Critique : Que Dios Nos Perdone

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Que Dios Nos Perdone

Espagne, 2017
Titre original :
Réalisateur : Rodrigo Sorogoyen
Scénario : Rodrigo Sorogoyen, Isabel Peña
Acteurs : Antonio de la Torre, Roberto Álamo, Javier Pereira
Distribution : Le Pacte
Durée : 2h06
Genre : Thriller
Date de sortie : 9 août 2017

Note : 4/5

Dans les années 2000, on a pu voir émerger en France une nouvelle génération de cinéastes coréens qui ont insufflé au cinéma de genre, et particulièrement au polar, une pulsation et une originalité qui allaient totalement redéfinir les bases d’un genre dans lequel on pensait naïvement avoir tout vu. Puis, comme tout courant, cinématographique ou non, celui-ci a fini par quelque peu tourner en rond pour, ces dernières années, malgré la qualité honorable de la moyenne des films qui nous parviennent, virer à une certaine caricature. Tout ça pour en venir au fait que, pour les amateurs de purs polars jusqu’au-boutistes, il faut en cette année 2017 aller voir du côté de l’Espagne. Bien sûr, cette cinématographie n’en est pas à son coup d’essai en la matière, et on a pu observer ces dernières années l’arrivée d’une nouvelle génération de cinéastes ibères livrant des propositions de cinéma très intéressantes, de Daniel Monzon avec l’excellent film carcéral Cellule 211 (qui avait en plus été l’occasion pour les cinéphiles français de découvrir le très charismatique Luis Tosar) à Kike Maillo, auteur il y a quelques années du très beau Eva, qui nous a offert en 2016 le solide Toro, malheureusement passé directement par la case vidéo en France. Jusqu’à cette année, où entre le rugueux et taciturne récit de vengeance La colère d’un homme patient et le film qui nous intéresse aujourd’hui (datant en fait de 2016, et récompensé aux Goya en début d’année mais nous parvenant seulement maintenant), on peut sans mal parler d’une nouvelle vague du genre, riche de promesses pour les années à venir. Le film présent se situe dans la droite lignée de ces récits d’enquêtes, où des policiers se retrouvent empêtrés dans des affaires sordides les dépassant rapidement et dans lesquels les spectateurs se retrouvent totalement captivés par des histoires violentes et en même temps, excitantes du strict point de vue du plaisir de cinéma.

Synopsis : Madrid, été 2011. La ville, plongée en pleine crise économique, est confrontée à l’émergence du mouvement des « indignés » et à la visite imminente du Pape Benoît XVI. C’est dans ce contexte hyper-tendu que l’improbable binôme que forment Alfaro et Velarde se retrouve en charge de l’enquête sur un serial-killer d’un genre bien particulier. Les deux inspecteurs, sous pression, sont de surcroît contraints d’agir dans la plus grande discrétion… Une course contre la montre s’engage alors, qui progressivement les révèle à eux-mêmes ; sont-ils si différents du criminel qu’ils poursuivent ?

Si loin, si proche

Ce qui marque d’emblée, et qui fait se rejoindre le film avec les précédentes œuvres espagnoles du même genre, c’est la force tranquille dont fait preuve son metteur en scène dans la conduite de son récit, et la croyance totale qu’il peut avoir pour ce dernier. À savoir qu’il prend son temps pour installer ses enjeux et personnages, sans s’embarrasser de la précipitation de tant de films américains. Et très vite, on a l’agréable sensation de connaître les deux protagonistes principaux depuis longtemps, comme si ces derniers avaient déjà été au centre d’autres films, et qu’on les retrouvait ici avec plaisir, pour une nouvelle enquête. Ceci est dû bien sûr en premier lieu à la fine caractérisation de ces derniers, borderline mais terriblement humains jusque dans leurs failles les plus profondes. Ce ne sont certainement pas des super-flics, menant l’enquête de main de maître, mais au contraire sont montrés totalement dépassés par l’ampleur de la situation. Nulle trace de moquerie à leur égard, contrairement au cinéma coréen stigmatisant de façon souvent jubilatoire les policiers comme des incompétents à la bêtise crasse. Rien à voir avec cet état d’esprit ici, ils sont sincèrement impliqués dans leur travail, mais une accumulation de coups de malchance pour eux et de chance pour le coupable, rendent l’enquête particulièrement difficile et laborieuse, évoquant sur cet aspect le Zodiac de David Fincher. Si l’enquête est laborieuse, ce n’est évidemment pas le cas du film qui rend parfaitement compte de l’abattement qui règne lorsque l’on sent que l’on était si près du but, et que cela causera beaucoup de dégâts humains.

C’est justement parce qu’ils sont toujours à la limite, et que l’on craint à chaque instant qu’ils craquent, d’une façon différente pour les deux, qu’ils sont si attachants, et qu’on les suit jusqu’au bout sans se lasser, malgré le rythme pas immédiatement nerveux, et la durée pouvant paraître rédhibitoire pour certains. Pourtant, le contexte dans lequel se situe l’histoire, à savoir durant un été de canicule, dans une ville minée par la crise économique, donc dans une ambiance naturellement oppressante, auquel on ajoute l’affaire particulièrement glauque autour de laquelle se situe l’histoire, font que qu’on est immédiatement étouffé et happé, et qu’on ne peut à aucun moment détourner notre esprit de ce qui se déroule sous nos yeux.

 

 

Tueur de dames

Il est toujours délicat de rentrer plus en avant dans les détails d’un tel film sans risquer d’en révéler les éléments les plus importants, mais l’on peut tout de même dire que la trame, ample mais très simple au demeurant, tourne autour d’un tueur de vieilles dames. Un tueur particulièrement sadique dont les actes suivent une véritable gradation dans la violence. Ce n’est pas habituel dans le genre et le réalisateur n’hésite pas à gratifier le spectateur de plans cliniques des corps meurtris des victimes. Même si les séries policières américaines, du style Esprits criminels n’hésitent plus depuis longtemps à basculer dans les histoires les plus abominables avec force détails croustillants sur les conditions dans lesquelles les victimes ont été tuées, on ne pensait pas voir un jour une histoire pareille filmée de cette façon. Néanmoins, nul abus dans la façon dont ces scènes sont dévoilées, et on reste focalisé sur le récit sans en être détourné par trop de dégoût. Celui-ci trouve une réelle rupture au milieu, tant stylistiquement que dans sa narration. En effet, là où la première partie se montre assez nerveuse dans sa mise en scène, essentiellement à l’épaule et avec un côté très âpre dans la photographie, elle se montre plus stylisée dans sa seconde moitié, après une scène de poursuite à pied, dans des rues bondées de monde, à cause de la venue du Pape Benoît XVI, qui fait véritablement office de point de rupture dans la conduite du récit, et accessoirement, probablement la scène la plus intense que l’on ait vu dans le genre, depuis celle exceptionnelle du non moins génial The Chaser datant de 2008.

Là où la première partie se montrait brute et glauque, prenant soin d’agripper le public, sans tomber dans l’excès de sordide, la seconde se montre beaucoup plus brute de décoffrage, tout en restant là encore dans le domaine de l’acceptable, même si les yeux sensibles seront priés de rester chez eux, de par la présence d’une scène de meurtre crue et dérangeante, par son contexte inhabituel et la cruauté inimaginable dont fait preuve le meurtrier, interprété de façon glaciale par un acteur faisant preuve de beaucoup de courage. Comme dit plus haut, les deux acteurs principaux se montrent très intenses. Antonio de la Torre peut être décrit comme l’équivalent espagnol de l’acteur argentin Ricardo Darin. Le public français a pu déjà le voir dans La Colère d’un homme patient, Amours cannibales ou La Isla minima. Charismatique et mystérieux, il réussit avec peu de choses à faire exister son personnage d’obsédé du travail, bègue et quelque peu handicapé socialement. Son partenaire de jeu, Roberto Alamo, fait preuve quant à lui d’une puissance physique redoutable, évoquant par la rage de son jeu, des certains Matthias Schoenaerts ou Tom Hardy, n’oubliant jamais l’humanité de son personnage.

Conclusion

Inutile d’en rajouter, tant ce film, par la force de son intrigue, évoquant, par son ampleur, les séries contemporaines les plus addictives, sa mise en scène toujours juste, et la puissance de son casting, atteint une certaine forme d’excellence, qui fait bien plaisir dans un genre qui, lorsqu’il est investi avec une telle pertinence, est encore capable de nous surprendre. Un polar majeur, et un grand film tout court, dont il faudra surveiller la sortie le 9 août prochain, malheureusement peut-être pas le meilleur créneau pour le succès.

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