Albi 2019 : La Fille au bracelet

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La Fille au bracelet

France, Belgique, 2019

Titre original : –

Réalisateur : Stéphane Demoustier

Scénario : Stéphane Demoustier, d’après un scénario de Gonzalo Tobal et Ulises Porra Guardiola

Acteurs : Roschdy Zem, Chiara Mastroianni, Mélissa Guers, Anaïs Demoustier

Distributeur : Le Pacte

Genre : Drame judiciaire

Durée : 1h36

Date de sortie : 12 février 2020

3/5

Notre journée officieuse à l’honneur de Anaïs Demoustier au Festival d’Albi s’est achevée avec La Fille au bracelet, réalisé par son frère aîné, dans lequel l’actrice joue un rôle diamétralement opposé à celui, aux angles arrondis, qu’elle tenait dans Alice et le maire de Nicolas Pariser. Ici, son avocate générale est très proche de la forme globale du film, c’est-à-dire froide et sèche, d’une logique implacable qui n’autorise aucun égarement. En effet, l’extrême sobriété du troisième long-métrage de Stéphane Demoustier pèse comme une chape de plomb sur ce drame judiciaire, dont l’enjeu est moins de nous inciter à trancher sans l’ombre d’un doute sur la culpabilité de l’accusée adolescente que d’assister dans un état tétanisé à son procès. Sa forme parfaitement maîtrisée se concentre sur un nombre réduit de lieux et guère plus de personnages, qui survivent plus qu’ils ne vivent, suspendus malgré eux au rythme lent de l’appareil judiciaire français. Ce qui ne veut pas dire qu’un brûlot contre les insuffisances de nos institutions légales se cacherait quelque part au sein d’une intrigue tirée au cordeau. Le propos du film va plutôt dans le sens de l’incertitude usante au fil du temps, ainsi que de l’influence néfaste de cette dernière sur une vie de famille à l’insouciance anéantie à jamais par un fait divers sanglant. Y sont alors autant passés au crible les remords intériorisés des parents que l’indifférence apparente de la principale intéressée, d’une impassibilité digne de Meursault chez Albert Camus.

© Mathieu Ponchel / Le Pacte Tous droits réservés

Synopsis : Quand elle avait seize ans, Lise Bataille était une adolescente insouciante. L’assassinat sauvage de sa meilleure amie Flora change sa vie du jour au lendemain. Accusée du crime, elle devra attendre deux ans avant que ne commence son procès aux assises. Sa relation avec ses parents Bruno et Céline est profondément modifiée par l’épreuve que la famille devra traverser patiemment.

© Mathieu Ponchel / Le Pacte Tous droits réservés

Les enfants terribles

Il y a quelque chose d’intensément détaché dans le traitement que La Fille au bracelet administre au déroulement rigoureux d’un procès contre une jeune meurtrière présumée. Il suffit de s’imaginer ce que le rouleau compresseur sentimental du cinéma hollywoodien aurait fait de cette histoire, sans doute alors truffée de scènes larmoyantes et autres aveux de loyauté édifiants, pour se rendre compte à quel point Stéphane Demoustier a fait preuve de retenue pour adapter le scénario de Acusada de Gonzalo Tobal, un film argentin sorti en France au mois de juillet dernier. Son remake indirect s’intéresse équitablement aux deux facettes humaines de ce drame. A la difficulté de rester sereine, jour après jour, dans le box vitré des accusés pour une fille privée d’une bonne partie de son adolescence par les répercussions de ce crime horrible. Et à celle des parents, confrontés simultanément aux défis pédagogiques propres à l’éducation d’une adolescente qui n’en fait qu’à sa tête et au dilemme éthique quant à leur propre conviction à l’égard de la culpabilité éventuelle de leur fille. Roschdy Zem dans le rôle du père et Chiara Mastroianni dans celui de la mère rendent amplement justice à la complexité des personnages. Ceux-ci se montrent par ailleurs plus démunis et en proie au doute existentiel qu’en train de défendre bec et ongles leur progéniture. Tandis que le désarroi du père se manifeste dans toute sa dureté sur la durée, celui de la mère éclate tardivement, lors de son audition devant le juge, quand l’essentiel sur cette sinistre affaire semble déjà avoir été dit.

© Mathieu Ponchel / Le Pacte Tous droits réservés

L’Étrangère

Toutefois, pour un film dont le récit est essentiellement ponctué d’échanges à la barre du tribunal, La Fille au bracelet a une curieuse tendance à intérioriser la souffrance. Si tant est que l’on puisse parler de contrition sincère chez la principale intéressée, à laquelle l’interprétation de Mélissa Guers confère une singulière aura d’indifférence. Ainsi, le doute peut planer aussi longtemps à son sujet, parce que le processus d’identification de la part du spectateur ou tout au moins de sympathie envers elle est volontairement tenu au minimum, voire courageusement rendu impossible. Or, l’antipathie ne conduit pas automatiquement à la culpabilité. Tout l’enjeu du film consiste alors à mettre en question nos grilles de lecture si rassurantes, d’après lesquelles une personne accusée à tort – ou au demeurant à raison – devrait se comporter de telle ou telle façon. Dans ce contexte, le rôle de Lise et le jeu peu expressif de la comédienne qui l’interprète nous tendent à la fois un écran de projection à la neutralité déstabilisante et un piège quant aux conclusions à tirer de son comportement peu orthodoxe. Et si, en dehors de tout jugement, cette adolescente n’était en fait rien d’autre que cela, une adulte en devenir qui dispose de son corps et de ses émotions comme cela lui chante, quitte à choquer les représentants d’une morale plus ancienne, incapables de se mettre à la place d’une jeune génération aux mœurs plus débridées que l’ont été les leurs ? Cette interrogation sous-tend le film avec une belle régularité. Elle se rappelle à nous au moins chaque fois que l’état d’esprit en apparence blasé de Lise risque de faire pencher la balance en sa défaveur, alors que ce serait plutôt notre propre impatience à condamner qu’elle devrait questionner.

© Mathieu Ponchel / Le Pacte Tous droits réservés

Conclusion

Il y a des films qui vous assomment comme un bloc de granite. La Fille au bracelet est de ceux-là. Rien n’y dépasse. Tout est mis de façon concentrée au service d’une intrigue dense, qui aménage paradoxalement une place mineure au doute. Stéphane Demoustier y explore avant tout les répercussions d’une mise en examen, dépouillée du cadre glauque des prisons, sur une famille des plus ordinaires. Sauf que cette normalité vole en éclats dès le générique au bord de la mer et que la gravité assumée de la situation ne se prête point à quelque échappatoire que ce soit.

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