Critique : A l’heure des souvenirs

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A l’heure des souvenirs

Grande-Bretagne : 2017
Titre original : The sense of an ending
Réalisation : Ritesh Batra
Scénario : Nick Payne d’après le roman de Julian Barnes
Interprètes : Jim Broadbent, Charlotte Rampling, Harriet Walter
Distribution : Wild Bunch Distribution
Durée : 1h48
Genre : Drame
Date de sortie : 4 avril 2018


Note : 4/5

Il est probable que le nom de Ritesh Batra n’évoque rien chez la plupart des cinéphiles français. Par contre, si vous lancez The lunchbox dans une conversation réunissant un échantillon de ces mêmes cinéphiles, vous aurez aussitôt un grand nombre de visages qui vont s’éclairer tellement ce film indien sorti fin 2013 avait enchanté le public. Eh bien, Ritesh Batra, c’est le réalisateur de The lunchbox et A l’heure des souvenirs est son nouveau film, adapté de « Une fille qui danse », un roman de Julian Barnes paru en 2011.

Synopsis :Dans son magasin de photographie de Londres, Tony Webster mène une existence tranquille. Sa vie est bousculée lorsque la mère de Veronica Ford, son premier amour, lui fait un étonnant legs : le journal intime d’Adrian Finn, son meilleur ami du lycée. Replongé dans le passé, Tony va être confronté aux secrets les plus enfouis de sa jeunesse. Les souvenirs sont-ils le pur reflet de la réalité ou autant d’histoires que nous nous sommes racontées ?


Retour vers le passé

Manifestement, Ritesh Batra entretient une relation particulière avec le bon vieux courrier à l’ancienne : dans The lunchbox, l’intrigue tournait autour de missives accompagnant des plats cuisinés, et, dans A l’heure des souvenirs, c’est une lettre envoyée par un notaire, puis d’autres lettres plus anciennes revenues à la surface, qui vont venir bouleverser la vie tranquille d’un sexagénaire londonien.  Divorcé et à la retraite, Tony Webster occupe ses journées en tenant un magasin d’appareils photo d’occasion tout en continuant d’entretenir de bonnes relations avec Margaret, son ex-épouse, et en accompagnant sa fille Susie à ses séances de préparation à un accouchement qui ne saurait tarder. Vieux bougon solitaire, Tony ne se montre pas particulièrement amène lorsque le facteur lui remet le courrier envoyé par un notaire et lié au décès de Sarah, la mère de Veronica, son premier amour de jeunesse. Un courrier qui lui fait part d’un héritage : le journal intime d’Adrian, lequel, près de 50 ans auparavant, était le meilleur ami de Tony et qui, encore très jeune, s’est suicidé.

Si ce courrier fait remonter un tas de souvenirs dans l’esprit de Tony, il n’en reste pas moins que ce journal intime semble bien être détenu par Veronica, laquelle ne semble pas prête du tout à honorer le souhait de sa mère. Tout en multipliant les actions lui permettant de reprendre contact avec son amour de jeunesse, Tony s’épanche auprès de Margaret et lui raconte tout un pan de sa vie qu’il n’avait jamais abordé avec elle : ses années de lycée, la bande des 4 qu’il formait avec Adrian, Alex et Colin, cette Veronica dont il était amoureux et qui l’a quitté pour Adrian, Sarah, la séduisante mère de Veronica. Au niveau du film, cela donne une alternance très habile de scènes prenant place dans le présent et de scènes extirpées de la mémoire du narrateur.

 

L’histoire d’une vie

 Ritesh Batra affirme que, en prenant un thé avec Julian Barnes, ce dernier lui aurait dit, concernant l’adaptation à venir de son roman,  « Allez-y, trahissez-moi ! ». Il n’y a pas de raison de mettre en doute la parole du metteur en scène, d’autant plus qu’il est de notoriété publique que, par exemple, la manière la plus efficace et la plus intelligible de conduire un récit est loin d’être toujours la même dans un roman et dans un film. En tant que spectateur, on conçoit que le procédé consistant à mélanger le présent avec des scènes de souvenirs faisant l’objet de flashbacks, procédé donnant le plus souvent un excellent résultat au cinéma, soit beaucoup plus difficile, voire impossible, à utiliser dans le cadre d’un roman. C’est ainsi que, contrairement au film qui ne cesse de passer du présent au passé et vice versa,  le roman de Julian Barnes se divise en deux parties distinctes : le passé, fin des années 60 ; le présent, quelques 40 à 50 ans plus tard.

A l’heure des souvenirs est donc l’histoire d’une vie, une vie construite et racontée par celui qui l’a vécue et qui va se trouver confrontée à la même vie construite par les autres. En effet, ce qui provient de la mémoire de Tony est forcément incomplet, est forcément déformé, la mémoire ayant une tendance naturelle à ne conserver que ce qui lui est agréable et à mettre le reste de côté : « Nos souvenirs ne sont pas toujours ce qu’on a vu ». Même si ce bain dans des souvenirs mis à mal par des éléments nouveaux apportés par le présent n’est pas toujours agréable pour Tony, il n’empêche que la façon sympathique dont il reçoit son facteur à la fin du film tend à prouver les bienfaits de l’ouverture aux autres et de l’aptitude à faire face à la vérité des faits, fussent-ils désagréables.

 

La fine fleur du cinéma britannique

Le personnage de Tony est présent dans presque tous les plans du film. Il est interprété par deux comédiens différents, Billy Howle étant le jeune Tony et Jim Broadbent le Tony sexagénaire. Jim Broadbent fait partie des très grands comédiens britanniques et sa savoureuse prestation est en tout point excellente. Face à lui, on retrouve Charlotte Rampling, très à l’aise dans un de ces rôles de femme énigmatique qui sont un peu sa marque de fabrique. On retrouve Harriet Walter, une actrice de Downton Abbey, dans le rôle de Margaret, l’ex de Tony, et Michelle Dockery, Mary Crawley dans la même série, dans celui de Susie, la fille de Tony et de Margaret. Quant à la musique, comme pour The lunchbox, c’est une création du compositeur allemand Max Richter, avec quelques clins d’œil vers des chansons des sixties, interprétées, entre autres, par the Troggs, Irma Thomas, Count Five, Donovan et Nick Drake. Après tout, A l’heure des souvenirs est aussi un film sur la nostalgie relative à la jeunesse qu’on a laissée derrière soi et la musique tient très souvent une part prépondérante dans cette nostalgie !


Conclusion

Que ce soit en Inde, son pays d’origine, ou en Angleterre, Ritesh Batra a l’art de mettre en lumière ce qu’il y a au plus profond chez ses personnages et de les rendre attachants sans pour autant verser dans la mièvrerie. Avec l’aide d’une distribution de haute volée, il nous entraine avec bonheur sur les chemins de la nostalgie et sur le rôle subjectif de la mémoire dans la construction de nos souvenirs.

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