remarquer que dans les deux films italiens en compétition au dernier Festival de Cannes, Dogman et Heureux comme Lazzaro, les personnages principaux, Marcello et Lazzaro, ont comme point commun d’être particulièrement naïfs. Faut-il voir là un clin d’œil au résultat des dernières élections italiennes qui a vu la majorité des italiens porter au pouvoir l’alliance du Mouvement 5 étoiles avec l’extrême-droite ?

Heureux comme Lazzaro mélange avec bonheur une face rationnelle et sociale et une face qui l’apparente à un conte. Concernant la première face, on retiendra tout particulièrement un dialogue entre Tancredi et sa mère, la marquise Alfonsina De Luna : à Tancredi qui lui dit que Lazzaro, lui, n’exploite personne, la marquise rétorque que c’est faux, qu’il est impossible de n’exploiter personne. On retiendra aussi cette scène terrifiante de la deuxième partie qui voit une horde de migrants participer à une enchère au moins offrant pour trouver un travail. L’image de malheureux, exploités par la classe dirigeante, et qui sont contraints de rentrer dans un jeu dans lequel ils seront forcément perdants. La deuxième face, celle du conte, permet d’adoucir le propos, de faire passer la pilule politique en douceur. On y retrouve un loup prêt à dévorer Lazzaro mais qui est repoussé par l’odeur de la bonté. On y retrouve surtout Lazzaro, qui, physiquement, n’a absolument pas changé retrouver les autres personnages qui eux ont subi les transformations dues aux années (10 ? 15 ? 20 ?) du saut dans le temps.

Le retour de Nicoletta Braschi

Originaire d’un village de l‘Ombrie, proche de Orvieto, Adriano Tardiolo, l’interprète du rôle de Lazzaro, poursuit des études d’économie en vue de devenir comptable alors que ses parents sont ouvriers agricoles. Poursuit ou poursuivait car sa première apparition sur des écrans de cinéma est tellement convaincante qu’on peut se demander si ce n’est pas plutôt le métier de comédien qui lui tend les bras. A ses côtés, une distribution de qualité mais peu de comédiens de grande notoriété, les exceptions étant Nicoletta Braschi, de retour sur les écrans après 14 ans d’absence et qui interprète le rôle de la marquise, Alba Rohrwacher, la sœur de la réalisatrice, et le très international Sergi Lopez.

Pour la photographie, réalisée en Super-16, ce qui contribue à donner un côté intemporel au film, Alice Rohrwacher a retrouvé Hélène Louvart qui l’avait déjà accompagnée sur Corpo celeste et Les merveilles. Une Directrice de la photographie française et de très grande réputation, dont on pourra en mars prochain apprécier à nouveau la qualité du travail dans Petra, l’excellent film de Jaime Rosales.

Conclusion

Comme tout grand pays de cinéma qui se respecte, l’Italie a souvent brillé dans des films politiques et sociaux très réalistes et dans des films faisant davantage appel à une veine allégorique, voire fantastique. Dans Heureux comme Lazzaro, Alice Rohrwacher a pris le risque de mélanger le conte à la réalité du drame social. On se félicite de constater que cette forme de pari s’avère gagnante !

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