Vu sur MUBI : Light Sleeper

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© 1992 Carolco Pictures / Seven Arts Productions / New Line Cinema / Lionsgate / Metropolitan Filmexport
Tous droits réservés

Ce n’est pas qu’à Paris que les poubelles s’entassent le long des rues, à cause d’une grève des éboueurs. Le même désagrément urbain avait fourni l’arrière-plan de ce drame passablement poisseux à New York au début des années 1990. Toujours autant intéressé à sonder le côté crasseux de la culture américaine, Paul Schrader demeure fidèle à ses thèmes de prédilection dans Light Sleeper.

Comme ce fut le cas auparavant dans Taxi Driver, son scénario le plus mythique, la nuit dans la métropole de la côte Est constitue un espace hors la loi et hors du temps, une parenthèse faite de solitude et de misère, en dépit de la surface étincelante d’une ville toujours sous l’emprise du matérialisme forcené des années Reagan. Et en anticipation de Sur le chemin de la rédemption, son dernier coup de maître d’il y a cinq ans, il est de même question de l’expiation des fautes ici, quitte à ce que cette libération morale passe par un dénouement aussi sanglant que bâclé.

Avant tout, le neuvième long-métrage de ce réalisateur dont on redécouvre progressivement les qualités vit de l’interprétation inspirée de Willem Dafoe. En apparence un simple homme de main, sans ambition ni talent particulier, John LeTour suit la trajectoire de tant de héros de l’univers tourmenté de Paul Schrader avant lui. Il a certes réussi de décrocher de la consommation des drogues, tout en restant largement tributaire de ce microcosme aux règles d’honneur discutables. Ainsi, le taxi souillé de Travis Bickle a laissé la place à une limousine avec chauffeur, qui instaure une distance sans faute avec le monde dangereux et sale de la nuit new-yorkaise. Et le protagoniste a beau être un simple pourvoyeur de came, il ne doit plus refourguer sa marchandise au coin de la rue, mais répond aux appels de la clientèle de luxe avant de les rejoindre dans les endroits les plus branchés de la ville.

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Néanmoins, comme tant d’histoires imaginées par Paul Schrader avant et après ce film, Light Sleeper baigne indéniablement dans un état d’esprit crépusculaire. Le modèle économique précaire sur lequel LeTour a construit sa routine quotidienne est en sursis, sans que les options que sa patronne – Susan Sarandon plutôt convaincante dans le rôle atypique d’une femme forte et en même temps tributaire de toutes sortes de bons et de mauvais présages – lui propose ne lui paraissent viables. Au contraire, il se sent envahi par une nostalgie de plus en plus pernicieuse, à force de croiser le chemin de Marianne, une femme ayant compté dans sa vie d’avant de toxicomane. Sauf que ce personnage introspectif est le seul à vouloir entreprendre cette forme bancale d’un retour en arrière, visiblement impossible à opérer dans le contexte d’un monde en pleine évolution.

Or, les démons du passé ne tardent pas à se manifester. L’engrenage demeure d’abord diffus, comme si l’intelligence de la rue qui avait permis à LeTour de se maintenir jusque là en dehors de toute embrouille sérieuse devenait tout à coup insuffisante pour préserver les apparences. Dès lors, son allure de petite frappe intouchable se détériore, moins à cause des pressions qui pèsent sur lui de l’extérieur qu’en raison de sa nature autodestructrice. Les décors à l’esthétique léchée et à l’aspect immuable – les sacs de poubelle omniprésents mis à part – qu’il traversait avant sans le moindre état d’âme deviennent alors le contrepoint saisissant de sa déchéance personnelle. Un déclin aux enfers qui se solde d’une manière assez poussive en règlement de comptes sous forme de référence directe à la fusillade finale de Taxi Driver.

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Avant que les choses ne dégénèrent et que le récit ne commence à tourner à vide, Light Sleeper illustre toutefois avec une élégance sombre l’impasse existentielle de son personnage principal. A ce sujet, Paul Schrader compte parmi les maîtres de l’exploration du marasme urbain, un milieu de vie à la fois toxique et fascinant, dans lequel pullulent des hommes et des femmes en marge d’une société respectable. Parmi ces êtres aux pieds d’argile, chargé d’un sort plus ou moins tragique, nous avons eu la bonne surprise de retrouver des comédiens ayant fait carrière depuis, tels que Sam Rockwell en fournisseur sans scrupules, Mary Beth Hurt en oracle au soutien psychologique douteux et Victor Garber en client suisse et homme d’affaires au bras long.

Cependant, tout ce beau monde est aisément éclipsé par la prestation sans faille de Willem Dafoe, qui allait refaire équipe avec le réalisateur cinq ans plus tard sur Affliction, ainsi qu’après le tournant du siècle sur Auto Focus, The Walker, Adam Resurrected, Dog Eat Dog et The Card Counter. En futur collaborateur régulier de Paul Schrader, l’acteur saisit parfaitement la dimension quasiment spirituelle de son univers, un mélange saisissant entre le côté vil et imparfait de la réalité crue et un au-delà fait d’un idéal de sérénité aux portes duquel ses héros ont invariablement tendance à échouer.

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