Albi 2022 : Ailleurs si j’y suis

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Ailleurs si j’y suis

Belgique, Luxembourg, Suisse, 2022
Titre original : –
Réalisateur : François Pirot
Scénario : François Pirot
Acteurs : Jérémie Renier, Suzanne Clément, Samir Guesmi et Jean-Luc Bideau
Distributeur : Ufo Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h43
Date de sortie : 29 mars 2023

3/5

Il paraît que l’acteur belge Jérémie Renier – invité d’honneur de la 26ème édition du Festival d’Albi et déjà avec une filmographie imposante à son actif, malgré son jeune âge de bientôt 42 ans – envisage de prendre du recul par rapport à sa carrière devant la caméra, afin de se consacrer à la cause environnementale. Alors qu’on lui souhaite le meilleur pour ses nouveaux projets, on ne peut qu’être intrigué par la drôle de coïncidence entre ce choix de changement de vie et la trajectoire similaire de son personnage dans ce film belge plutôt jubilatoire. Décidément, Ailleurs si j’y suis est bien un film dans l’air du temps, acquis corps et âme à la volonté de tout larguer et pourtant assez lucide pour savoir que le rêve du retour aux sources naturelles ne durera qu’une nuit ou deux.

Pour son deuxième long-métrage de fiction, dix ans après Mobile Home, le réalisateur François Pirot observe avec une malice plaisante le jeu de dominos existentiels qui tombent, l’un après l’autre, suite à l’idée un peu folle du protagoniste d’aller vivre dans la forêt. Dès lors, les deux qualités principales de son film sont le malin plaisir de conjuguer cette prémisse astucieuse à travers l’impact qu’elle a sur la vie des autres, ainsi que, justement, le soin apporté à la demi-douzaine de personnages secondaires, investis d’une importance dramatique presque équivalente à celle du héros un peu trop inspiré par les écrits de Thoreau. Par conséquent, des acteurs tels que Jean-Luc Bideau, Jackie Berroyer et dans une moindre mesure Samir Guesmi, souvent cantonnés dans des rôles dans lesquels ils sont obligés de rester en retrait, peuvent s’impliquer joyeusement dans cette fable au charme désarmant.

© 2022 Roxanne Peguet / Tarantula / Box Productions / Ufo Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Accablé par ses responsabilités professionnelles de chef de chantier et par son couple qui bat sérieusement de l’aile, Mathieu se sent au bout du rouleau. Il n’arrive plus à dormir, ni à éprouver du plaisir dans l’interaction avec ses proches qui lui veulent pourtant globalement du bien. Un dimanche après-midi, alors qu’il devrait confronter avec sa femme leur fille afin de lui annoncer qu’ils vont se séparer, il suit un cerf dans la forêt à côté de son pavillon luxueux. L’animal l’amène au bord d’un étang paradisiaque, où Mathieu se sent en paix pour la première fois depuis longtemps. Il décide d’y rester. Ce choix étonnant mettra durablement en émoi son entourage.

© 2022 Roxanne Peguet / Tarantula / Box Productions / Ufo Distribution Tous droits réservés

Se baigner ou aller bosser

Est-ce que le quotidien vous pèse, avec ses routines cycliques et ses obligations auxquelles vous ne savez plus vous soustraire ? Dès sa sortie en salles au printemps prochain, courez voir Ailleurs si j’y suis alors. En même temps, on ne peut qu’espérer que la morosité ambiante, certes propre à la fin de la saison automnale, se sera un peu dissipée d’ici là ! Peu importe au fond, puisque cette production belge étrangement dépaysante pose des questions bien plus essentielles que celles qui vous permettraient de vous remettre d’un simple coup de blues passager. Comment faire, en effet, quand il n’y a plus d’échappatoire aux éléments de la vie courante qui vous étouffent, quand l’étau se resserre autour de vous et vous vous retrouvez à tourner en rond dans un cercle vicieux, à l’image de Mathieu, pris au piège de sa tondeuse qui dessine des ronds de plus en plus difformes sur le gazon ?

Le fait de changer de format et d’environnement s’avère alors être un leurre, propice à toutes sortes de revirements rocambolesques, mais aussi passablement cruel dans sa façon de mettre tout le monde devant ses propres contradictions. Dans ce contexte d’une mise en question généralisée, l’humour doucement cinglant du scénario permet de démonter les certitudes, de donner libre cours aux lubies rarement suivies d’actes concrets. En effet, le paradoxe du paramètre géographique s’installe très tôt ici, le rêve d’un départ au loin s’arrêtant souvent au coin de la rue. Ainsi, l’envie de rupture radicale de la femme de Mathieu, à qui Suzanne Clément confère un fin aspect névrosé, connaît quelques soucis à l’allumage. Après s’être appropriée le voyage en terre amazonienne de son amant, elle finit par se retrouver sensiblement plus proche de chez elle, prise d’un fou rire face à tant de prétention insensée.

© 2022 Roxanne Peguet / Tarantula / Box Productions / Ufo Distribution Tous droits réservés

L’impasse de l’utopie thoreauvienne

Or, c’est justement dans l’agencement de ce retour au bercail que le bât narratif blesse légèrement. Autant nous ne pouvons que féliciter François Pirot pour son adaptation à notre espace de vie moderne des idées abstraites que le philosophe américain Henry David Thoreau avait développé au dix-neuvième siècle, autant le récit ne semble plus trop savoir comment dénouer le nœud des déraillements existentiels multiples, une fois que le mur à se prendre approche dangereusement.

Toute la tristesse et toute l’impuissance des personnages a beau se manifester alors, avec ce père empressé de mourir ou ce patron tout aussi anxieux de trouver un successeur, ils n’ont invariablement rien de mieux à faire que de revenir sur leurs pas, de recoller les morceaux d’une vie d’emblée bancale. Et ce n’est pas non plus le nouveau gourou en chef de la quiétude naturelle qui leur dira le contraire, les dernières séquences du film laissant la porte ouverte à une reprise des querelles conjugales, à l’endroit même où elles s’étaient arrêtées une heure et demie plus tôt.

Notre appréciation indubitable de Ailleurs si j’y suis reste coincée du coup dans le dilemme entre la reconnaissance de la sagesse du propos et l’incapacité toute relative de ce dernier de mener l’intrigue à bon port. Car dans l’impossibilité des personnages de transformer leur rêve illusoire en réalité réside le message majeur du film, aussi décourageant soit-il. A quoi bon plonger dans l’eau verte de la rédemption, si c’est seulement pour différer pour quelques heures, voire quelques jours au maximum, les décisions difficiles qui s’imposent ? Dans toute son originalité enjouée et sa critique adroite des travers matérialistes de notre société, cette histoire peine beaucoup trop à trouver une réponse satisfaisante à cette interrogation. A moins que, tout simplement, il n’en existe pas …

Conclusion

Un casting de premier ordre et une intrigue inventive qui ne craint pas de se heurter à ses propres contradictions : c’est d’ores et déjà un beau cachet de qualité pour cette production des anciens paradis fiscaux. De surcroît, Ailleurs si j’y suis affiche la tendance saine de rire avec ses personnages, en dépit de tous les malheurs qui leur arrivent, plutôt que de se moquer d’eux. De quoi nous faire espérer qu’il ne faudra pas attendre encore une fois dix ans, avant qu’on ne puisse voir le prochain film signé François Pirot !

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