Cannes 2016 : Poésie sans fin – Quinzaine

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Poésie sans fin

France, Italie, Japon, 2016
Titre original : Poesia sin fin
Réalisateur : Alejandro Jodorowsky
Scénario : Alejandro Jodorowsky, Roberto Leoni
Acteurs : Brontis Jodorowsky, Adan Jodorowsky …
Distribution : Le Pacte
Durée : 2h08
Genre : Drame, Biopic, Fantastique
Date de sortie : Prochainement

 

Note : 4,5/5

Avant de revenir sur Poésie sans fin, petite piqûre de rappel sur l’œuvre du franco-chilien qui vient de souffler ses 87 bougies. Le cinéma n’est en effet pas le seul atout du maître, qui est aussi romancier, acteur, mime, ou encore scénariste de bandes-dessinées. Sa B.D. phare, L’incal, est née de la frustration liée à l’échec de l’adaptation de Dune (voir le très bon documentaire Jodorowsky’s Dune) et a nourrit la culture pop’ de ces trente dernières année. Toute l’œuvre de Jodorowsky est imprégnée d’une poésie singulière, d’une dimension métaphysique. Son premier film, Fando et Lis (1968) provoqua ainsi un scandale lors de sa sortie au Mexique, comme l’aime le rappeler son réalisateur. Ses deux films suivants, les plus connus, proposent une relecture de la bible sous forme de western – c’est en tout cas ce dont je me souviens – (El topo, 1971) et un délire psychédélique indescriptible et incontournable (La montagne sacrée, 1973). Après l’aventure Dune, Jodorowsky signera deux films dans les années 80 : Tusk (1981) et Santa sangre (1989). Mais après la douloureuse expérience du tournage du Voleur d’arc-en-ciel (1990), commande d’un producteur américain, Jodo’ ne va plus tourner pendant plus de vingt ans. Son retour sur grand écran a eu lieu en 2013, avec le sublime La danza de la realidad. Alejandro Jodorowsky portait à l’écran son livre éponyme, dans lequel il raconte son enfance à travers le prisme de son père. La danza de la realidad est pour moi un chef d’œuvre ; Poésie sans fin est-il du même acabit ?

Réalisme magique

Le film commence là où La danza se termine. On revoit d’ailleurs des images de ce final, comme si Jodorowsky voulait nous rappeler l’ambiance de son film précédent ; il faut dire que l’on replonge tout de suite dans ce temps qui semble n’appartenir à aucune époque. On y retrouve le père qui veut paraître violent, la mère qui ne parle qu’en chantant, leur fils Alejandro, le nain déguisé (cette fois-ci en Hitler) qui attire les clients dans leur boutique de tissus … Le décor n’est pas une reproduction détaillée d’une époque révolue, comme on le verrai dans un film hollywoodien. Pour des raisons que l’on devine techniques (le budget du film est assez bas), mais surtout artistiques : ce faisant, Jodorowsky nous annonce ce qui nous attend – non pas une reproduction fidèle de la réalité, mais une vision théâtrale, purement poétique, de sa jeunesse.

Poésie qui, comme peut le laisser deviner le titre, est le thème central du film. En effet, alors que l’on aurait pu s’attendre à un récit de sa vie d’adolescent/jeune adulte, le réalisateur veut seulement raconter comment il est devenu ce qu’il avait toujours voulu être : non pas médecin, comme le voulait son père, mais poète. On ignore totalement l’âge du protagoniste, qui est joué par deux acteurs différents : un qui semble avoir 15 ans, l’autre qui semble en avoir 35. Preuve de plus que ici le temps « réel » n’est pas important . Notons que le père d’Alejandro et Alejandro lui même sont joués par deux des fils de Jodorowsky ; l’Art, encore et toujours une affaire de famille chez les Jodorowsky !

Poésie infinie

Le long-métrage parle essentiellement de la Poésie, cette façon d’apprécier la vie qu’ont les artistes. La soif de Jodorowsky pour nous raconter sa définition du mot “vivre” est telle que les scènes s’enchaînent parfois de manière abrupte pour nous en montrer le plus possible en deux heures. Cette forme qui peut paraître décousue est parfois déstabilisante, maladroite, mais ne gâche en rien le plaisir ressentit devant tant d’idées. Certains artifices apparaissent parfois volontairement à l’écran, mais cette conscience du fait de n’être “qu’un” film est profondément touchante. On y retrouve évidemment de nombreuses obsessions de Jodorowsky : la saleté (littéralement) de l’argent, le tarot (une séquence qui arrive un peu comme un cheveu – blanc – sur la soupe), le monde du cirque avec ses personnages au physique singulier, la violence graphique … Cette abondance d’images, de thèmes, de sons nous prouvent que Alejandro Jodorowsky a gardé toute son énergie : même si le tournage l’a physiquement affaibli, comme il le soulignera après la projection, il a gardé sa malice, tout en devenant plus sage avec le poids des années. Élément “poétique” parmi d’autres : le vieux Jodorowsky côtoie à certains moments son alter-ego juvénile, comme c’était déjà le cas dans La Danza de la realidad. C’est l’occasion pour le réalisateur de démontrer la sagesse qu’il a acquis au fil des années, lorsque par exemple il donne, face caméra, sa vision de la mort. Ce procédé pourrait paraître quelque peu superficiel, mais l’homme est tellement sincère dans ses propos que l’on y adhère. Cette sincérité débordante qui gomme d’éventuels défauts est valable pour le film dans son ensemble. Car parfois à vouloir trop en dire Jodorowsky se perd, parfois des plans sont ratés, parfois le jeu théâtral des acteurs sonne faux. Qu’importe, Jodo’ est tellement généreux (dans la forme comme dans le fond) qu’il est difficile de lui en vouloir. Les défauts sont d’ailleurs souvent liés à des limitations budgétaires : on sent que le film a eu un budget serré. Une partie a ainsi été financée grâce au crowfunding, des milliers de personnes ayant décidé d’aider le maître à finir la production du film. Mais le faible budget, comme d’habitude chez les artistes, a décuplé la créativité.

Conclusion

Vous l’aurez compris, Poésie sans fin est un concentré d’imaginaire pur, de philosophie, de poésie, bref un film à l’image de son auteur : généreux et génial. La bonne nouvelle ? Il envisage plusieurs suites à cette autobiographie magique … Ainsi qu’une suite à El topo, “les enfants d’El Topo”. A 87 ans, Alejandro Jodorowsky n’a pas perdu le goût de la création cinématographique, bien au contraire !

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