Revu sur OCS : « La Création de dieu »

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© 2004 Bob Greene / HBO Films Tous droits réservés

En guise d’hommage au personnel soignant, qui fournit en ce moment un travail colossal à travers le monde, on a regardé de nouveau le téléfilm La Création de dieu, issu du catalogue HBO et de ce fait disponible sur la plateforme de vidéo par souscription OCS. Or, cette histoire édifiante sur les médecins qui ont réussi la première opération à cœur ouvert ne s’encombre guère de détails scientifiques ou thérapeutiques, pas plus d’ailleurs que des implications éthiques d’une telle intervention, en dépit du titre à forte connotation religieuse. Non, le réalisateur Joseph Sargent, un vétéran du petit écran américain, a principalement conçu son film à travers le prisme de l’injustice raciale. Et, sans mauvais jeu de mot, quel autre sujet social tiendrait plus à cœur de la communauté hollywoodienne bien pensante que celui-là, on se le demande. Ainsi, l’histoire de Vivien Thomas, le vaillant assistant afro-américain de l’éminent docteur Alfred Blalock, aussi surdoué que patient, fait parfaitement l’affaire en tant qu’étape intermédiaire – puisqu’il a été diffusé presque exactement à distance temporelle égale de leurs années de sortie respectives – entre Miss Daisy et son chauffeur de Bruce Beresford, Oscar du Meilleur Film en 1990, et Green Book Sur les routes du sud de Peter Farrelly, Oscar du Meilleur Film en 2019.

Le mythe du noir cruellement exploité par une classe dominante blanche, croyant bien faire mais prise au piège de son approche édentée lorsqu’il s’agit de changer les rapports de force de manière sérieuse, qui finit par être reconnu à sa juste valeur au bout de maintes épreuves y est colporté avec une complaisance discutable. C’est la béquille psychologique du retour de l’ascenseur, de la mise en valeur d’un destin social si cyniquement ignoré pendant des décennies, qui reprend du service dans La Création de dieu. En somme, on se trouve ici face à la recette miracle de l’administrateur d’une bonne conscience rétrospective, simultanément d’une hypocrisie difficile à tolérer et d’un impact redoutable en termes de prix, comme le prouve dans le cas présent l’Emmy du Meilleur téléfilm. Une formule gravement condescendante qui n’a hélas pas fini de faire des émules, comme par exemple cinq ans plus tard le téléfilm Des mains en or de Thomas Carter avec Cuba Gooding Jr. dans le rôle du docteur Ben Carson, de nos jours davantage connu comme complice infréquentable des combines orchestrées par l’actuel occupant de la Maison Blanche.

© 2004 Bob Greene / HBO Films Tous droits réservés

On préfère ne pas trop s’interroger sur ce que cela révèle de notre propre rapport aux questions raciales, mais nous avons depuis toujours été adepte de ces histoires assez simplistes, où le stéréotype du bon noir finit invariablement par triompher. Tout en sachant pertinemment que la question ne se réglera en aucun cas avec des moyens aussi ouvertement manipulateurs et tendancieux que ceux employés dans ce film-ci. Il n’empêche que les interprétations de Alan Rickman en chercheur excentrique et passablement généreux et de Mos Def, désormais connu sous le nom de Yasiin Bey, en esprit brillant qui aurait mérité mieux qu’une existence précaire d’un point de vue matériel peuvent rivaliser sans peine en termes de complicité amicale qui se construit au fil des années avec celles des duos Jessica Tandy / Morgan Freeman et Viggo Mortensen / Mahershala Ali. Leur relation strictement professionnelle et pourtant animée par un respect profond confère le genre d’humanité touchante à cette histoire, qui lui ferait sinon cruellement défaut, à force d’accumuler des poncifs, néanmoins mis en scène avec une certaine sobriété.

Alors oui, d’un point de vue idéologique, un film comme La Création de dieu peut certainement poser problème. Et ne commençons même pas à évoquer le sort encore plus enrageant des personnages féminins, majoritairement réduits à l’emploi archaïque de l’épouse dévouée pour Kyra Sedgwick et Gabrielle Union, si ce n’est celui du médecin qui a besoin de ses collègues masculins pour réussir pour Mary Stuart Masterson. Considérons donc ce film et les dizaines d’autres qui lui sont comparables, puisqu’ils défendent tous la même cause sur un même ton pompeux, en tant que plaisir coupable, dont on ne s’évertuera jamais à défendre la qualité cinématographique, mais qui nous font naïvement rêver d’un monde uchronique, où l’injustice sociale due à l’appartenance raciale serait résolue par une bonne dose de bons sentiments !

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