Critique : Hantise (George Cukor)

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Hantise

États-Unis : 1944
Titre original : Gaslight
Réalisateur : George Cukor
Scénario : John Van Druten, Walter Reisch et John L. Balderston, d’après une pièce de Patrick Hamilton
Acteurs : Charles Boyer, Ingrid Bergman, Joseph Cotten
Distributeur : –
Genre : Thriller psychologique
Durée : 1h54
Date de sortie cinéma : 1 janvier 1947

3/5

Dans les années 1940, la figure du mari machiavélique était surtout un motif récurrent dans les films de Alfred Hitchcock. Depuis Rebecca jusqu’à Les Amants du Capricorne, en passant par Soupçons et Les Enchaînés, les pauvres épouses interprétées tour à tour par Joan Fontaine et Ingrid Bergman y souffraient régulièrement le martyre. En comparaison avec ces classiques du maître du suspense, Hantise de George Cukor fait presque pâle figure. En effet, il s’agit du genre de film dont l’intrigue et la facture ne préservent guère d’enjeu, une fois qu’on en connaît les tenants et aboutissants. Sans même parler des motivations des personnages, plus farfelues et moins crédibles les unes que les autres.

En revoyant ce thriller dont l’origine théâtrale est trahie par son scénario bavard, nous avons néanmoins éprouvé un certain plaisir à observer l’adresse avec laquelle la mise en scène a su gérer les tempéraments et les styles de jeu pour le moins complémentaires d’une distribution prestigieuse. Tandis que le côté mélodramatique de l’histoire a pris un peu de poussière, le cadre soigné du récit et surtout l’étrange cohésion de l’investissement dramatique des acteurs dans cette farce grand-guignolesque en rattrapent aisément les quelques maladresses narratives. En somme, il s’agit d’un film n’ayant pas traversé le temps complètement indemne depuis sa sortie il y a près de quatre-vingts ans, mais qui garde justement son charme par ses nombreux aspects désuets.

© 1944 Metro-Goldwyn-Mayer / Warner Bros. France Tous droits réservés

Synopsis : Après le meurtre de sa tante, la célèbre cantatrice Alice Alquist, la jeune Paula part à l’étranger afin d’oublier cet événement traumatisant. Des années plus tard, alors que ses cours de chant en Italie ne mènent nulle part, elle tombe amoureuse du pianiste Gregory Anton. Elle l’épouse et s’installe avec lui dans la vieille demeure familiale à Londres, où sa tante fut assassinée. Le souvenir lugubre du drame pèse sur la jeune épouse, qui croit en plus être en proie à des hallucinations sur des bruits émanant du grenier condamné et la lumière au gaz qui baisse apparemment sans raison. Son mari voit d’un œil inquiet que sa femme paraît sombrer de plus en plus dans la folie.

© 1944 Metro-Goldwyn-Mayer / Warner Bros. France Tous droits réservés

L’amour, l’amour, l’amour

On ne vous apprend sans doute rien de nouveau en affirmant que la base d’un contrat d’identification réussi entre le spectateur et une œuvre cinématographique repose sur la crédibilité des personnages, ainsi que sur celle du lien qui les unis ou au contraire qui les sépare. Or, c’est d’emblée à ce niveau-là que le bât blesse dans Hantise. A aucun moment, l’aventure romantique entre Paula et Gregory n’y paraît naturelle. Entre la naïveté exacerbée de l’une et l’aura ténébreuse guère plus nuancée de l’autre, les signes de mauvais présage s’accumulent sans tarder, avant même que les amoureux par la volonté poussive du scénario n’élisent domicile dans la maison du crime. La discordance entre ces deux personnages que tout paraît opposer sonne alors bien plus convaincante que les efforts répétitifs de les faire entrer dans une guerre des nerfs à la subtilité discutable.

Car qui est dupe de qui dans cette ronde malicieuse ? En fin de compte, on pourrait presque considérer que cela importe peu, puisque le récit cherche vaillamment à imiter les ressorts de la tension filmique propres au maître Hitchcock, hélas sans y parvenir la plupart du temps. Malgré la grandiloquence avec laquelle Charles Boyer aborde son rôle de mari manipulateur, il lui manque soit un véritable grain de démesure – à entr’apercevoir tout juste quand il se trouve face à l’objet de toutes ses convoitises –, soit un arrière-plan psychologique assez fourni pour rendre ses agissements à la fois cohérents et inquiétants sur la durée. De même pour Ingrid Bergman, alors au sommet de sa gloire hollywoodienne, qui campe ici avec une vitalité presque ironique une femme faible, capable in extremis de s’affranchir de la dépendance affective envers son mari malveillant.

© 1944 Metro-Goldwyn-Mayer / Warner Bros. France Tous droits réservés

La guerre psychologique est déclarée

Face à la fragilité apparente du couple vedette, il ne reste donc que le contexte formel et les personnages secondaires pour épicer tant soit peu une intrigue policière qui suit trop stoïquement son cours. A ce sujet, le style vaguement exquis de la réalisation de George Cukor se conforme avant tout aux conventions de l’époque. Sans excès notable, elle ne se distingue pas non plus à travers une hypothétique volonté de rendre plus dynamique la trame dramatique à l’ambition psychologique plutôt superficielle. La guerre à armes inégales entre les deux époux – avec lui qui tend un piège après l’autre à sa bien-aimée et elle en victime tout désignée qui gobe de façon caricaturale les mises en question successives de sa santé mentale – ne gagne par conséquent pas grand-chose en termes d’intensité, grâce à l’approche solide quoique nullement virtuose du réalisateur.

Quant aux seconds rôles, ils perpétuent principalement une certaine antipathie qui sous-tend en quelque sorte le récit dans son ensemble. Ainsi, vous chercherez en vain une quelconque solidarité féminine, susceptible de venir en aide à la pauvre maîtresse de la maison à l’esprit empoisonné à petit feu, une remarque désobligeante à la fois. Au moins, Angela Lansbury dans son tout premier rôle sait conférer une savoureuse effronterie populaire à la gouvernante, trop préoccupée à draguer tous les hommes de son entourage pour se rendre compte de ce qui se passe réellement autour d’elle. En revanche, Dame May Whitty en vieille reine des ragots de voisinage et Joseph Cotten comme seul pôle de raison et de stabilité restent largement à la périphérie de cet univers malsain, qu’on aurait tant aimé faire preuve de plus de vigueur.

© 1944 Metro-Goldwyn-Mayer / Warner Bros. France Tous droits réservés

Conclusion

Inutile de nous mentir, nos retrouvailles avec ce thriller un peu vieillot, qui avait jadis bercé notre cinéphilie naissante et notre admiration pour Ingrid Bergman, n’ont rien fait pour rallumer notre flamme au gaz pour Hantise. Il s’agit certes d’une adaptation plus soignée et mémorable de la pièce de Patrick Hamilton que la version britannique réalisée par Thorold Dickinson quatre ans plus tôt. Et cet Hantise-ci est sans commune mesure avec le film au même titre français de 1999 de Jan De Bont, le misérable remake du classique de l’horreur La Maison du diable de Robert Wise. Toutefois, il nous sera permis de préférer au film de George Cukor ceux de la même année qui ont su garder intactes leur fraîcheur et leur pertinence filmique, comme par exemple dans des genres voisins Assurance sur la mort de Billy Wilder, Laura de Otto Preminger et Lifeboat, un Hitchcock assez atypique.

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