Berlinale 2020 : Un printemps à Hong Kong

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Un printemps à Hong Kong

Hong Kong, Chine, 2019

Titre original : Suk Suk

Réalisateur : Ray Yeung

Scénario : Ray Yeung

Acteurs : Tai Bo, Ben Yuen, Au Ga Man Patra, Lo Chun Yip

Distributeur : Epicentre Films

Genre : Drame

Durée : 1h32

Date de sortie : 9 juin 2021

3,5/5

Un grand merci à ce film hong kongais, présenté dans le cadre du Panorama au Festival de Berlin, d’avoir tant soit peu restauré notre espoir que la vie sentimentale et sexuelle d’un gay n’est pas obligée de s’arrêter à la quarantaine ! Il s’agit même du film le plus touchant et doucement euphorisant en la matière que nous avons vu depuis Gerontophilia de Bruce LaBruce, sorti il y a six ans. Contrairement aux opposés qui s’y attiraient au delà du fossé des générations, Suk Suk conte une rencontre bien plus ordinaire entre deux hommes en âge de partir à la retraite. Pour son troisième long-métrage, l’exploit du réalisateur Ray Yeung consiste à adopter imperceptiblement le rythme de ses personnages. Il s’emploie à ne pas brusquer les choses, ni les conventions sociales propres à Hong Kong, à cheval entre les mœurs plutôt répressives de la Chine continentale et un code moral davantage inspiré de l’occident.

Car le fond collectif d’une homosexualité condamnée à la clandestinité y est au moins aussi important que le sort personnel d’une orientation sexuelle vécue en cachette, tout en menant une existence familiale conforme aux normes. Que le ton du film ne dresse à aucun moment artificiellement l’un de ces styles de vie contre l’autre, qu’il ne cherche jamais à forcer le trait entre la romance gaie tardive et une vie de couple rongée par la routine, cela en fait un représentant particulièrement beau et juste du cinéma gay international, toujours désespérément en quête de renouveau !

© New Voice Film Productions / Films Boutique Tous droits réservés

Synopsis : Il serait temps pour le chauffeur de taxi consciencieux Pak de partir à la retraite. Or, il préfère continuer à sillonner les rues de Hong Kong et à fréquenter occasionnellement les lieux de drague gaie. A cette occasion, il rencontre Hoi, un père divorcé qui a d’ores et déjà mis un terme à son parcours professionnel. Les deux hommes commencent à se fréquenter plus régulièrement, sans le dire à leurs familles respectives. Pendant toute leur vie, ils ont en effet caché leur attirance pour les membres du même sexe, une habitude qu’ils n’éprouvent aucune urgence de changer à cause de leur relation naissante.

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Dirty Papy

Quand on aura atteint l’âge de la retraite, peu importe en quelle année de vie précise elle aura lieu, on imagine qu’il sera assez difficile de rompre avec toutes sortes d’habitudes et de petits arrangements avec soi-même qui auront contribué en grande partie à vivre jusqu’à ce point de passage honorable d’une vie. Ainsi, le personnage principal de Suk Suk a d’emblée l’air d’une bête routinière, qui affiche invariablement le même stoïcisme, peu importe qu’il nettoie tous les matins son taxi, qu’il va chercher sa petite-fille à l’école ou qu’il commente sans états d’âme les ragots et autres remontrances qui sortent de la bouche de sa femme, a priori aussi fatiguée de la vie que lui. Cette vie si ordinaire des premières minutes du film bascule vers autre chose, à la fois moins parfait et plus passionnel, quand il devient évident que Pak est avant tout un locataire résigné du placard. Il n’en fait pas un drame et n’est pas non plus prêt à tout mettre en question, juste parce qu’il a enfin trouvé celui qui aurait pu être l’homme de sa vie. Sa rencontre initiale avec Hoi a même quelque chose de passablement sordide, en raison du décalage manifeste entre les intentions de l’un et de l’autre. Tandis que le chauffeur infatigable conçoit les toilettes publiques comme seul endroit pour vivre sa sexualité de la façon la plus anonyme possible – avons-nous tort de penser que le passage obligé pour le cinéma gay dans ce drôle d’endroit pour une rencontre mériterait d’être étudié de plus près ? – , son futur compagnon discret aspire à un lien plus convivial.

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Je saurai où te trouver quand je serai mort

Débute alors cet éternel jeu de cache-cache, évoqué à travers des moyens filmiques particulièrement saisissants, qui tente en vain d’abolir l’incompatibilité entre le beurre et l’argent du beurre, entre la poursuite d’une vie de famille coutumière et des moments d’une intimité plus coquine, volés au prix de mensonges, qui ne font qu’accroître le malaise né du faire-semblant à longue haleine. Puisque le réalisateur s’était laissé inspirer pour le scénario des récits de gays d’un certain âge sur leur vie sexuelle et sociale dans l’ancienne enclave britannique, il leur renvoie en quelque sorte l’ascenseur à travers l’inclusion du combat associatif en faveur d’une maison de retraite réservée à des pensionnaires gays. Or, pareil sectarisme ne trouve pas forcément d’écho dans Suk Suk, grâce à l’incertitude persistante avec laquelle les deux personnages principaux envisagent leur avenir commun. Nul besoin de quelque revirement tragique que ce soit, la narration pèse avec une finesse hautement appréciable le pour et le contre de ce nouveau et sans doute dernier chapitre potentiel d’une vie, vécue désormais en toute franchise. Les réponses possibles auxquelles elle nous confronte n’ont rien de définitif. Elles nous rappellent juste que la vie de couple ne va jamais de soi, qu’elle demande un certain nombre de sacrifices et de compromis – tous les deux des indicateurs sans faille de courage – pour pouvoir fonctionner, peu importe l’âge où le coup de foudre surgit.

© New Voice Film Productions / Films Boutique Tous droits réservés

Conclusion

Certes, on était un peu en manque de belles histoires gaies avant d’aller voir Suk Suk (à noter que nous ne savions strictement rien sur le film avant de nous rendre à sa première projection berlinoise, privilège de festivalier exempt d’avis au préalable oblige). Pourtant, le film de Ray Yeung existe pleinement par lui-même, grâce à son approche éminemment nuancée d’une histoire de seniors amoureux qui aurait aisément pu virer à l’eau de rose très rose. Par ailleurs, il n’y est jamais ouvertement question d’amour, mais davantage d’un lien affectif plus fort que toutes les convenances sociales de la Chine contemporaine réunies.

Le jeu généreux de Tai Bo et de Ben Yuen dans les rôles principaux est alors à l’image du film : libre de toute affection et en même temps peut-être trop réfléchi pour accéder au statut d’hymne incontestable et au volume incontestablement fort de la cause gaie. Parfois, nous préférons toutefois haut la main ces histoires au calme condensé à celles, qui cèdent sans la moindre résistance au penchant pour l’emphase et la fin soit heureuse à tout prix, soit néfaste jusqu’à nous rendre temporairement dépressifs dont souffre généralement le cinéma gay depuis trop longtemps.

3 Commentaires

  1. Ce film est magnifique ! La pudeur des personnages, la simplicité de l’histoire son réalisme, les questions sociales qu’elle soulève, le jeu des acteurs, les seconds rôles de Dior et Chiu !! Vraiment une grande réussite, ca fait longtemps que je n’avais pas était aussi émue

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