Critique : Dark river

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Dark river

Grande-Bretagne : 2017
Titre original : –
Réalisation : Clio Barnard
Scénario : Clio Barnard d’après « Les silences », roman de Rose Tremain
Interprètes : Ruth Wilson, Mark Stanley, Sean Bean
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h29
Genre : drame
Date de sortie : 11 juillet 2018

3/5

Après The arbor, un premier long métrage à mi-chemin entre fiction et documentaire, jamais sorti en salle dans notre pays, la réalisatrice britannique Clio Barnard a acquis une certaine notoriété avec Le géant égoïste, adapté d’un conte de Oscar Wilde et présenté en 2013 à la Quinzaine des réalisateurs. Pour son 3ème long métrage, elle a très librement adapté « Les silences », un roman de Rose Tremain, une auteure britannique dont François Ozon avait adapté une nouvelle extraite du recueil « Les Ténèbres de Wallis Simpson » pour réaliser Ricky. Comme pour ses deux films précédents, c’est dans le Yorkshire, la région dont elle est originaire, que Clio Barnard a tourné Dark river.

Synopsis : Après la mort de son père et quinze ans d’absence, Alice revient dans son Yorkshire natal réclamer la ferme familiale qui lui était promise. Mais son frère Joe, usé par les années à s’occuper de l’exploitation et de leur père malade, estime que la propriété lui revient. Malgré les trahisons et les blessures du passé, Alice va tenter de reconstruire leur relation et sauver la ferme.

Une question de légitimité

Lorsqu’elle apprend que son père est mort, Alice se sent enfin capable de revenir dans la ferme familiale du Yorkshire afin d’en reprendre l’exploitation. 15 ans qu’elle était partie, allant de ferme en ferme, partout où il y a des moutons, en Nouvelle-Zélande, en Norvège, etc. C’est que, bien qu’il lui ait promis que la ferme lui reviendrait à sa mort, Alice, pour des raisons très intimes et qu’on comprend rapidement, ne portait pas son père dans son cœur. Bien que Richard et Joe Bell, le père et le frère d’Alice, aient très mal entretenu la ferme durant l’absence d’Alice, et bien que n’ayant aucune véritable attirance pour l’élevage des moutons, Joe se considère comme ayant davantage de légitimité que sa sœur pour reprendre l’exploitation. Il revient au propriétaire, la Compagnie des eaux, de choisir entre les deux postulants : d’un côté une reprise en main efficace de l’exploitation, de l’autre une magouille permettant d’enrichir les actionnaires au prix de la destruction d’un joyau naturel.

Des qualités évidentes mais aussi des réserves

A propos de Le géant égoïste, il nous était apparu que, malgré des qualités évidentes, il manquait encore à Clio Barnard quelque chose pour qu’on puisse la ranger au même niveau qu’un Ken Loach qui, dans ce film, semblait être un modèle pour elle. Concernant Dark river, le cousinage avec Ken Loach est beaucoup plus lointain, même si le film recèle un côté social très important : suite aux privatisations effectuées du temps de Margaret Thatcher, des terres agricoles appartenant à une compagnie publique sont devenues la propriété d’intérêts privés davantage intéressés par des rendements financiers que par des rendements agricoles ou la défense de l’environnement naturel. Dans ce contexte, ce ne sont pas forcément les bons agriculteurs ou les bons éleveurs qui ont les faveurs d’un propriétaire ! Dans Dark river, ce volet voisine avec le passé d’abus sexuels qui continue de polluer le présent d’Alice et la peinture des relations embrouillées entre un frère et une sœur.

Toutefois, de nouveau, malgré les qualités évidentes du film, on se sent obligé d’émettre quelques réserves concernant sa réalisation. En fait, on est en droit de penser que Clio Barnard n’a pas encore la maîtrise lui permettant de jongler au mieux avec un jeu de flashbacks très ambitieux mais qui finit très souvent par apporter de la confusion dans la conduite du récit. En résumé, la réalisatrice excelle à faire monter la tension dans des scènes très fortes qui s’intègrent dans l’un ou l’autre des 3 volets évoqués plus haut, mais l’excès de flashbacks, souvent très courts, évoquant le passé avec le père, ainsi que la façon brutale avec laquelle ils apparaissent puis disparaissent, arrivent à nuire au maintien dans le temps de cette tension.

Des interprètes connu.e.s pour leurs prestations dans des séries

C’est Ruth Wilson, une comédienne surtout connue pour ses prestations dans deux séries TV, Luther et The affair, que Clio Barnard a choisie pour interpréter le rôle d’Alice. Un rôle loin d’être facile, celui d’une femme qui cherche à se reconstruire, un rôle qui demande une interprète devant se monter parfois fragile, parfois très forte. Même si on peut trouver Ruth Wilson un peu trop maquillée pour l’interprétation d’une éleveuse de moutons (mais, après tout, pourquoi pas ?), ce choix s’avère fort judicieux au final. Mark Stanley, l’interprète de Joe, a également tourné dans de nombreuses séries dont Game of thrones. Bien que plus sensiblement plus jeune que le personnage qu’il interprète, Mark Stanley s’avère totalement crédible dans le rôle d’un homme qu’on sent au bout du rouleau et qu’on a presque envie de plaindre malgré le comportement le plus souvent odieux dont il fait preuve.

Pour capter le plus naturellement possible les beautés austères du Yorkshire, Clio Barnard a fait appel à Adriano Goldman, un Directeur de la photographie brésilien dont elle avait apprécié le travail sur le Jane Eyre de Cary Fukunaga. Par ailleurs, il n’est pas possible de quitter ce film sans évoquer une très belle chanson qu’on entend au tout début et à la toute fin du film : « An acre of land », interprétée par une PJ Harvey très assagie, une chanson aux allures de chanson traditionnelle, mais qui a été composée pour les besoins du film par Harry Escott et PJ Harvey.

Conclusion

Malgré une certaine confusion dans la conduite du récit, due avant tout à un abus de flashbacks, Dark river permet de continuer à placer Clio Barnard parmi les espoirs du cinéma britannique. Manifestement, elle sait générer une tension, elle sait diriger ses comédiens et les faire se déplacer dans un cadre. En fait, il ne lui reste plus qu’à devenir plus humble dans ses choix de mise en scène et de montage, la simplicité du propos étant peut-être la qualité qui lui manque pour l’instant.

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