Vu sur OCS : Les Doigts croisés

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© 1971 Ludgate Films / Les Films de la Pléiade / Byrna Productions / Rank Film Distributors
Tous droits réservés

Rétrospectivement, à un demi-siècle de distance, il est assez étonnant de voir une petite vague de comédies d’espionnage faire leur apparition à la fin des années 1960 et pendant la première moitié de la décennie suivante. Le succès planétaire de l’agent suprême de sa majesté James Bond y est sans doute pour quelque chose, tout comme le lancement d’autres univers à la recette gagnante tel que celui de La Panthère rose, plus porté sur le genre policier. La même observation vaut pour des films de gangsters à l’humour et à l’érotisme bien dosés, de Charade de Stanley Donen jusqu’à L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison. Mais pour ce qui est des aventures d’espions plus énigmatiques les uns que les autres, le climat géopolitique de l’époque, en pleine Guerre froide, a fini par imposer son idéologie manichéenne, au moins pour un temps.

Car l’immense majorité de ces œuvres à forte vocation commerciale n’a en rien contribué à ce que ce genre, plein de frivolité sur le terrain d’espions doubles ou amateurs, perdure au delà de sa date de péremption opportuniste. Les Doigts croisés fait certainement partie de ces films à la recette si éprouvée qu’elle ne produit plus aucune étincelle. Son scénario sans élégance, sa mise en scène routinière et ses interprétations guère inspirées en font en tout cas un divertissement assez poussif. Car ce sont davantage les rouages que l’on voit s’activer laborieusement dans le film de Dick Clement qu’une quelconque verve cinématographique, en mesure de rendre l’intrigue plus palpitante qu’une course poursuite à pied en boucle autour de la Royal Albert Hall. On serait tenté de citer le génie d’Alfred Hitchcock comme contre-exemple, lui qui avait si brillamment agencé la course contre la montre à l’intérieur du même édifice emblématique dans la version américaine de L’Homme qui en savait trop. Puis, on s’est souvenu que même le maître du suspense s’était quelque peu égaré en la matière avec l’un des films mineurs de sa fin de carrière, Le Rideau déchiré.

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Le gros problème de ce film-ci, c’est que rien n’y fonctionne réellement. Ni la prémisse tirée par les beaux cheveux roux de Marlène Jobert, une fois de plus assez insupportable ici en jeune mariée naïve, prête à tout pour sauver son mari, enlevé par les Russes lors de leur voyage de noces en Roumanie ! Ni les nombreux revirements très peu crédibles, qui nous font croiser quelques vedettes françaises dans des emplois cocasses ou, soyons honnêtes, totalement superflus. Tandis que Bernard Blier bénéficie encore de deux minutes vaguement savoureuses en espion russe, sur le point d’être relâché, mais pas avant d’amasser une panoplie de symboles capitalistes à la valeur caricaturale trop évidente, la pauvre Bernadette Lafont devra se contenter du rôle de simple faire-valoir du séducteur sérieusement vieillissant Kirk Douglas. Enfin, parmi les seconds rôles, le plus inutile reste hélas Trevor Howard en oncle notable, tout juste bon pour quelques commentaires faussement cinglants et, surtout, fâcheusement homophobes. Mais ce serait sans doute trop demander à un film aussi mollement consensuel que Les Doigts croisés de ne pas colporter les pires clichés sur la communauté gaie, associée à la menace d’espions étrangers, dépourvus de qualités rédemptrices.

Le point crucial de l’ineptie filmique se situe par contre du côté de la relation hautement bancale entre Jobert et Douglas. La première a beau résister au charme suranné du deuxième, elle finit tout de même par lui succomber, plus à cause de la volonté scénaristique imposée au forceps que parce que cette romance serait née sous une bonne étoile. Or, entre deux coups de cœur douteux pour des hommes à la fossette – à un moment donné, on s’était même demandé si l’intrigue n’allait pas nous sortir le vieil argument du lien de parenté entre le personnage de Douglas et celui du mari suspect – , la jeune prof de français et de foot fait semblant de tomber pour un pauvre bureaucrate britannique. Au moins à ce moment furtif, l’interprétation de Tom Courtenay, maladroit au point de devenir attachant, sait contrebalancer un peu la frénésie hystérique qui caractérise sinon un récit assez quelconque.

Peut-être a-t-on été un peu trop rude dans la rédaction de notre appréciation ou bien notre manque d’engouement pour Les Doigts croisés. Il s’agit après tout d’un divertissement passablement démodé, dont l’observation des grosses ficelles peut, à elle seule, avoir un certain intérêt. Et même si l’on ne regrette pas trop de le voir disparaître d’ici peu du replay de la plateforme de vidéo par abonnement OCS, il serait injuste de ne pas féliciter la chaîne d’Orange pour sa contribution financière à la restauration de ce film peu mémorable.

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